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La rétractation de jugement comme solution à un jugement problématique ?

La rétractation de jugement comme solution à un jugement problématique ?

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Dans certains cas exceptionnels, la rétractation de jugement demeure une procédure pertinente pour remédier à un jugement qui a par exemple été rendu par défaut à l'insu du défendeur ou qui comporte certaines irrégularités importantes. Cependant, des règles strictes s’appliquent pour obtenir gain de cause dans une procédure en rétractation.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2024-08

Date de mise à jour : n/a

1. Cas typique : le jugement par défaut

Dans une instance civile, à la Cour du Québec ou à la Cour supérieure, le défendeur a 15 jours pour répondre à l’assignation en justice du demandeur, à défaut de quoi il peut être condamné par défaut, tel que l’indique l’article 145 du Code de procédure civile du Québec (C.p.c.).

Lorsque le défendeur n’a pas répondu dans les 15 jours, le demandeur peut demander que son dossier soit inscrit par défaut (art. 175 C.p.c.).

Dans ce cas, le dossier peut procéder rapidement par défaut selon les articles 180 et suivants C.p.c. et un jugement peut être rendu sans considérer une possible défense du défendeur.

Il arrive que la procédure de rétractation de jugement soit en réponse à un jugement qui a été rendu à l’insu du défendeur.

2. La rétractation d’un jugement

Dans certains cas, le défendeur pourra demander la rétractation d’un jugement qui a été rendu par défaut contre lui. Il est à noter que toute autre partie (incluant le demandeur) ou même un tiers[1] peut aussi demander la rétractation d’un jugement.

Le pourvoi en rétractation de jugement est cependant encadré par des règles strictes. En effet, des conditions d’ouvertures, de forme et des délais doivent être respectés.

a) Les motifs qui peuvent donner ouverture à la rétractation d'un jugement

Un jugement peut être rétracté notamment pour les motifs suivants :

  • si le maintien du jugement est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (art. 345 al. 1 C.p.c.) ;
  • si le jugement a été rendu par suite du dol d’une autre partie (art. 345 al. 1 C.p.c.) ;
  • si le jugement a été rendu sur des pièces fausses ou si la production de pièces décisives avait été empêchée par force majeure ou par le fait d’une autre partie (art. 345 al. 1 C.p.c.) ;
  • « le jugement s’est prononcé au-delà des conclusions ou a omis de statuer sur une des conclusions de la demande » (art. 345 al. 2 par. 1 C.p.c.) ;
  • « aucune défense valable n’a été produite au soutien des droits d’un mineur ou d’un majeur en tutelle ou d’une personne dont le mandat de protection a été homologué » (art. 345 al. 2 par. 2 C.p.c.) ;
  • « il a été statué sur la foi d’un consentement invalide ou à la suite d’offres non autorisées et ultérieurement désavouées » (art. 345 al. 2 par. 3 C.p.c.) ;
  • « il a été découvert après le jugement une preuve qui aurait probablement entraîné un jugement différent, si elle avait pu être connue en temps utile par la partie concernée ou par son avocat alors même que ceux-ci ont agi avec toute la diligence raisonnable » (art. 345 al. 2 par. 4 C.p.c.).

Un défendeur qui s’est retrouvé condamné par défaut peut demander la rétractation d’un jugement s’il a « été empêché de se défendre par fraude, par surprise ou par une autre cause jugée suffisante » (art. 346 C.p.c.). Pour ce faire, il doit en même temps fournir ses moyens de défense en même temps que le pourvoi en rétractation de jugement (art. 346 al. 2 C.p.c.).

b) Les formalités et délais à respecter

Le pourvoi en rétractation de jugement doit être signifié (par huissier) à toutes les parties de l’instance (art. 347 al. 1 C.p.c.).

Le pourvoi doit être signifié à l’intérieur d’un délai de 30 jours qui suit « le jour où est disparue la cause qui empêchait la partie de produire sa défense ou celui où la partie a acquis connaissance du jugement, de la preuve ou du fait donnant ouverture à la rétractation » (art. 347 al. 1 C.p.c.).

Suivant la signification du pourvoi, le pourvoi doit être présenté « dans les 30 jours qui suivent la signification » (art. 347 al. 2 C.p.c.). Dans tous les cas, il est à noter que le pourvoi ne peut pas être présenté s’il s’est écoulé plus de six mois depuis que le jugement a été rendu (art. 347 al. 2 C.p.c.).

Il est à noter que ces délais, imposés par le Code de procédure civile, sont de rigueur (art. 347 al. 3 C.p.c.). Seule une « impossibilité d’agir » de celui qui a dépassé les délais peut être invoquée.

Prenons à titre d’exemple la décision Roberge c. Hitlab Inc., 2024 QCCS 1923 de la Cour supérieure du Québec. Dans cette affaire, la défenderesse, une société par action, avait été signifiée du jugement rendu contre elle, mais n’a pas agi dans un délai de 30 jours suivant la disparition de « la cause qui empêchait la partie de produire sa défense ou celui où la partie a acquis connaissance du jugement » tel que spécifié au Code de procédure civile à l’article 347. Notamment pour cette raison, le tribunal a jugé le pourvoi en rétractation irrecevable en l’absence de motifs justifiant l’impossibilité d’agir du défendeur (par. 54).

Le tribunal discute ainsi à propos du pourvoi en rétractation de jugement qui a été présenté :

  • [59] D’emblée, le Tribunal reconnaît qu’il se retrouve en présence de deux principes juridiques importants : la stabilité des jugements et le droit à une défense pleine et entière. Il reconnaît aussi que la jurisprudence ne favorise pas une approche draconienne aux demandes en rétractation de jugement et que chaque cas est un cas d’espèce. Comme l’enseigne la Cour d’appel dans l’arrêt Location Accès Crédit inc. c. Proulx :
    • [6] Le formalisme excessif face à un pourvoi en rétraction de jugement n’a pas sa place, comme l’écrivait la Cour suprême dans Hamel c. Brunelle. La forme ne doit pas non plus aller jusqu’à priver un justiciable de ses droits, alors qu’il y a eu une méprise de bonne foi sur la nature des procédures et alors qu’il possède des défenses sérieuses. D’ailleurs, la décision de la juge ne risque pas d’ouvrir la voie à une mauvaise utilisation du pourvoi en rétractation, car cette procédure est nécessaire afin de permettre que soient corrigées les erreurs qui pourraient être présentes dans le jugement rendu par défaut lorsque cela ne porte pas préjudice à l’autre partie. En outre, il s’agit après tout d’une procédure et d’une décision hautement discrétionnaire afin de promouvoir les principes directeurs de la procédure et, plus largement, l’intérêt de la justice.
  • […] [63] Hitlab n’a pas « été empêchée de se défendre par fraude, par surprise ou par une autre cause jugée suffisante ». Par manque de diligence, elle a refusé de répondre aux procédures de M. Roberge pendant une période de plusieurs mois. Son président et actionnaire, M. Gauthier, a lui aussi fait preuve de laxisme, en cultivant un faux sentiment de sécurité, en minimisant l’importance de la Mise en demeure et en passant sous silence le courriel et le Nouvel avis de gestion qu’il a reçus personnellement de la part des avocats de M. Roberge. Ces manquements à répétition sont entièrement imputables à Hitlab.

c) L’effet du pourvoi en rétractation

Il est important de noter que le pourvoi en rétractation de jugement ne suspend pas l’exécution du jugement qui est visé. Si celui qui demande la rétractation du jugement souhaite suspendre l’exécution du jugement, il devrait par prudence le demander au tribunal, notamment s’il y a urgence et signifier les huissiers qui sont chargés de procéder à l’exécution du jugement (art. 350 C.p.c.).

Si le pourvoi en rétractation de jugement est accueilli, « les parties sont remises en l’état et le tribunal suspend l’exécution du jugement » (art. 348 al. 1 C.p.c.).

3. Points à retenir

Les points principaux concernant la procédure en rétractation de jugement sont les suivants :

  • Toute partie à une instance, et même parfois un tiers peut demander la rétractation d’un jugement;
  • La rétractation de jugement est une procédure exceptionnelle et les motifs à l’appui d’une telle demande doivent être conformes avec les exigences du Code de procédure civile;
  • Les délais pour signifier un pourvoi en rétractation de jugement et pour présenter une telle demande doivent être respectés, autrement le pourvoi peut être rejeté;
  • La procédure en rétractation de jugement ne suspend pas en soi l’exécution du jugement qui est attaqué;
  • La rétractation d’un jugement n’est pas un moyen de faire appel d’un jugement et ne doit pas être utilisée comme tel.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Art. 349 C.p.c.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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