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Bail commercial : pertes et vol des biens du locataire dans un entrepôt, qui est responsable ?

Bail commercial : pertes et vol des biens du locataire dans un entrepôt, qui est responsable ?

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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En matière de bail, est-ce qu’un locataire qui subit un vol de ses biens dans un entrepôt qu’il a loué peut poursuivre le propriétaire pour les pertes subies ? Voici un aperçu jurisprudentiel de la question.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2023-04

Date de mise à jour : n/a

1. Mise en situation

Le fondement d’un bail implique que le locateur (propriétaire) procure la jouissance paisible des lieux loués au locataire, qui en retour, doit lui payer un loyer (art. 1851 C.c.Q.).

Or, en matière de bail commercial, lorsqu’un locataire loue aussi un entrepôt commun pour y entreposer ses biens, il pourra arriver qu’en sus des dispositions en matière de bail au sens du Code civil du Québec (C.c.Q.), les dispositions du contrat de dépôt pourront trouver application.

Or, qu’arrive-t-il si le locataire d’un entrepôt est victime de pertes dues à un malfonctionnement des systèmes de conservation fournis par le propriétaire, ou s’il est victime d’un vol de ses biens dans un espace commun ? Est-ce que le propriétaire pourrait invoquer la force majeure dans ce cas afin de se dégager de sa responsabilité ?

La Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Aliments Étoile Arctique inc. c. Montenac International inc., 2023 QCCS 422, détaille ce cas de figure et expose le raisonnement juridique appliqué dans ce type de situation.

2. La location d'un entrepôt : un bail commercial et possiblement un contrat de dépôt

Dans l’affaire Aliments Étoile Arctique inc. c. Montenac International inc., 2023 QCCS 422, le demandeur, un distributeur alimentaire, a poursuivi le défendeur qui était le propriétaire d’un entrepôt où le demandeur entreposait ses biens. Le locataire y entreposait principalement des produits congelés, du poisson, etc.

Un bail commercial liait les parties, dans lequel il était prévu que le demandeur louait au défendeur un espace exclusif de congélateur pour entreposer ses biens, et entreposait également des biens dans l’entrepôt commun utilisé par d’autres clients et locataires du propriétaire (par. 9).

Au risque de se répéter, afin de bien comprendre la suite il est primordial de se rappeler de ce qui suit :

  • Le locataire louait une partie exclusive de l’entrepôt visé au bail, soit un congélateur – ce qui implique une qualification juridique particulière ;
  • Le locataire utilisait aussi un espace commun d’entreposage avec d’autres locataires – ce qui implique une autre qualification juridique.

Le demandeur a réclamé au propriétaire (défendeur) le coût des pertes d’aliments dû à une malfonction du congélateur dans son espace exclusif loué, et aussi en lien avec un vol ayant été commis dans l’entrepôt commun, le tout totalisant une somme de plus de 180 000$.

Le propriétaire de l’entrepôt, dans sa défense, plaidait que les pertes du locataire, notamment en ce qui concerne le vol qui a été commis, était une force majeure lui permettant de dégager sa responsabilité.

Dans cette affaire, la juge Michelin j.c.s. a déterminé que le propriétaire de l’entrepôt était responsable de l’entièreté des pertes du locataire.

La juge, dans son jugement (par. 25), rappelle le principe essentiel d’un contrat de bail, qui consiste en ce que « le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d’un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps » (art. 1851 C.c.Q.).

Considérant que le demandeur utilisait aussi l’espace commun d’entreposage pour entreposer ses biens, la juge a déterminé qu’il s’agissait aussi d’un contrat de dépôt (par. 32) concernant l’usage de cet espace.

Le contrat de dépôt est encadré par le Code civil du Québec (C.c.Q.) :

  • 2280. Le dépôt est le contrat par lequel une personne, le déposant, remet un bien meuble à une autre personne, le dépositaire, qui s’oblige à garder le bien pendant un certain temps et à le restituer.
  • Le dépôt est à titre gratuit; il peut, cependant, être à titre onéreux lorsque l’usage ou la convention le prévoit.

Ainsi, concernant l’espace commun d’entrepôt qui est utilisé par le locataire, le propriétaire des lieux est considéré comme un « dépositaire », et le locataire, le « déposant » au sens du C.c.Q. 

Ainsi, dans le cadre d’un contrat de dépôt, ce qui est protégé ce sont les biens qui sont entreposé (par. 35). Ici, dans le présent cas à l’étude, ce sont les biens du locataire entreposés dans l’espace commun qui étaient protégés par le contrat de dépôt.  

Ainsi, pour résumer :

  • En ce qui concerne l’espace exclusif (congélateur) loué par le locataire, cela est régit par le contrat de bail commercial, et donc les dispositions du bail au Code civil du Québec sont applicables ;
  • En ce qui concerne l’espace commun d’entreposage utilisé par le locataire et d’autres locataires de l’endroit, c’est le contrat de dépôt qui est applicable.

Considérant qu’il y avait donc un contrat de bail commercial agencé d’un contrat de dépôt, les obligations en vertu du bail commercial et du contrat de dépôt s'appliquent au propriétaire de l’entrepôt (par. 41 et suivants).

3. Espace exclusif : la responsabilité du propriétaire en vertu du bail commercial

Le propriétaire doit, en vertu du bail, procurer la jouissance paisible des lieux au locataire pendant toute la durée du bail (par. 1854 C.c.Q.), sauf si le préjudice résulte du trouble de fait qu’un tiers apporte à la jouissance du bien (art. 1859 al. 1 C.c.Q.). Le tribunal, toujours dans l’affaire Aliments Étoile Arctique inc. c. Montenac International inc., nous rappelle qu’il s’agit d’une obligation de résultat (par. 42).

Selon le tribunal, le fait que le congélateur ait eu une défaillance engage la responsabilité du propriétaire des lieux, car ce dernier n’a pas rempli son obligation de procurer jouissance paisible des lieux au locataire. Il a donc été déterminé que le propriétaire était responsable des pertes subies par le locataire dû a la défaillance du congélateur (par. 59 et 60).

4. Espace commun : la responsabilité en vertu du contrat de dépôt

Rappelons que dans l’affaire à l’étude le locataire a également poursuivi le propriétaire de l’entrepôt car un tiers a volé ses biens sur place dans l’espace commun d’entreposage. Vu que le vol a été commis par un tiers et non pas le propriétaire des lieux, le propriétaire a tenté de dégager sa responsabilité en plaidant la force majeure.

Le tribunal rappelle qu’en vertu des obligations qui découlent d’un bail, le propriétaire de l’entrepôt n’a pas de contrôle sur un tiers qui commet un vol, et n’est techniquement pas responsable des pertes subies par le locataire, sauf si le propriétaire des lieux n’a pas bien sécurisé l’entrepôt. Dans le cas où l’entrepôt aurait été mal sécurisé, le tribunal considère que cela aurait constitué une faute par le propriétaire en vertu de ses obligations qui découle du bail (par. 61).

Cependant, toujours dans l’affaire Aliments Étoile Arctique inc. c. Montenac International inc., le tribunal a jugé que les lieux étaient bien sécurisés, de sorte qu’il n’y avait pas de faute à ce titre par le propriétaire en vertu du contrat de Bail (par. 62 et 66).

Cependant, le propriétaire de l’entrepôt a été tenu responsable des pertes du locataire dues au vol dans l’espace commun en vertu du contrat de dépôt. En effet, en matière de contrat de dépôt, le propriétaire est responsable de la perte des biens entreposés en vertu de l’article 2289 C.c.Q., sauf s’il prouve la force majeure :

  • 2289. Le dépositaire est tenu, si le dépôt est à titre gratuit, de la perte du bien déposé qui survient par sa faute; si le dépôt est à titre onéreux ou s’il a été exigé par le dépositaire, celui-ci est tenu de la perte du bien, à moins qu’il ne prouve la force majeure.

Invoquant l’absence de contrôle sur la situation face au vol qui a été subit par le locataire, le propriétaire a invoqué la force majeure pour dégager sa responsabilité.

La défense de force majeure est prévue par l’art. 1470 C.c.Q. :

  • 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.
  • La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

Le tribunal a cependant déterminé qu’un vol n’était souvent pas un cas de « force majeure » en vertu de la jurisprudence (par. 72).

Ainsi, pour appuyer son raisonnement, le tribunal rappelle les faits particuliers de l’affaire (TRADUCTION - voir l’original en anglais ici) :

  • [77] Le tribunal ne considère pas que le vol soit le résultat d'une force majeure.
  • [78] Selon Downie, la porte extérieure de l'entrepôt était généralement ouverte durant la journée mais la porte intérieure était toujours verrouillée et accessible avec la clé ou le code de la clé. Au moment du vol, il y avait des caméras à cinq endroits différents du bâtiment, qui montraient des images de l'extérieur et de l'intérieur du bâtiment et auxquelles Downie pouvait accéder en temps réel, mais elles n'avaient pas de capacité d'enregistrement.
  • [79] La nuit, toutes les portes étaient verrouillées et il y avait un système d'alarme et des détecteurs de mouvement. Si l'alarme ou le détecteur de mouvement se déclenche, la compagnie d'alarme appelle Downie et envoie un agent de sécurité sur les lieux pour enquêter.
  • [80] Lorsque Downie arrive le matin du vol, les serrures ne semblent pas avoir été manipulées. Les voleurs semblent avoir utilisé le monte-charge de Montenac pour transporter les palettes du congélateur au camion. Les clés du camion se trouvaient dans une armoire du bureau de M. Downie, qui n'est généralement pas fermée à clé. Les voleurs semblent les avoir prises dans le bureau. Il s'agit du deuxième vol en quelques années. Downie avait changé les serrures après le dernier vol.
  • [81] Comme Montenac a connu un vol dans des circonstances similaires quelques années seulement avant le vol de 2016, il n'était pas imprévisible qu'un tel vol soit possible. Les circonstances du vol de 2016 n'étaient pas extraordinaires au point de rendre l'événement irrésistible.
  • [82] En conséquence, Montenac est responsable de la perte du produit d'Aliments qui a été volé dans la section de Montenac […].

Le jugement ci-haut analysé démontre que la qualification du contrat, outre son titre, est déterminé par les faits du dossier. Ici nous étions face à un bail commercial, mais il a été également déterminé qu’il s’agissait aussi d’un contrat de dépôt en particulier pour certains usages, malgré que cela n’ait pas été expressément mentionné par les parties dans le bail. Ainsi, le tribunal n’est pas lié par la qualification que les parties font de leur contrat.

Aussi, le point ayant été déterminant concernant la responsabilité du propriétaire dû au vol commis dans l’entrepôt était notamment dû aux faits particuliers en cause. En effet, il a été déterminé que vu que le propriétaire avait subi un vol dans des circonstances similaires quelques années avant le vol dont il était question, cela faisait notamment échec à la défense de force majeure.

Finalement, il est à retenir qu’une analyse factuelle et contractuelle est fondamentale afin de bien qualifier les obligations du propriétaire et du locataire.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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