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Clauses pénales dans un contrat : quelle est la limite ?

Clauses pénales dans un contrat : quelle est la limite ?

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Dans le cadre de la rédaction de divers contrats, par exemple une convention unanime d’actionnaires, une transaction de vente d’entreprise ou même un contrat de travail, il est commun d’inclure des clauses pénales établissant à l’avance le montant d’argent qui sera imposé en cas de violation d’une obligation contractuelle d’une partie. Ces clauses sont aussi connues sous l’expression « clauses de dommages-liquidés ». Bien que pratiques et ayant un effet dissuasif, il arrive que les tribunaux réduisent les sommes réclamées en vertu de ce type de clauses. L'affaire 9264-7965 Québec inc. c. Clinique vétérinaire Villeray Papineau, 2019 QCCS 5668 nous offre l’occasion de revenir sur les principes applicables en la matière.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : mars 2020

Dernière mise à jour : juillet 2023 (première mise à jour)

1. Clauses pénales : rappel des principes applicables

Lorsqu’elles conviennent d’une clause pénale, les parties stipulent une peine qui pourra être imposée dans le cas où l’une d’elles n’exécuterait pas une de ses obligations prévue au contrat[1]. Normalement, il s'agira de sommes payables en argent à titre de dommage.

En de telles circonstances, l’autre partie doit en principe choisir entre réclamer l’exécution de l’obligation ou encore réclamer le montant de la peine[2].

L’article de principe est l’article 1622 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit :

  • 1622. La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation.
  • Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l’exécution en nature de l’obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l’exécution et la peine, à moins que celle-ci n’ait été stipulée que pour le seul retard dans l’exécution de l’obligation.

Une clause pénale peut donc avoir pour effet d’indemniser (compensatoire) celui qui en demande l’application et/ou de dissuader (comminatoire) la personne contre qui la clause est stipulée, d’y contrevenir[3].

Si une clause prévoyant une pénalité en cas de non-respect d'une obligation du contrat est appliquée, celui qui l'applique ne peut pas réclamer des dommages supplémentaires en plus des dommages prévus à la clause (9293-8018 Québec inc. c. Stern, 2023 QCCA 804, par. 41).

2. Fonction compensatoire de la clause pénale

La fonction « compensatoire » a pour utilité d’évaluer à l’avance les dommages-intérêts qui pourront être réclamés à la partie en défaut afin d’éviter à la partie qui réclame l’application de la clause pénale d’avoir à prouver l’ampleur du préjudice qu’elle a subi dans le cadre d’une poursuite judiciaire[4].

3. Fonction dissuasive (comminatoire) de la clause pénale

La fonction « comminatoire » sert à dissuader une partie de manquer à ses obligations en étant supérieure au préjudice que pourrait subir l’autre partie en cas de violation d’une obligation contractuelle[5].

4. L’intervention du tribunal, par exemple si la clause pénale est abusive

Dans certains cas, il peut arriver que le tribunal intervienne pour réduire le montant réclamé en vertu de la clause pénale dans deux cas : « si l’exécution partielle de l’obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive »[6].

Cette intervention possible du tribunal peut se faire dans tous les types de contrats, et non pas seulement ceux se qualifiant de contrat d’adhésion ou de consommation[7].

5. Exemple jurisprudentiel en matière de réduction d’une clause pénale abusive

À titre d’exemple d’application des principes légaux décrits ci-avant, examinons l’affaire 9264-7965 Québec inc. c. Clinique vétérinaire Villeray Papineau, 2019 QCCS 5668.

Dans cette affaire, un vétérinaire vend sa clinique à un collègue[8] et cette vente s’accompagne d’une Convention de non-concurrence et de non-sollicitation dans un rayon de 20 km de la clinique vendue stipulée à l’encontre du vétérinaire vendeur[9].

On retrouve dans la convention une clause pénale qui donne le droit au vétérinaire acheteur d’exiger du vétérinaire vendeur, à compter du moment où ce dernier devient en défaut en vertu de la Convention de non-concurrence, un montant de 25 000$ par jour de contravention[10].

Reproduites dans le jugement au paragraphe 112, les dispositions particulières en cause sont les suivantes :

[112]      La Clause de pénalité comme telle se présente ainsi :

  • De plus, chacun de [9264] et Dr Sikorski, s’il est en défaut de respecter l’un des engagements précités, convient de verser, sur simple demande, à compter du moment où il devient en défaut, à Dr Dubé, un montant de vingt-cinq mille dollars (25 000 $) par jour, à titre de pénalité, le tout sans autre formalité ni avis. […]

[113]      Celle-ci est incorporée à la clause dite de « Défaut » de la Convention de non-concurrence (la Clause de défaut) :

  • 4.         DÉFAUT
  • De plus, chacun de [9264] et Dr Sikorski, s’il est en défaut de respecter l’un des engagements précités, convient de verser, sur simple demande, à compter du moment où il devient en défaut, à Dr Dubé, un montant de vingt-cinq mille dollars (25 000 $) par jour, à titre de pénalité, le tout sans autre formalité ni avis. […]

Le vétérinaire acheteur, considérant que le vétérinaire vendeur a contrevenu à la Convention de non-concurrence et de non-sollicitation pendant 47 jours, s’est adressé à la Cour supérieure pour réclamer la somme de 1 175 000,00$[11].

Après avoir déterminé que la clause pénale était valide[12], le tribunal se demande si la pénalité est abusive et si elle devrait être réduite[13].

Aux fins de son analyse, le juge Brossard J.C.S. indique qu’une clause pénale peut être abusive de deux façons : de façon intrinsèque ou de façon circonstancielle[14].

Il précise ces définitions en mentionnant d’abord que l’abus intrinsèque est une disproportion entre la pénalité et l’obligation dont on souhaite le respect, et ensuite que l’abus circonstanciel est quant à lui une disproportion entre la pénalité le préjudice réellement subi par le cocontractant[15]. Voici un extrait du jugement au paragraphe 134 :

  • [134]      Une clause pénale peut avoir un caractère abusif intrinsèque ou circonstanciel. Il sera intrinsèque s’il y a disproportion entre la pénalité prévue et la contrepartie ou l’importance de l’obligation qu’elle sanctionne. Il sera circonstanciel lorsque la pénalité, raisonnable dans certaines circonstances d’inexécution de l’obligation, ne l’est pas dans d’autres, parce qu’elle est disproportionnée au préjudice réellement subi.

Pour l’analyse du caractère abusif intrinsèque, le juge Brossard J.C.S. indique notamment qu’il doit tenir compte de la fonction dissuasive de la clause pénale et de la qualité du consentement des parties lors de la négociation du contrat[16].

Pour l’analyse du caractère abusif circonstanciel, le juge précise que le vétérinaire vendeur, débiteur du montant de la clause pénale, a le fardeau de prouver que la pénalité excède largement le préjudice subi par le vétérinaire acheteur[17].

Pour apprécier cet excès, le juge Brossard J.C.S. reprend les critères doctrinaux suivants qui ont été retenus par la Cour d’appel du Québec dans la décision largement citée Robitaille c. Gestion L. Jalbert, 2007 QCCA 1052, au paragraphe 55 :

  • « […] Premièrement, le débiteur ne devrait pas être forcé de payer au créancier une somme très supérieure à celle qui lui serait attribuée si aucune faute n'avait été commise et si le contrat avait été exécuté comme prévu, autrement la clause violerait le principe de l'enrichissement injustifié. Deuxièmement, afin de préserver le caractère comminatoire de la clause, la pénalité, une fois réduite, doit demeurer substantiellement supérieure aux dommages-intérêts qu'aurait obtenus le créancier si aucune clause pénale n'avait existé. Troisièmement, des circonstances doivent être prises en compte pour apprécier le caractère abusif (tels la gravité ou le caractère délibéré de la faute, les répercussions financières de la pénalité sur le débiteur). [18] ».

Analysant le caractère abusif intrinsèque, le juge retient que le montant élevé de la clause pénale, 25 000,00$ par jour de contravention, se justifie en raison de son caractère dissuasif. Mais surtout, il retient que l’actionnaire vendeur n’était pas dans une situation de vulnérabilité lors des négociations et qu’il n’a donc aucun doute sur la qualité de son consentement[19]

Le juge parvient toutefois à la conclusion que la clause est abusive de façon circonstancielle puisque la somme réclamée dépasse 1 000 000,00$ alors que la preuve permet au mieux de croire à une perte théorique totale de revenus potentiels qui ne dépasserait vraisemblablement pas 15 000,00$[20]. Il convient toutefois qu’il faut préserver le caractère dissuasif de la clause et qu’il faut également tenir compte de certaines circonstances entourant les violations du vétérinaire vendeur[21].

Au final, le juge Brossard J.C.S. indique qu’une pénalité de 55 000,00$ lui paraît acceptable dans les circonstances[22].

6. Conclusion

Il peut être tentant d’établir des clauses pénales impressionnantes afin d’inciter les cocontractants à respecter leurs obligations. Cette façon de faire peut certainement contribuer à atteindre l’objectif de dissuasion qui est fondamental à la notion de clause pénale. Il faut par contre garder à l’esprit qu’il est possible qu’un tribunal intervienne à la demande d’une partie en cas d’application de la clause et que la somme réclamée en vertu de la clause pénale soit révisé à la baisse, et ce, malgré l’adage général à l’effet que le contrat est la « loi des parties ». Il est important de retenir que même si la peine stipulée dans la clause est acceptable en raison de son caractère dissuasif et de la qualité du consentement des parties, elle pourrait malgré tout être jugée abusive de façon circonstancielle en étant disproportionnée relativement au préjudice réellement subi par la partie réclamant l’application de cette clause pénale.

Il est donc important, dans la rédaction d’une clause pénale, de s’assurer de la légalité de la clause afin que celle-ci garde un haut niveau d’intégrité dans son application, advenant une potentielle intervention d’un tribunal.  

* Article écrit en collaboration avec Martin Ouellette, étudiant en droit et parajuriste chez St-Aubin Avocats inc.

ATTENTION : Les informations de cet article sont d’ordre général et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Les faits peuvent varier d’une situation à l’autre et potentiellement changer toute réponse d’ordre juridique. Une consultation avec un avocat concernant votre cas particulier est vivement recommandée.


[1] Art. 1622 al.1 C.c.Q.

[2] Art. 1622 al. 2 C.c.Q.

[3] La fonction d’une clause pénale peut être compensatoire, comminatoire (dissuasive) ou encore être les deux à la fois : Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2012, p.1873, n° 3001.1.

[4] Art. 1623 al.1 C.c.Q. ; Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2012, p.1876, n° 3003.

[5] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2012, p.1873, n° 3001.1.

[6] Art. 1623 al.2 C.c.Q.

[7] Art. 1623 al.2 C.c.Q.; Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2012, p.1880, n° 3007.

[8] 9264-7965 Québec inc. c. Clinique vétérinaire Villeray Papineau, 2019 QCCS 5668, par. 1, 2, 15 et 18.

[9] Id., par. 17 et 25.

[10] Id., par. 112.

[11] Id., par. 124.

[12] Id., par. 122.

[13] Id., par. 123 et ss.

[14] Id., par.134.

[15] Id., par.134.

[16] Id., par 135 à 138.

[17] Id., par.139.

[18] Id., par.140.

[19] Id., par.151 à 154.

[20] 9264-7965 Québec inc. c. Clinique vétérinaire Villeray Papineau, 2019 QCCS 5668, par.156.

[21] Id., par.159 et 160.

[22] Id., par.161.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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