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Construction et contrat à forfait : les dépassements de coûts ou « extras »

Construction et contrat à forfait : les dépassements de coûts ou « extras »

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Fréquent dans le domaine de la construction, le contrat à forfait (ou contrat forfaitaire) fait souvent l’objet de litige. Normalement dans le cadre d’un contrat à forfait, les prix sont fixes et non sujets à changement. Même si cette règle semble claire, il arrive parfois que des événements surviennent en cours d’exécution du contrat et que des « extras » ou dépassements de coûts s’en suivent. Comment le droit s’applique-t-il aux clients et entrepreneur? Retour sur les principes applicables et analyse de la jurisprudence pertinente à cet égard.

Auteur : Manuel St-Aubin, avocat*

Date de rédaction : 4 mars 2020

Qu’est-ce qu’un contrat à forfait ?

Le contrat à forfait est un type de contrat d’entreprise ou de service liant un entrepreneur et un client et qui est décrit à l’article 2109 du Code civil du Québec[1], article reproduit ci-dessous :

2109. Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.

Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.

Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement.

Contrairement au contrat fondé sur une estimation ou celui fondé sur la valeur des travaux ou services exécutés, dans un contrat à forfait les obligations de chacune des parties sont figées du début à la fin à moins que toutes les parties s’entendent à le modifier.

Le contrat à forfait a donc 2 effets :

  1. Il n’est pas possible pour l’entrepreneur de réclamer au client un prix plus élevé en raison du fait que l’ouvrage ou le service a coûté plus cher à réaliser que ce qui avait été prévu.
  2. De même, le client ne peut réclamer un prix moindre à l’entrepreneur en raison du fait que l’ouvrage ou le service a coûté moins cher que prévu.

Dans un contrat à forfait l’entrepreneur s’engage normalement à fournir un ouvrage ou un service en fonction d’un plan ou d’un devis précis provenant du client et à un prix qui comprend toutes les dépenses prévues par l’entrepreneur associées à la réalisation de l’ouvrage ou du service[2]. Le client s’engage en retour à payer le prix convenu.

Le contrat à forfait peut être absolu ou relatif[3]. Il est absolu lorsque le contrat ne comprend aucune clause permettant de modifier les plans et devis du contrat ou d’y ajuster le prix en cas de modifications; les parties sont alors tenues de respecter le contrat de manière scrupuleuse. À l’inverse, il est relatif lorsque les parties ont prévu des clauses permettant de modifier les plans et devis du contrat ou permettant d'encadrer l’ajustement du prix si des imprévus avaient à se manifester.

Bien entendu, il demeure toujours possible pour les parties de s’entendre pour modifier le contrat à forfait de manière à y ajouter des paramètres, en soustraire et à y revoir le prix.

Qu’en est-il des réclamations en cas d’«extra»[4]?

*Notes : Voir nos commentaires à la note 4 concernant l’utilisation du terme « extra ».

Il est important de mentionner que lors de la négociation d’un contrat à forfait, plusieurs clauses peuvent être convenues afin de prévoir des situations de dépassement de coût et autres situations qui pourraient survenir pendant l’exécution du contrat.

Dans l’éventualité où le contrat en est un à forfait absolu, c’est-à-dire où aucune clause relativement à des coûts supplémentaires n’est prévue, il existe des situations ouvrant la porte à des réclamations par l’entrepreneur, les voici :

  • soit que les coûts supplémentaires sont de la faute directe du client;
  • soit que le contrat d’origine a été modifié;
  • soit qu’il y a eu un nouveau contrat, c’est-à-dire que les travaux supplémentaires demandés sont en sus du contrat d’origine parce qu’ils n’étaient pas inclus dans le forfait[5].

Dans le premier cas, plusieurs jugements[6] ont reconnu que la responsabilité du client était engagée lorsque les coûts supplémentaires étaient causés soit par le manque de diligence du client ou de ses partenaires, soit par la négligence du client à honorer son obligation de renseignement. Dans ces cas, l’entrepreneur pourra notamment demander d’être dédommagé en raison de la faute du client, ce dédommagement découlera alors de la faute civile du client plutôt qu’à un changement du prix du contrat et seront considérés comme des dommages-intérêts.

Par exemple, des « extras » pourraient être potentiellement accordés dans les situations suivantes :

  1. Le client manifeste son manque de diligence envers l’entrepreneur lorsque l’intervention du client était nécessaire à certaines étapes du contrat et qu’il n’a pas agi dans un délai raisonnable, ce qui aurait pour effet d’engendrer des coûts supplémentaires pour l’entrepreneur[7];
  2. Le client ou ses partenaires ont engendré des délais supplémentaires qui n’étaient pas prévus ni dans le contrat ni dans les plans et devis ce qui a eu pour effet d’allonger la tâche de l’entrepreneur et d'engendrer des coûts supplémentaires[8].
  3. Le client fournit des renseignements ambigus, déficients, erronés, imprécis ou inadéquats à l’entrepreneur et de ce fait le client ne respecte pas son obligation de renseignement envers l’entrepreneur. Dans ce cas, cela aurait pour effet de vicier l’analyse du prix forfaitaire par l’entrepreneur[9].

Lorsqu’un entrepreneur réclame le paiement de coûts supplémentaires ou d’extras, le fardeau de la preuve reviendra à l’entrepreneur qui devra démontrer notamment la faute du client et/ou le fait que les dépassements de coûts ne sont pas imputables à l’entrepreneur, mais bien au client[10].  

Dans les deux derniers cas, soit lorsque le contrat d’origine a été modifié ou lorsqu’il y a eu un nouveau contrat, les tribunaux ont précisé la nécessité de démontrer qu’il y a eu accord entre les parties[11]. Cet accord peut lui-même être prouvé notamment de trois manières :

  • soit qu’il a été exprimé de manière directe, l’entrepreneur et le client s’étant entendus par écrit ou verbalement pour le modifier[12];
  • soit qu’il a été exprimé tacitement[13], c’est-à-dire que le comportement d’une ou des parties a laissé croire qu’il y a eu acceptation des coûts supplémentaires ou qu’il y a un nouveau contrat entre les parties pour un nouvel ouvrage ou service;
  • soit par témoignage en raison d’un commencement de preuve[14] ou d’une présomption de fait[15];

Si l’entrepreneur réussit à faire la preuve que les coûts supplémentaires ont été engendrés à la demande du client ou par la faute de ce dernier, à moins que la valeur des travaux ait été déterminée par les parties à l’avance dans le contrat, la valeur des coûts réclamés pourrait être déterminée en fonction de la règle du quantum meruit[16], soit la valeur des travaux effectués.

Conclusion

Il est important de retenir qu’un contrat à forfait implique que les obligations de chacune des parties restent normalement immuables, à moins qu’il existe une entente modifiant le contrat ou prévoyant un mode de fonctionnement pour certaines situations particulières. Ainsi, il est important pour les parties de bien formuler les contrats et analyser notamment les plans et devis avant de s’engager.

* Article écrit en collaboration avec Danny Latour, étudiant en droit.

* ATTENTION : Les informations de cet article sont d’ordre général et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Les faits peuvent varier d’une situation à l’autre et potentiellement changer toute réponse d’ordre juridique. Une consultation avec un avocat concernant votre cas particulier est vivement recommandée.


[1] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.

[2] St-Louis & Frère inc. c. Raymond, 2013 QCCS 5913 (CanLII), par. 27, 30, 31.

[3] Birdair inc. c. Danny's Construction Company Inc., 2013 QCCA 580 (CanLII), par. 77; Pincourt (Ville de) c. Construction Cogerex ltée, 2013 QCCA 1773 (CanLII), par. 248.

[4] Il faut faire attention lorsque l’on emploie le terme « extra », ce dernier devrait être utilisé avec prudence en raison de son imprécision. En effet, historiquement, ce terme été associé à plusieurs situations différentes : de nouveaux travaux demandés qui n’étaient pas inclus au contrat, des changements effectués dans les plans et devis, les coûts supplémentaires associés aux aléas du marché et les coûts engendrés par une force majeure, par la faute du client lui-même ou par des travaux imprévisibles. Tous ces cas impliquent des coûts supplémentaires à l’entrepreneur. Les tribunaux semblent aujourd’hui limiter l’utilisation du terme « extra » aux modifications des travaux prévus dans les plans et devis. Voir à cet effet Langelier c. Société immobilière 10-10 Québec Inc., 2002 CanLII 20993 (QC CQ), par. 32.

[5] Vincent KARIM, Contrats d'entreprise, contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 916.

[6] Constructions Carbo inc. c. Québec (Transports), 2004 CanLII 44573 (QC CS), par. 39-43 ; Construction Claude Caron & Fils inc. c. Trois-Rivières (Ville), 2000 CanLII 19133 (QC CS), par. 36-38 ; Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite/St-Felicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec Inc., 2005 QCCA 441 (CanLII), par. 92, 95, 96, 98-100 ; 9148-0657 Québec inc. c. EBC inc., 2018 QCCS 3522 (CanLII), par. 37, 38, 42-44 ; Vincent KARIM, préc., note 5,par. 849.

[7] Desbiens Techni services inc. c. Québec (Procureur général), AZ-50285702, J.E. 2005-532 (C.S.) (appel rejeté) dans Vincent KARIM, préc., note 5,par. 913; Vincent KARIM, préc., note 5,par. 860-861.

[8] Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite/St-Felicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec Inc., préc., note 6, par. 95-96, 100.

[9] Vincent KARIM, préc., note 5,par. 836 ; Construction Claude Caron & Fils inc., préc, note 5.

[10] Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite/St-Felicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec Inc., préc., note 6, par. 28, 56, 99.

[11] Constructions I. Brousseau Inc. (Les) c. Beaulieu, 1996 CanLII 12014 (QC CQ), par. 12, 13 ; Langelier c. Société immobilière 10-10 Québec Inc., préc., note 4, par. 32-34.

[12] Constructions I. Brousseau Inc. (Les) c. Beaulieu, préc. note 11.

[13] Vincent KARIM, préc., note 5,par. 886, 894.

[14] Code civil du Québec, préc. note 1, art. 2862, 2863, 2865.

[15] Constructions I. Brousseau Inc. (Les) c. Beaulieu, préc. note 11.

[16] 167190 Canada inc. c. Giannakis, 1998 CanLII 10917 (QC CQ), par. 34, 35.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).