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Contamination des sols et vices cachés : analyse de la responsabilité du vendeur et des consultants en environnements

Contamination des sols et vices cachés : analyse de la responsabilité du vendeur et des consultants en environnements

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Les litiges relatifs aux sols contaminés sont depuis quelques années de plus en plus importants, à mesure que la sensibilisation du public et des autorités réglementaires aux questions environnementales augmente. À cet égard, l’affaire Paintwell Ltd. c. Entreprises Géraldeau et Fils inc., 2023 QCCS 2257 de la Cour supérieure du Québec est intéressante pour les raisons suivantes : il est question du cadre juridique applicable dans le contexte d’un litige relatif à des sols contaminés et aussi de la responsabilité des consultants en environnement en matière de réhabilitation de sols contaminés. Ci-après un résumé des règles applicables.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2023-09

Date de mise à jour : 2024-03

1. Sols ou terrain contaminé : est-ce un vice caché ?

La jurisprudence a à plusieurs reprises considéré que la présence de sols contaminés pouvait être un vice caché.

La question se pose parfois à savoir si la question doit être prise de l’angle de la garantie de propriété (art. 1723 et suivants C.c.Q.) ou de la garantie de qualité (garantie contre les vices cachés de l’article 1726 C.c.Q.).

Voici certains extraits des articles du Code civil du Québec (C.c.Q.) applicables en matière de garantie de propriété :

  • 1723. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien est libre de tous droits, à l’exception de ceux qu’il a déclarés lors de la vente. […]
  • 1725. Le vendeur d’un immeuble se porte garant envers l’acheteur de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent le bien et qui échappent au droit commun de la propriété.
  • Le vendeur n’est pas tenu à cette garantie lorsqu’il a dénoncé ces limitations à l’acheteur lors de la vente, lorsqu’un acheteur prudent et diligent aurait pu les découvrir par la nature, la situation et l’utilisation des lieux ou lorsqu’elles ont fait l’objet d’une inscription au Bureau de la publicité foncière.

Et voici l’article principal du C.c.Q. concernant la garantie légale de qualité :

  • 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
  • Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

a) Cadre juridique applicable lorsque l’immeuble ne contrevient pas aux règles environnementales, mais qu’il est presqu’inutilisable sans y contrevenir

Il arrivera parfois qu'un acheteur achète un terrain dans l'optique de se bâtir, mais qu'il s'aperçoit malheureusement qu'il est impossible de procéder car la réglementation l'en empêche, de sorte que le terrain n'a plus d'utilité, et quasiment plus aucune valeur pour celui qui l'a acheté. Dans ces cas, il y a parfois des solutions.

À titre d'exemple, dans une action d’un acheteur contre le vendeur d’un terrain se trouvant quasi-inconstructible à cause de certaines règles environnementales, la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Tougas c. Malo, 2018 QCCS 4952, écarte l’application de la garantie légale de qualité notamment pour les raisons suivantes :

  • [30] Lorsqu’un immeuble contrevient à des règles environnementales, les tribunaux y voient parfois un problème mettant en cause la garantie de qualité. Les auteurs Jobin et Cumyn sont cependant d’avis que c’est plutôt à la garantie du droit de propriété qu’il convient de faire appel dans de telles circonstances :
  • […]
  • [31] En l’espèce, il semble d’autant plus justifié d’écarter la garantie de qualité étant donné qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure que, au moment de la vente, le terrain de M. Malo contrevenait à quelque règle environnementale que ce soit. Il s’avère seulement que, dans son état naturel, le terrain se trouvait — et se trouve toujours —assujetti à certaines règles environnementales ayant pour effet d’en limiter la constructibilité. Or, comme le soulignait le juge Daniel W. Payette dans une affaire similaire à la présente, « la condition d’un bien qui se trouve dans son état naturel ne peut constituer un vice caché au sens de l’article 1726 du Code civil »[9].
  • [32] Le fait que le terrain ne contrevenait à aucune règle environnementale lors de la vente fait également en sorte que M. Tougas ne peut avoir gain de cause sur le fondement de l’article 1725 C.c.Q., l’une des trois dispositions du Code relatives à la garantie du droit de propriété. À sa face même, cet article ne s’applique qu’en cas de violation à une limitation de droit public échappant au droit commun de la propriété; il est donc inapplicable en l’espèce.

Cependant, la Cour mentionne que la garantie de propriété visée à l’article 1723 C.c.Q. pourrait être applicable :

  • [33] Ce n’est cependant pas le cas de l’article 1723 al. 1 C.c.Q., qui prévoit que « le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien est libre de tous droits, à l’exception de ceux qu’il a déclarés lors de la vente […] ».
  • [34] En effet, depuis l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Chartré[10], il est acquis que les droits dont il est question à cette disposition du Code civil ne sont pas limités aux droits de nature privée. Les auteurs Jobin et Cumyn expliquent que les droits de nature publique qui sont analogues à des droits de nature privée et qui grèvent un immeuble en particulier doivent désormais être considérés comme étant eux aussi visés par l’article 1723 al. 1 C.c.Q.[11]. Les auteurs donnent notamment l’exemple d’une bande de protection riveraine, et ils citent avec approbation un jugement de la Cour du Québec ayant conclu en ce sens[12].
  • [35] La garantie énoncée à l’article 1723 al. 1 C.c.Q. est applicable dès lors que le droit en question était né au moment de la vente, qu’il n’a pas été déclaré par le vendeur et qu’il était inconnu de l’acheteur[13]. De plus, l’acheteur doit, par écrit et dans un délai raisonnable, dénoncer au vendeur le droit risquant de porter atteinte à son droit de propriété (article 1738 C.c.Q.).

Finalement, la Cour écarte un des éléments de défense du vendeur :

  • [36] […] Par ailleurs, M. Malo ne peut se rabattre sur le fait qu’il ne savait pas, au moment de la vente, qu’un milieu humide et des plaines inondables rendaient le terrain en grande partie inconstructible, car « le vendeur répond même des droits dont il ignorait l’existence; sa bonne ou mauvaise foi n’est pas pertinente »[14].

Il est important de comprendre de la décision précitée que le terrain, au moment de sa vente, ne contrevenait à aucune loi environnementale. La situation était plutôt qu’il était impossible d’y faire des constructions sans y contrevenir.

Il en est tout autre lorsque le terrain, par exemple, était contaminé et contrevenait aux normes environnementales au moment de la vente.

b) Cadre juridique applicable lorsque l’immeuble contrevient aux règles environnementales lors de son achat

En matière de sols contaminés, les tribunaux ont reconnu qu’il s’agissait de vices cachés couverts par la garantie légale de qualité (art. 1726 C.c.Q.), notamment dans les affaires suivantes :

Dans la situation où un immeuble était en contravention avec les normes environnementales au moment de la vente, l’on se tournera notamment vers la garantie légale de qualité contre les vices cachés, du moment que les quatre (4) critères suivants sont réunis :

  1. Le vice est caché;
  2. Il est suffisamment grave;
  3. Inconnu de l’acheteur; et,
  4. Antérieur à la vente.

Il est également rappelé par la jurisprudence que le vice doit être grave et engendrer un déficit d’usage, c’est-à-dire que le vice doit affecter l’usage que l’acheteur destinait à l’immeuble lors de l’achat. À titre d’exemple, en matière commerciale, la présence d’un ilot de contamination minime par rapport à l’ensemble des travaux de réhabilitation d’un site peut être considéré comme n’étant pas assez grave par la Cour, comme cela a été le cas dans l’affaire Paintwell Ltd. c. Entreprises Géraldeau et Fils inc., 2023 QCCS 2257 (par. 129 et suivants).

Aussi, l’affaire Badin c. 3633012 Canada inc., 2023 QCCS 3258 est intéressante, car en matière de contamination des sols par des hydrocarbures et la présence d’un réservoir de mazout enfoui, la Cour retient la responsabilité du vendeur en vertu de trois (3) régimes de responsabilité :

  • La responsabilité est retenue en vertu de la garantie légale de qualité selon l’article 1726 C.c.Q. (par. 31) ;
  • La responsabilité est retenue en vertu de la garantie du droit de propriété selon l’article 1725 C.c.Q. à cause de contraventions à des lois et règlements en matière d’environnement à cause de la présence d’un réservoir souterrain de mazout (par. 97 et suivants) ;
  • La responsabilité est retenue en vertu de la garantie de délivrance et de la garantie conventionnelle, car le vendeur garantissait dans l’acte de vente que « L’immeuble ne déroge pas aux lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement » (par. 107).

Il ressort également de la jurisprudence étudiée que la contravention à la législation environnementale doit être existante au moment de la vente. Le tout variera évidemment s’il s’agit d’un immeuble à vocation résidentielle, commerciale ou industrielle. Les normes environnementales varient grandement dans ces cas.

2. La responsabilité professionnelle des consultants en environnement en cas de contamination des sols

La Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Paintwell Ltd. c. Entreprises Géraldeau et Fils inc., 2023 QCCS 2257, rappelle la façon dont doit être analysée la responsabilité des consultants en environnement dans les travaux de caractérisation et de réhabilitation des sols (par. 167 et suivants).

Dans cette affaire, une première firme de consultants en environnement avait effectué une réhabilitation des sols avant la vente et il était donc supposé ne plus y avoir de contamination au-delà de la limite réglementaire.

Par la suite, l’immeuble a été vendu et d’autre travaux de réhabilitation du site avec une autre firme de consultants ont permis la découverte d’un ilot de contamination excédant le critère C (limite réglementaire en matière commerciale/industrielle).

Le Tribunal, à l’occasion de son analyse, énonce le niveau de responsabilité des consultants, en départageant s’ils ont une obligation de « moyen » ou de « résultant ». Sur ces deux notions, le Tribunal s’exprime ainsi :

  • [172] L’obligation de moyens implique de promettre « de prendre les moyens requis pour atteindre un résultat », alors que celle de résultat est de promettre d’atteindre ce résultat[102]. De même, le professeur Jean-Louis Baudouin explique les deux obligations comme suit[103]:
  • 34 – Obligation de moyens – L'obligation de moyens est celle qui exige que le débiteur agisse avec prudence et diligence en vue d'obtenir le résultat convenu, en employant tous les moyens raisonnables, sans toutefois assurer le créancier de l'atteinte du résultat. […]
  • 35 – Obligation de résultat – l'obligation de résultat est celle qui exige que le débiteur fournisse au créancier un résultat précis et déterminé. […]
  • 38 – Critère – […] pour départager les obligations de moyens et celles de résultat, le critère le plus utile à notre avis est celui de l'aléa. Il s'agit d'examiner concrètement le caractère plus ou moins incertain de la prestation à laquelle s'est engagé le débiteur, c'est-à-dire les probabilités qu'il puisse effectivement procurer au créancier le résultat envisagé. […]

Dans son analyse, le Tribunal évalue le niveau de responsabilité à chaque étape du travail des consultants en environnement comme suit :

a) Au stade de l’Étude Phase I 

Il est question d’une responsabilité de moyen pour le consultant (par. 176), car cette étude « permet de réduire – mais non d’éliminer – l’incertitude quant au risque de contamination, à la manière d’un contrat d'inspection préachat d'une maison qui vise à éviter la mauvaise surprise d’un vice caché » (par. 175).

b) Lors de la caractérisation environnementale Phase II et de la réhabilitation environnementale

Concernant la caractérisation environnementale Phase II, le Tribunal rappelle l’objet de ce type de travail ainsi :

  • [179] De manière générale, la Phase II a pour objet de confirmer la présence et la nature des contaminants, de même que leurs concentration et volume, et de déterminer quels secteurs sont effectivement contaminés[109]. Une fois que l’étendue de la contamination est définie, il est alors aisé d’évaluer les coûts de décontamination et les meilleures méthodes pour ce faire, considérant les particularités du terrain. Pour cette raison, la Phase II est souvent obligatoire avant de procéder à la réhabilitation environnementale d’un site.

Concernant la réhabilitation environnementale, le Tribunal considère qu’il s’agit d’une obligation de moyen :

  • [183] Même si l’étape de réhabilitation est plus grave de conséquences, et qu’il pourrait sembler logique d’y rattacher une obligation de résultat, le Tribunal est d’avis qu’il faut tenir les consultantes en environnement affectées d’une tâche de réhabiliter des sols à une obligation de moyens.

[…]

  • [189] […] Ainsi, les professionnels de l’environnement qui réhabilitent des terrains contaminés doivent employer tous les moyens raisonnables pour ce faire, sans être tenus à une obligation de résultat.

Toujours dans cette affaire, le Tribunal juge qu’un consultant en environnement commettra une faute engendrant sa responsabilité s’il ne pousse pas plus loin ses investigations s’il existe « des signes visuels et olfactifs [qui suggèrent] qu’il y avait peut-être encore des sources de contamination » (par. 202). Ainsi, en présence de ces signes, le consultant aurait l’obligation d’investiguer davantage.

Le Tribunal, toujours dans l’affaire Paintwell, précise au passage que le consultant en environnement peut être responsable face aux tiers dans les circonstances suivantes :

  • [169] A priori, le consultant ou l’expert en environnement peut engager sa responsabilité envers un tiers. Une opinion rendue par un expert consultant sur l’aspect conforme d’un site sur le plan environnemental, et sur laquelle on se fie pour acquérir le site en question, engagera ainsi sa responsabilité professionnelle si des dommages sont subis par suite de l’achat basé sur la promesse de conformité[99].

Finalement, les commentaires du Tribunal concernant le niveau de responsabilité des consultants en général sont les suivants :

  • [228] Comme l’explique notre Cour dans la décision Axa Assurances inc., il s’agit pour les professionnels de l’environnement d’exercer un jugement dans leurs choix de procédés d’évaluation, de caractérisation ou de réhabilitation, dans le meilleur intérêt de leur client et conformément aux règles de l’art[142]:
  • […] les professionnels sont régulièrement appelés à exercer leur jugement et à faire des choix pour identifier parmi plusieurs possibilités l'approche ou la méthode de travail qui devrait être utilisée pour réaliser des travaux ou atteindre les résultats recherchés par un client. Ces décisions sont prises à la lumière des informations disponibles. Elles doivent être prises dans le meilleur intérêt du client et être conformes aux règles de l'art.
  • [229] En l’espèce, la demanderesse n’a pas démontré que […] a fait preuve d'imprudence, de négligence, d'incompétence ou d'incurie dans l'exécution de son mandat ou que les méthodes qu'elle a choisies pour superviser la réhabilitation étaient inadéquates.

Cependant, il est à rappeler que la qualification des obligations par le Tribunal dans l’affaire ci-dessus n’est pas absolue : les circonstances, les contrats en cause et les faits permettront d’établir s’il s’agit d’une obligation de moyen ou de résultat en ce qui concerne le travail du consultant. L’affaire étudiée nous donne cependant un bon aperçu des règles applicables en semblable matière.

3. Points à retenir

L’analyse de la jurisprudence ci-dessus nous permet de constater ce qui suit en matière de contamination environnementale :

  • La situation peut être analysée sous l’angle de la garantie légale de qualité, de propriété et/ou de délivrance (garantie conventionnelle à l’acte de vente) – à cet égard, l’analyse du contexte et du type de transaction immobilière est très importante pour déterminer le bon cadre juridique applicable ;
  • La responsabilité des consultants en environnement peut être retenue s’ils ne poussent pas davantage les investigations dans le cadre d’une caractérisation Phase II ou d’une réhabilitation, lorsqu’il y a présence d’indices pouvant laisser subsister un doute quant à la contamination d’un site ;
  • La responsabilité des consultants en environnement pourrait être retenue, notamment s’il est démontré qu’ils ont « fait preuve d'imprudence, de négligence, d'incompétence ou d'incurie dans l'exécution de son mandat ou que les méthodes qu'elle a choisies pour superviser la réhabilitation étaient inadéquates »[1].

Dans tous les cas, les faits particuliers d’une affaire doivent être analysés avant d’en arriver à des conclusions.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Paintwell Ltd. c. Entreprises Géraldeau et Fils inc., 2023 QCCS 2257, par. 229

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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