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La réclamation de la commission du courtier en cas de non-respect d’une promesse d’achat

La réclamation de la commission du courtier en cas de non-respect d’une promesse d’achat

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Dans le cadre d’une transaction immobilière qui avorte suite au non-respect d’une promesse d’achat par une partie, qu’arrive-t-il à la commission des courtiers ? Est-ce que les courtiers des acheteurs et des vendeurs peuvent tout de même réclamer leur commission, et si oui, à qui ?

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2024-08

Date de mise à jour : 2024-09

1. La commission du courtier dans la promesse d’achat

Une promesse d’achat conclue entre le promettant-acheteur et le promettant-vendeur est un contrat en soi qui doit être respecté. Lorsqu’une partie refuse sans motif juridiquement valable d’honorer ses engagements en vertu de la promesse d’achat, l’autre partie peut notamment soit réclamer des dommages ou demander la passation de titre. 

Au Québec, le formulaire de promesse d’achat en matière résidentielle est standardisé par l’OACIQ, c’est-à-dire qu’il contient des clauses types qui se retrouvent dans la grande majorité des promesses d’achat que les courtiers immobiliers utilisent. 

Le formulaire de promesse d’achat prévoit des clauses qui reconnaissent aux courtiers leurs droits à obtenir des dommages-intérêts en cas de non-respect de la promesse d’achat par les parties. 

La clause suivante (souvent la clause 7.6) est au bénéfice du courtier du vendeur si l’acheteur ne respecte pas la promesse d’achat :

  • DOMMAGES – Advenant que, par sa faute, aucun acte de vente ne se signe pour l’IMMEUBLE, l’ACHETEUR reconnaît qu’en plus des dommages-intérêts qu’il pourrait devoir verser au VENDEUR, il pourrait devoir dédommager directement l’agence ou le courtier, lié au VENDEUR par contrat de courtage, conformément aux règles ordinaires du droit, en lui versant des dommages-intérêts pouvant équivaloir à la rétribution que le VENDEUR aurait eu à lui payer.

Essentiellement, le courtier du vendeur pourrait tenter de réclamer au promettant-acheteur sa commission qu’il aurait normalement eue si la vente de l’immeuble avait eu lieu, sous réserves des règles applicables à l'évaluation des dommages-intérêts.

Cependant, cette clause trouve application uniquement lorsque la vente n’a pas eu lieu à cause d’une faute du promettant-acheteur. 

Une clause similaire (souvent la clause 10.7) est prévue au bénéfice du courtier de l'acheteur si le promettant-vendeur ne respecte pas la promesse d’achat :

  • DOMMAGES – Le cas échéant, advenant que, par sa faute, aucun acte de vente ne se signe pour l’IMMEUBLE, le VENDEUR reconnaît qu’en plus des dommages-intérêts qu’il pourrait devoir verser à l’ACHETEUR, il pourrait devoir dédommager directement l’agence ou le courtier, lié à l’ACHETEUR par contrat de courtage-achat, conformément aux règles ordinaires de droit, en lui versant des dommages-intérêts qui pourraient équivaloir à la rétribution que l’ACHETEUR aurait eu à lui payer.

2. Qu’entend-on par « faute » du promettant-acheteur  ?

La Cour du Québec, dans l’affaire Jeremy Lacroix Courtier immobilier inc. c. Simard, 2024 QCCQ 3013, résume bien comment évaluer si l’on est en présence d’une faute du promettant-acheteur : 

  • [7] […] Il est bien établi en droit que le courtier immobilier du promettant-vendeur, qui réclame le paiement de sa rétribution au promettant-acheteur, doit prouver qu’en refusant de signer l’acte de vente, le promettant-acheteur ne se comporte pas en personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances[2].
  • [8] La preuve d’un manquement contractuel du promettant-acheteur à l’égard du promettant-vendeur ne suffit pas, même s’il arrive que la faute contractuelle du promettant-acheteur à l’égard du promettant-vendeur peut aussi constituer une faute extracontractuelle à l’égard du courtier[3].
  • [9] La preuve de la mauvaise foi du promettant-acheteur n’est pas un élément essentiel de l’équation.
  • [10] Le promettant-acheteur commet une faute à l’égard du courtier lorsqu’il refuse de signer l’acte de vente sans motif sérieux, en invoquant un prétexte ou suite à une erreur de jugement déraisonnable.
  • [11] Au surplus, cette faute, si elle est établie par le courtier, doit être la cause du préjudice qu’il subit, soit la perte de sa rétribution. La perte de la rétribution ne doit pas être une conséquence trop éloignée de la faute; elle doit en être la conséquence directe et immédiate[4].

Essentiellement, tout est question d’interprétation des faits relatifs à chaque situation afin de déterminer s’il y a faute ou non qui engendre la responsabilité de payer des dommages au courtier. 

En ce qui concerne le promettant-vendeur, le formulaire de promesse d’achat prévoit une clause similaire au bénéfice du courtier de l’acheteur, souvent dans la section « déclarations et obligations du vendeur ». Bien qu’un vendeur fautif puisse être responsable face à son propre courtier en lien avec le contrat de courtage convenu, il peut se retrouver responsable de dommages envers le courtier de l’acheteur, notamment pour la perte de sa commission. 

3. Le courtier du vendeur peut-il réclamer la totalité de sa commission ?

En principe, la commission perdue est souvent le dommage principal qui peut être réclamé par le courtier du vendeur en raison d’un promettant-acheteur fautif. 

Cependant, la question se pose lorsque l’immeuble a finalement été vendu avec le même courtier à un autre acheteur. 

Le cas échéant, le courtier du vendeur qui a finalement touché sa commission peut-il tout de même réclamer sa commission complète au promettant-acheteur fautif ?

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Société en nom collectif Immobilier 2000 c. Immobilier Estrie inc., 2012 QCCA 1826, rappelle le principe suivant dans l’évaluation de la compensation qui peut être octroyée au courtier du vendeur :

  • [61] […] l'évaluation des dommages doit viser une juste compensation. Dans cette optique, la Cour indique qu'un tribunal ne peut omettre de considérer la commission reçue par le courtier à la suite de la revente de l'immeuble. La Cour souligne que dans l'évaluation des dommages, le tribunal doit considérer tous les faits pertinents pour établir une juste compensation, ce qui doit tenir compte notamment de la commission alors reçue […].

La Cour d’appel, dans l’affaire Ibrahim c. Groupe Sutton Immobilia inc., 2008 QCCA 2379, précise ce qui suit : 

  • [57] En vertu de l'article 1611 C.c.Q., les dommages doivent tenir compte non seulement de la perte subie, mais également du gain manqué.
  • [58] Lorsque l'immeuble faisant l'objet d'une offre d'achat qui ne mène pas à la conclusion d'un contrat par la faute du promettant-acheteur est par la suite vendu par le même courtier inscripteur, le tribunal ne peut omettre de considérer la commission ainsi reçue. En effet, si l'immeuble visé par le litige avait été vendu à la suite de la première offre, il n'aurait certainement pas pu l'être une deuxième fois. Comment prétendre alors que le courtier a droit à deux commissions, sans autre analyse?

À titre d’exemple dans l’évaluation des dommages du courtier, l’on pourrait prendre la commission qu’il aurait touché normalement si la vente avait eu lieu, moins la commission qu’il a réellement touché suivant la vente de l’immeuble si cette commission est plus basse, et finalement ajouter certains frais qui ont été encourus par le courtier, par exemple tel que discuté dans l’affaire Century 21 Max-Immo c. Développements McGill, 2013 QCCS 1690 (par. 27 à 37). 

La logique d’une telle évaluation des dommages est la suivante, tel que la Cour du Québec l’indique dans l’affaire 9091-8665 Québec inc. (Via Capitale Rive-Nord) c. Tourangeau, 2017 QCCQ 2559 : 

  • [97] Ainsi, la rétribution ou la commission reçue lors de la « deuxième » vente peut être considérée dans l’évaluation du préjudice subi par l’agence suivant les circonstances. Mais lorsque cette deuxième vente est conclue par la même agence dans la continuité du même contrat de courtage ou de son renouvellement et se fait à court terme après la transaction avortée, cette rétribution touchée de manière subséquente à la rétribution perdue doit être considérée dans l’évaluation du préjudice et des dommages réclamés par l’agence.
  • [98] La Cour d’appel tranche que, malgré les efforts différents déployés, une même agence immobilière ne peut pas vendre pour le compte du même vendeur le même immeuble et s’attendre à recevoir deux commissions (ou des dommages-intérêts équivalents pour l’une d’elles), à moins de circonstances particulières justificatives.

Il est finalement à noter que lorsqu’une commission est réclamée et accordée, les tribunaux excluent en principe les taxes dans le calcul des dommages (voir notamment l’affaire Re/Max Alliance inc. c. Tirelli, 2016 QCCQ 8692). 

4. La commission du courtier-vendeur si le vendeur refuse d'honorer la promesse d'achat

Si le promettant-vendeur refuse sans motif valable d'honorer une promesse d'achat, des mécanismes d'indemnisation du courtier sont souvent prévus au contrat de courtage (formulaire OACIQ).

Les clauses en questions sont celles prévues à la section « Rétribution » (souvent la section 7). Ces clauses prévoient notamment que le vendeur doit payer la commission « si un acte volontaire du VENDEUR empêche la libre exécution du contrat ».

La Cour supérieure, dans l'affaire Immobilier Estrie inc. c. Lauzier, 2024 QCCS 3151, a accordé au courtier du vendeur la totalité de sa commission de plus de 200 000$, car le vendeur, après avoir conclut une promesse d'achat avec le promettant-acheteur, a fait volte-face et a entravé la vérification diligente de l'acheteur en empêchant ce dernier de procéder aux inspections prévues à la promesse d'achat.

La Cour détermine donc que l'agissement du vendeur ouvre la porte à la réclamation de la commission par le courtier, notamment pour les raisons suivantes :

  • [106] La clause 7.1 (4) représente l’application de l’article 1503 C.c.Q. dans le contexte du courtage immobilier :
    • 1503. L’obligation conditionnelle a tout son effet lorsque le débiteur obligé sous telle condition en empêche l’accomplissement.
  • [107] Ainsi, lorsqu’un débiteur s’oblige conditionnellement, il ne peut agir de manière à empêcher la réalisation de la condition dans l’objectif de se libérer de son obligation. Permettre une telle conduite ouvrirait la porte à tous les abus.
  • [108] Encore faut-il prouver que le vendeur a posé un acte volontaire pour empêcher la réalisation d’une condition. Pour provoquer l’application de l’article 1503 C.c.Q. ou de la clause 7.1 (4), le geste posé doit s’assimiler à un acte fautif. Le fardeau de la preuve applicable en l’espèce a été détaillé par la Cour d’appel, dans un passage repris récemment par la Cour suprême :
    • En conclusion, dans le cadre d’une action intentée par un courtier pour réclamer sa rétribution ou une compensation visée à l’article 7.2 du contrat de courtage, celui-ci doit établir l’existence d’un contrat de courtage valable, l’exécution de ses propres obligations au terme de ce contrat et (…) le fait que l’accomplissement [des conditions préalables au droit à la rétribution] a été empêché par la faute du vendeur.
  • [109] Comme le confirme la Cour suprême, une telle faute peut découler du défaut « par le promettant-vendeur d’accomplir un acte qu’il était tenu d’accomplir » :
    • À titre d’exemple, le promettant-vendeur qui empêche ou entrave sciemment la vérification diligente de son immeuble par le promettant-acheteur ou son mandataire sera considéré en faute suivant l’art. 1503 C.c.Q. et la clause 6.1 (4). Pour statuer sur l’existence ou non d’une faute en l’espèce, il faut donc déterminer les obligations auxquelles étaient tenues les appelantes en vertu de la promesse d’achat, d’une part, et en vertu du contrat de courtage, d’autre part.

Ainsi, reprenant ce qui est détaillé dans le jugement précité, le courtier du vendeur, pour demander sa commission en cas de faute du vendeur, doit démontrer ce qui suit :

  1. Il existe un contrat de courtage valable;
  2. Il a exécuté ses obligations prévues au contrat;
  3. L'accomplissement des conditions préalables ouvrant le droit à la rétribution du courtier a été empêché par la faute du vendeur.

5. Conclusion 

Il est à retenir que la responsabilité d’un promettant-acheteur qui se dédie fautivement d’une promesse d’achat sans motif valable peut engendrer sa responsabilité non seulement face au vendeur, mais aussi face au courtier du vendeur qui se trouve privé de sa commission. Ce dernier pourra réclamer sa commission perdue, le cas échéant.

Cependant, les dommages qui peuvent être réclamés par le courtier ne peuvent résulter en l’octroi d’une double commission lorsque l’immeuble a finalement été vendu à un autre acheteur. 

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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