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Le droit d’échelage, ou comment accéder au terrain voisin pour procéder à des travaux

Le droit d’échelage, ou comment accéder au terrain voisin pour procéder à des travaux

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Qu’arrive-t-il si un propriétaire a besoin de procéder à des travaux sur son immeuble, mais que pour ce faire il ait besoin d’accéder au terrain de son voisin ? La règle est simple, mais parfois des mésententes peuvent en découler. Voici donc un aperçu de la « servitude de tour d’échelle » ou « droit d’échelage » en droit québécois.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat associé chez St-Aubin avocats inc.

Date de rédaction : janvier 2022

Dernière mise à jour : juin 2023

La servitude de tour d’échelle ou le « droit d’échelage » : définition

Le Code civil du Québec prévoit les règles suivantes, si un propriétaire a besoin de l’accès au terrain de son voisin pour procéder à certains travaux :

  • 987. Tout propriétaire doit, après avoir reçu un avis, verbal ou écrit, permettre à son voisin l’accès à son fonds si cela est nécessaire pour faire ou entretenir une construction, un ouvrage ou une plantation sur le fonds voisin.

Donc, un propriétaire doit permettre l’accès à son terrain à son voisin, aux conditions suivantes :

  1. Un avis, verbal ou écrit, a été transmis au préalable par le voisin qui souhaite obtenir l’accès au terrain de son voisin ;
  2. L’accès au terrain du voisin est nécessaire pour faire ou entretenir une construction, un ouvrage ou une plantation sur le terrain du voisin qui demande l’accès.

Le propriétaire qui accède donc au terrain de son voisin pour effectuer des travaux, doit notamment tenir indemne son voisin pour le préjudice subit :

  • 988. Le propriétaire qui doit permettre l’accès à son fonds a droit à la réparation du préjudice qu’il subit de ce seul fait et à la remise de son fonds en l’état.

À première vue, les règles sont simples. Mais les questions suivantes peuvent se poser :

  • Qu’est-ce qui définit la notion de « nécessité » ?
  • Qu’arrive-t-il lorsque le voisin refuse l’accès à son terrain ?
  • Qu’en-est-il de l’indemnité à accorder et de la notion de « préjudice » ?

Accéder au terrain du voisin pour faire une construction : interprétation jurisprudentielle

La Cour d’appel du Québec, en 2020, dans l’affaire Messier c. Lepage[1], a interprété en partie la notion de « nécessité »:

  • [26] C’est ici qu’intervient le deuxième critère de l’article 987 C.c.Q., lequel prévoit que l’accès à la propriété voisine doit être « nécessaire pour faire ou entretenir une construction, […] ». L’appelante conteste que tel soit le cas, argumentant que l’intimé a « le choix de construire un immeuble plus petit »[18]. Un tel raisonnement, lequel tend à imposer à l’intimé, sur son lot, le dictat de l’appelante, contrevient directement à l’essence même du droit d’échelage qui découle de l’idée « […] qu’un propriétaire a le droit de bâtir à la limite de son terrain »[19].
  • [27] De même, si l’on a pu, dans le passé, entretenir des doutes quant au fait que le droit d’échelage s’étende à la construction d’un nouvel ouvrage[20], ce que soulève en fait l’argument de l’appelante, le texte de l’article 987 C.c.Q. le reconnaît maintenant[21], d’autant qu’il s’agit bien ici de l’érection d’un ouvrage situé près de la ligne de division, élément vu par certains comme une condition supplémentaire[22] ou à tout le moins inhérente à celle de la nécessité.

Un voisin qui déciderait de faire une construction à la limite de son lot qui implique la nécessité d’aller sur le terrain de son voisin, ne pourrait se faire refuser son droit d’échelage de ce seul fait. En effet, la Cour d’appel nous rappelle qu’un propriétaire a, en principe, le droit de construire à la limite de son lot.

Toujours dans l'affaire Messier c. Lepage précitée, la Cour d'appel précise que suivant la réception de l'avis d'échelage, celui qui invoque l'avis n'a pas nécessairement à demander au tribunal l'autorisation d'aller sur le terrain de son voisin (par. 23).

À quelques occasions, les tribunaux, citant la doctrine, ont retenu l’interprétation à l’effet que « le propriétaire dont le terrain est contigu peut donc refuser l'accès à son voisin si ce dernier peut commodément procéder aux travaux envisagés sans qu'il soit nécessaire de passer sur son fonds »[2].

Ainsi, dans l’affaire Murphy c. Caldareri[3], la Cour supérieure a refusé d’accorder une injonction permettant d’avoir accès à la propriété du voisin pour notamment démolir et reconstruire un mur de soutènement. Le tribunal refuse l’empiètement demandé, même si procéder aux travaux sans empiéter sur le terrain voisin cause plus d’inconvénients, est plus coûteux et plus difficile pour le demandeur. En effet, selon le tribunal, cela n’est pas un motif valable pour faire valoir le « droit d’échelage » quand une autre solution est possible. Le tribunal s’exprime ainsi :  

  • [44] Il est vrai également que faire tous les travaux à même [l’adresse 1] est une solution moins commode et plus onéreuse pour les Alter.  Par contre, là n'est pas la question.  Le Tribunal doit déterminer si l'accès demandé est nécessaire, et sur ce, le Tribunal répond par la négative.

[…]

  • [52] Le Tribunal estime d'ailleurs qu'il revient aux demandeurs de trouver des solutions permettant de démolir et de reconstruire le mur de soutènement sans empiètement sur la propriété des défendeurs.  La solution Turner n'est pas acceptable en l'espèce, car elle implique un tel empiètement.  […]

Selon la Cour supérieure dans l’affaire précitée, si une solution alternative n’impliquant pas d’empiètement sur le terrain voisin est possible, cette solution doit être retenue.

Cependant, cette interprétation est sujette à discussions, tel que nous le voyons ci-après.

Qu’arrive-t-il en cas de refus injustifié du voisin d’accorder l’accès à son terrain ?

Si un propriétaire demande légitimement l’accès au terrain de son voisin, mais que ce dernier le lui refuse, outre l’injonction, la réclamation en dommages est parfois aussi de mise.

Dans l’affaire Succession de Cusson c. Rybnicky[4], la Cour du Québec (petites créances) s’est penchée sur une demande en dommages résultant du refus injustifié d’un voisin d’accorder l’accès à son terrain pour procéder à des travaux de stabilisation, ce qui a engendré des frais supplémentaires aux demandeurs[5]. Le tribunal s’exprime ainsi :

  • [88] Le Tribunal considère que la preuve démontre, amplement d’ailleurs, que les travaux effectués étaient nécessaires, et que ceux-ci ont été rendus plus complexes en raison du comportement du défendeur.  En effet, l’utilisation d’une grue n’aurait pas été nécessaire si l’application de l’article 987 CCQ s’était effectuée de manière normale dans les circonstances.  L’intervention initialement souhaitée par les demandeurs n’était ni capricieuse, ni extravagante, loin de là.

Le tribunal a donc accordé des dommages résultants des coûts supplémentaires engendrés par les travaux, qui n’auraient pas été rencontrés si le défendeur avait donné accès à son terrain.

Commentaire de l’auteur :

Il appert que la décision précitée entre en contradiction avec l’interprétation retenue par la Cour supérieure dans Murphy c. Caldareri[6]. Cependant, la décision de la Cour du Québec Succession de Cusson c. Rybnicky serait potentiellement plus cohérente avec les indications du professeur Lafond sur l’aspect de « commodité », principe cité à de nombreuses reprises par les tribunaux, à l’effet que « le propriétaire dont le terrain est contigu peut donc refuser l'accès à son voisin si ce dernier peut commodément procéder aux travaux envisagés sans qu'il soit nécessaire de passer sur son fonds »[7].

Il semble donc que des interprétations diverses du droit d’échelage soient faites par les tribunaux et que les faits de chaque affaire soient très importants à prendre en compte.

Qu’arrive-t-il si le voisin cause des dommages à la propriété de son voisin ?

Tel que nous le rappelle la Cour d’appel du Québec dans l’affaire précitée Messier c. Lepage[8], si un propriétaire doit accéder au lot de son voisin en application du « droit d’échelage », il doit le faire tout en tentant de minimiser l’atteinte au terrain du voisin et sans mettre en péril la propriété de ce dernier qui doit subir cet accès :

  • [29] La doctrine soutient également que l’exercice du droit d’échelage doit viser une atteinte minimale à la propriété du voisin[23] et, pourrait-on ajouter, qu’il ne mette pas en péril cette dernière[24]. […]

De plus, le Code civil impose l’obligation suivante :

  • 991. Le propriétaire du fonds ne doit pas, s’il fait des constructions, ouvrages ou plantations sur son fonds, ébranler le fonds voisin ni compromettre la solidité des constructions, ouvrages ou plantations qui s’y trouvent.

Plusieurs causes, notamment à la Cour du Québec, division des petites créances, ont traité de ces cas[9].

À titre d’exemple, dans l’affaire Dupuis c. Dufresne[10], des dommages de plus de 5 000,00$ ont été accordé, suivant des empiètements qui ont durés plusieurs mois en lien avec les travaux faits par le voisin (défendeur). Les dommages accordés représentaient notamment ce qui suit :

  • Endommagement d’une gouttière;
  • Coûts excédentaires d’électricité;
  • Coût pour refaire le terrassement;
  • Perte de jouissance du terrain;
  • Troubles, ennuis et inconvénients.

Il ressort que le droit d’échelage, si exercé, doit s’exercer selon les exigences de la bonne foi. Ainsi, le voisin exerçant ce droit devrait minimiser les dommages du voisin qui le subit (devoir d’information, etc.).

Conclusion

Malgré que le « droit d’échelage » découle de principes simples, plusieurs problématiques peuvent être rencontrées, et plusieurs interprétations sont possibles. Il est cependant important de se souvenir que le droit d’échelage doit être exercé selon les principes de la bonne foi, ce qui peut engendrer plusieurs obligations selon les situations.

Il ressort que l’exercice du « droit d’échelage » et les problèmes qui peuvent être rencontrés sont particuliers à chaque situation.

La problématique qui est rencontrée devrait donc faire l’objet d’une analyse détaillée des faits, et parfois des expertises seront nécessaires.

Ultimement, si un voisin refuse de collaborer et que des droits légitimes sont en cause, parfois le recours à l’injonction ou un recours en dommages s’avérera nécessaire.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter nos avocats.


[1] 2020 QCCA 488: https://canlii.ca/t/j6cpr

[2] Murphy c. Caldareri, 2008 QCCS 6721, par. 28, citant le professeur Lafond dans Précis de droit des biens, https://canlii.ca/t/22znl, interprétation retenue par la Cour du Québec dans Succession de Cusson c. Rybnicky, 2019 QCCQ 4167, https://canlii.ca/t/j1s2h

[3] Murphy c. Caldareri, préc. note 2.

[4] 2019 QCCQ 4167, https://canlii.ca/t/j1s2h

[5] Les frais supplémentaires réclamés visaient des frais liés à la grue requise vu le refus du défendeur d’accorder l’accès à son terrain, ce qui n’aurait pas été nécessaire si l’accès aviat été accordé.

[6] 2008 QCCS 6721.

[7] Murphy c. Caldareri, 2008 QCCS 6721, par. 28, citant le professeur Lafond dans Précis de droit des biens, https://canlii.ca/t/22znl

[8] 2020 QCCA 488: https://canlii.ca/t/j6cpr

[9] Voir à titre d’exemples L'Italien c. Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. (APCHQ), 2007 QCCQ 2344, https://canlii.ca/t/1qzt7; Marsot c. Lévesque, 2013 QCCQ 2755, https://canlii.ca/t/fwxrk  

[10] 2018 QCCQ 10248, https://canlii.ca/t/hx81r

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M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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