Partage des pourboires : Explications en 3 points.
En 2018, plusieurs chefs et restaurateurs ont demandé dans une lettre ouverte[1] relayée par la presse écrite[2] la possibilité d’instaurer dans leur établissement une politique de partage de pourboires pouvant inclure les salariés en cuisine.
Permettez-nous de faire un bref résumé d’un point de vue juridique en 3 points. Auteur: Manuel St-Aubin, avocat.
- L’employeur et les pourboires :
La demande des restaurateurs en 2018 s'est inscrit dans le cadre de l’étude du Projet de loi 176 Modifiant la Loi sur les normes du travail[3] et visait à leur faire reconnaître le droit, à titre d’employeurs, d’instaurer une politique de partage de pourboires qui pourrait être imposée à leurs employés.
Cependant, la Loi sur les normes du travail[4] telle qu’elle est actuellement rédigée, ne reconnait pas le droit pour un employeur d’imposer à ses employés un partage des pourboires.
En effet, le principe général est que le pourboire appartient à l’employé qui le reçoit en contrepartie des services donnés et qu’il a la discrétion de l’utiliser ou de le partager comme il l’entend.
- Convention de partage de pourboires entre employés
Malgré tout, il est possible pour des employés de s’entendre entre eux pour établir un partage des pourboires reçus, ce qui est une pratique répandue dans le milieu de la restauration, les serveurs partageant leurs pourboires avec les commis débarrasseurs, par exemple.
Dans un tel contexte, l’employeur ne pourrait, sauf exception[5], s’immiscer dans l’établissement d’une convention de partage de pourboires entre les employés. Pour reprendre les termes de la Loi sur les normes du travail, « une telle convention doit résulter du seul consentement libre et volontaire des salariés qui ont droit aux pourboires »[6].
Théoriquement, les employés recevant des pourboires pourraient décider de les partager avec d’autres employés, peu importe le statut de l’employé avec qui les pourboires seraient partagés. Il pourrait donc y avoir des partages de pourboires entre les serveurs et cuisiniers par exemple[7].
- Salarié au pourboire et partage de pourboires : qualification au sens de la loi pour l’établissement du salaire minimum
Lorsqu’un système de partage des pourboires entre employés est en place, il arrive que la notion de « salarié au pourboire » soit floue afin de déterminer le salaire minimum applicable.
En effet, le salaire minimum général est, depuis le 1ermai 2019, de 12,50$ de l’heure et le salaire minimum pour un « salarié au pourboire » est de 10,05$ de l’heure[8].
Cette différence de salaire, par le fait qu’un employé est qualifié de « salarié au pourboire », fait en sorte que certains employeurs ont parfois octroyé un salaire à pourboire à des employés autres que des serveurs, en soutenant que ceux-ci étaient des salariés à pourboires car ils bénéficiaient d’un partage de pourboires.
Or, récemment et selon la preuve particulière au dossier, la Cour du Québec[9] a déterminé qu’un commis débarrasseur n’était pas considéré un employé à pourboire car le client n’avait pas pour « habitude » de verser un pourboire au commis débarrasseur dans un restaurant. Il est important de noter que le tout reste une question de faits, et que la détermination de ce qu’est un « employé au pourboire » peut parfois relever certaines difficultés.
- Conclusion
Si la demande de plusieurs employeurs du secteur de la restauration de pouvoir imposer à leurs employés une convention de partage des pourboires avait été accordée en 2018, il y aurait eu peut-être à prévoir quelques difficultés quant à la détermination de ce qu’est un « employé au pourboire » pour l’établissement du salaire minimum.
Dans tous les cas, en ce qui concerne le secteur de la restauration, l’imposition par l’employeur d’un partage des pourboires entre employés incluant les employés des cuisines serait un changement de culture qui aurait un grand impact sur les employés de la restauration, et potentiellement aussi sur la clientèle.
Fait à noter, Québec a rapidement fermé la porte en 2018 sur la demande des employeurs en restauration. Le débat n'est pas clos pour autant.
* ATTENTION : Les informations de cet article sont d’ordre général et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique. Les faits peuvent varier d’une situation à l’autre et potentiellement changer toute réponse d’ordre juridique. Veuillez consulter un avocat concernant votre cas particulier.
[1] Pour une rémunération juste et équilibrée dans les restaurant au Québec, http://www.restaurateurs.ca/media/10086/pour_une-remuneration_juste_et_equilibree_dans_les_restaurants_au_quebec.pdf
[2] « Des chefs plaident pour le partage des pourboires », http://www.lapresse.ca/affaires/economie/quebec/201805/14/01-5181753-des-chefs-plaident-pour-le-partage-des-pourboires.php
[3] Projet de loi no 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, à consulter au http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-176-41-1.html
[4] RLRQ c N-1.1, article 50.
[5] Voir dans le cas où la qualité du service serait compromise dû à un conflit entre les employés quant au partage des pourboires : Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travailc. 2915499 Canada inc. (Casa grecque), 2017 QCCQ 51 (CanLII), par. 87: http://canlii.ca/t/gx8fh
[6] Loi sur les normes du travail, préc. note 4.
[7] Voir à titre d’exemple Commission des normes du travail c. Kyoto Restaurant Ltée, 1981 CanLII 3106 (QC CQ): http://canlii.ca/t/hnnh7
[8] Articles 3 et 4 du Règlement sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1, r 3.
[9] Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. 2915499 Canada inc. (Casa grecque), 2017 QCCQ 51 (CanLII), à noter qu’une requête pour permission d’appeler a été accordée par la Cour d’appel dans 2915499 Canada inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2017 QCCA 489 (CanLII): http://canlii.ca/t/gx8fh
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