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Construction : les travaux sont mal faits… le client est-il obligé de payer?

Construction : les travaux sont mal faits… le client est-il obligé de payer?

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Sous l’angle d’analyse de deux jugements récents, nous ferons un rappel des notions de réception de l’ouvrage, de la fin des travaux, de la réserve, de l’obligation de payer du client ainsi que du droit de rétention du client. Aperçu du droit du client de retenir des sommes suffisantes pour satisfaire aux réserves lors de la réception des travaux.

Pour plus de détails sur les notions abordées dans le présent article, nous vous invitons à consulter l’article « Travaux de construction : l’importance d’exprimer son insatisfaction au moment de la réception des travaux », dans lequel nous nous sommes penchés sur les notions de la réception de l’ouvrage, de la fin des travaux, de la réserve, de l’obligation de payer ainsi que du droit de rétention du client.

Auteurs: Manuel St-Aubin, avocat, en collaboration avec Martin Ouellette, parajuriste et étudiant en droit.

1. Bref rappel des notions entourant la réception de l’ouvrage.

L’article 2110 C.c.Q. prévoit que « la réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserve ». Ainsi, la réception de l’ouvrage est un acte par lequel le client déclare qu’il accepte l’ouvrage accomplit par l’entrepreneur[1]. Il se peut que les travaux soient exécutés, mais qu’ils soient mal faits[2]. « La réception de l’ouvrage ne signifie pas que les travaux sont parfaitement réalisés, mais simplement qu’ils sont exécutés »[3].

En effet, malgré que l’ouvrage puisse être exécuté, il peut souffrir d’un vice ou d’une malfaçon[4]. Voilà donc pourquoi la réception de l’ouvrage peut se faire avec réserve du client. La réserve se produit lorsque le client « manifeste son insatisfaction et dénonce explicitement les vices et malfaçons apparents »[5]. La réserve a pour objectif « de s’assurer que l’entrepreneur remplisse ses obligations[6] », et de le forcer « à corriger les malfaçons et les défauts apparents[7] ».

L’article 2111 C.c.Q. prévoit que « Le client n’est pas tenu de payer le prix avant la réception de l’ouvrage ». Il est toutefois important de noter que les parties peuvent notamment prévoir que des acomptes soient payés[8] ou que des paiements partiels soient faits en fonction de l’état d’avancement des travaux[9].

De plus, l’article 2111 C.c.Q. prévoit également que client a le droit de retenir des sommes d’argent pour satisfaire aux réserves :

2111. […]

Lors du paiement, il peut retenir sur le prix, jusqu’à ce que les réparations ou les corrections soient faites à l’ouvrage, une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou malfaçons apparents qui existaient lors de la réception de l’ouvrage.

[…]

La réserve du client peut se faire de 3 façons :

  • Par écrit[10];
  • Verbalement[11]; ou encore
  • Par inférence en raison du comportement du client[12].

La somme retenue doit équivaloir au coût de la réparation des vices ou malfaçons[13].

2. Illustrations du droit de rétention du client lors de la réception de l’ouvrage

9257-1215 Québec inc. c. Pelletier, 2019 QCCQ 1228

Le premier jugement[14] que nous résumerons a été rendu en février 2019 par la Cour du Québec, division des petites créances. Dans ce jugement, la cliente a engagé un entrepreneur, notamment pour procéder à réfection de la toiture et pour changer le revêtement extérieur de la maison[15].

La très grande majorité des travaux a été réalisée durant l’été, mais l’automne venu, la cliente a transmis un courriel à l’entrepreneur dans lequel elle lui a demandé de terminer la toiture, mais de reporter au printemps les corrections devant être faites au revêtement extérieur de la maison[16].

La cliente terminait son courriel ainsi :

« Je suis plutôt déçue de ne pouvoir clore le chantier cette année (d’après le contrat, tu devrais avoir fini depuis fin juillet...) et considère que ce retard n’est pas de ma faute. Je pense donc que ça serait juste de te faire ton dernier paiement lorsque tout le [revêtement extérieur] sera repris correctement »[17].

En décembre, l’entrepreneur a fait parvenir une facture de 1 000,00$ à la cliente[18].

Au mois de mai, l’entrepreneur a contacté la cliente dans le but de venir poursuivre les travaux[19]. Cependant, la cliente lui envoie un courriel lui proposant de ne pas les poursuivre, et qu’en contrepartie, elle ne lui paierait pas la facture de 1 000,00$ restante[20].

Refusant cette proposition, l’entrepreneur a mis la cliente en demeure de payer[21] et a déposé une demande introductive d’instance au tribunal[22]. Dans sa contestation judiciaire, la cliente a écrit : « Je me considère justifiée de retenir la somme demandée, étant donné l’ampleur des travaux à faire et/ou refaire »[23].

À l’audience, la cliente dépose des photographies illustrant selon elle les erreurs de finition qu’elle reproche à l’entrepreneur[24]. Un témoin qui commentait ces photos indique que le revêtement n’est pas correctement intercalé, qu’il n’est pas correctement embouveté non plus, et que certains morceaux ont été fixés avec des vis, ce qui n’aurait pas dû être le cas[25].

Le juge Boutin J.C.Q. a rejeté la demande de l’entrepreneur pour deux raisons[26]. En premier lieu, l’entrepreneur a reconnu ne pas avoir terminé les travaux, et en conséquence, le juge indique qu’il est approprié de réduire le prix de 1 000,00$, tel que l’a proposé la cliente[27].

En deuxième lieu, le Tribunal indique qu’il est permis de considérer la somme de 1 000,00$ a été retenue par la cliente afin de satisfaire les réserves faites quant aux vices et malfaçons qui existaient lors de la réception de l’ouvrage et qui ont notamment été prouvées par la production des photos[28].

Bref, que ce soit parce que la somme de 1 000,00$ soit une réduction du prix ou parce qu’elle représente l’exercice du droit de rétention par la cliente, la demande de l’entrepreneur a été rejetée[29].

Services JP Thauvette inc. c. Hagerman, 2019 QCCQ 1116

Le deuxième jugement[30] que résumé a été rendu en mars 2019 sous la plume du juge Tremblay J.C.Q. Dans ce dossier, les clients ont confié les rénovations de leur résidence secondaire à l’entrepreneur Lasalle. Celui-ci n’étant pas qualifié pour les travaux électriques, les clients ont confié les travaux relatifs à l’électricité à la société de l’électricien Thauvette[31].

Vers la fin des travaux, les clients ont constaté la présence de vices et de malfaçons pour la portion électricité[32]. Ils se sont alors entendus avec l’électricien Thauvette pour retenir une somme de 3 260,19$, et ce, jusqu’à ce les réparations ou les corrections soient effectuées[33].

L’entreprise a donc intenté une poursuite contre les clients pour le paiement des sommes qui restaient à payer au contrat.

À l’audience, le Tribunal a entendu l’entrepreneur Lasalle, le responsable du projet de rénovation[34]. Son témoignage confirme l’existence des vices ou malfaçons. Il témoigne aussi avoir assisté aux discussions au cours desquelles les clients et l’électricien Thauvette se sont entendus pour que la somme soit retenue jusqu’à la réalisation des travaux correctifs[35].

Puisque les travaux correctifs n’ont pas été effectués par l’entrepreneur[36] et que les clients ont démontré que le montant retenu sur le prix correspond à la valeur des travaux qui seront nécessaires pour corriger les malfaçons, la demande de l’entrepreneur a donc été rejetée.

3. À retenir en bref

Il est important de retenir que bien que le client soit obligé de payer l’entrepreneur lors de la réception de l’ouvrage, le client pourrait avoir le droit de retenir une somme suffisante pour satisfaire aux réserves qu’il a exprimées à l’entrepreneur, représentant la valeur des travaux correctifs à effectuer. Considérant que « la mémoire est une faculté qui oublie » et que « les paroles s’envolent, les écrits restent », il peut s’avérer prudent de consigner les réserves et les montants retenus par écrit.

Il est avant tout important de s’en remettre au contrat conclu avec l’entrepreneur afin de déterminer les dispositions applicables en ces situations.

ATTENTION : Les informations de cet article sont d’ordre général et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Les faits peuvent varier d’une situation à l’autre et potentiellement changer toute réponse d’ordre juridique. Une consultation avec un avocat concernant votre cas particulier est vivement recommandée.


[1] Art. 2110 C.c.Q.; Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. 2019 QCCS 5141, par. 68.

[2] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 1, par. 66.

[3] Id., par. 76.

[4] Id., par. 66.

[5] Id, par. 72.

[6] Id., par. 73.

[7] J. DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, n° 2160.

[8] J. DESLAURIERS, préc. note 7, n° 2164; V. KARIM, Contrat d'entreprise, contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 3e éd., Cowansville, Montréal, 2015, n° 1019.

[9] V. KARIM, préc. note 8, n° 1022.

[10] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc, note 1, par. 77; J. DESLAURIERS, préc. note 7, n° 2157.

[11] Id., par. 77; J. DESLAURIERS, préc. note 7, n° 2157.

[12] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 1, par. 72 et 80; J. DESLAURIERS, préc. note 7, n° 2157. Il est important de souligner que l’auteur Vincent Karim est plutôt d’avis que « La liste de réserves relative aux malfaçons apparentes doit être établie expressément, elle ne peut être présumée » et que « selon certains courants jurisprudentiels, cette liste de malfaçons doit être faite par écrit alors que d’autres ne l’exigent pas » (V. KARIM, préc. note 8, n° 936).

[13] V. KARIM, préc. note 8, n° 1036.

[14] 9257-1215 Québec inc. c. Pelletier, 2019 QCCQ 1228 (Division des petites créances).

[15] Id., par. 5, 7, 8 et 12.

[16] Id., par. 10.

[17] Id.

[18] Id., par. 12.

[19] Id., par. 14.

[20] Id.,

[21] Id., par. 16.

[22] Id., par. 17.

[23] Id., par. 18.

[24] Id., par. 21.

[25] Id., par. 22.

[26] Id., par. 31.

[27] Id., par. 34, 36, 37, 38 et 39.

[28] Id., par. 40 et 41.

[29] Id., par 42 et 43.

[30] Services JP Thauvette inc. c. Hagerman 2019 QCCQ 1116 (Division des petites créances).

[31] Id., par. 1, 10 et 11.

[32] Id., par. 12.

[33] Id., par. 1, 12 et 13.

[34] Id., par. 16.

[35] Id., par. 17.

[36] Id. par. 19.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).