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Convention entre actionnaires et investissements immobiliers via une société par actions : quelques pistes pour éviter les litiges

Convention entre actionnaires et investissements immobiliers via une société par actions : quelques pistes pour éviter les litiges

Écrit par Me François Beaulieu-Lauzon
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Les investisseurs immobiliers qui s’associent entre eux via une société par actions négligent fréquemment de conclure une convention entre actionnaires. Erreur, car une telle convention vise à prévoir les règles du jeu pour la gestion de multiples circonstances qui peuvent survenir dans le cadre de leurs relations d’affaires et peut prévenir des litiges importants.

L’affaire St-Onge c. A&O Gendron inc. : le contre-exemple

« La situation dans laquelle les parties se sont retrouvées s’explique notamment en raison du silence des statuts et de l’absence de convention entre actionnaires. De plus, les parties ont toutes deux commis des fautes »[1].

C’est ainsi que la Cour supérieure du Québec résume la situation dans l’affaire St-Onge c. A&O Gendron inc.[2], une décision rendue en 2013, dans laquelle il a notamment été ordonné que chaque partie paye ses frais, incluant ses frais d’expert, plutôt que de les faire supporter à la partie ayant perdu sa cause.

Il s’agit d’un cas jurisprudentiel illustratif d’un litige qui aurait pu être évité par la conclusion d’une convention entre actionnaires.

Dans cette affaire, M. St-Onge était actionnaire minoritaire de A&O Gendron inc. (ci-après « A&O »), une entreprise de déneigement municipal, et de Immeubles G.M.O. Inc. (ci-après « GMO »). GMO détenait l’immeuble dans lequel A&O exerçait ses activités.

En 2007, M. St-Onge a démissionné de son poste d’employé de A&O et d’administrateur de GMO[3].

M. St-Onge souhaitait, suite à sa démission, que ses coactionnaires achètent les actions qu’il détenait dans le capital-actions des deux sociétés (A&O et GMO). Par contre, les autres actionnaires ne se sont pas entendus avec lui sur le prix de vente.

M. St-Onge a donc entrepris un recours devant la Cour supérieure en 2009[4].

Dans le cadre de son recours, M. St-Onge alléguait que les actionnaires majoritaires n’avaient pas le droit d’approuver le versement d’un honoraire spécial de 1 050 000 $ au bénéfice de la société de gestion d’un des actionnaires majoritaires.

De plus, M. St-Onge contestait le fait que des dividendes aient été déclarés seulement sur les catégories d’actions détenues par ladite société de gestion d’un actionnaire majoritaire[5].

Les actionnaires majoritaires contestaient quant à eux la demande d’annulation du versement de l’honoraire spécial et de la déclaration de dividendes de M. St-Onge.

Par contre, ils ne contestaient par la demande de rachat des actions de M. St-Onge, sauf en ce qui concerne le prix de vente des actions. Selon eux, le prix devrait être de 20 $ par action pour A&O et 2 070 $ par action pour GMO[6].

Pour des raisons factuelles, le tribunal a jugé que M. St-Onge n’a pas réussi à démontrer que la déclaration de dividendes lui a causé préjudice[7].

Toutefois, le tribunal a annulé la résolution autorisant le versement de l’honoraire spécial. De plus, le tribunal a ordonné à A&O et GMO de racheter les actions détenues par M. St-Onge respectivement pour 20 $ et 2 767 $ par action[8].

Certains objectifs d’une convention entre actionnaires

Les buts habituels des clauses d’achat-vente d’actions prévues dans les conventions entre actionnaires sont les suivants[9] :

  • « 1) assurer le maintien de la détention proportionnelle d'actions entre les actionnaires;
  • 2) conserver le caractère privé « fermé » de la société en empêchant des tiers d'en devenir actionnaires; et
  • 3) créer un marché pour les actions, de manière à permettre aux actionnaires de trouver des acheteurs à bon prix pour celles-ci ».

Nous donnons ci-après des exemples de clauses permettant d’atteindre l’un ou plusieurs de ces objectifs.

a) Le droit de préemption

Prenons l’exemple où un immeuble est détenu par une société par actions. Cette société est elle-même détenue par trois actionnaires, à raison de 33,33 % chacun. Chacun des trois investisseurs est élu pour siéger sur le conseil d’administration de la société.

Par conséquent, chacun des trois investisseurs détient 33,33 % de tout le pouvoir décisionnel de la société.

Dans cet exemple, deux des trois administrateurs pourraient décider d’émettre de nouvelles actions. En effet, les décisions au conseil d’administration se prennent à la majorité.

Deux des trois administrateurs auraient donc le pouvoir d’émettre de nouvelles actions seulement à deux des trois actionnaires.

L’actionnaire à qui aucune nouvelle action ne serait émise verrait donc sa part diluée. On parle de dilution lorsque la part proportionnelle des droits de vote et/ou de participation aux bénéfices de la société est réduite en pourcentage.

Donc, par exemple, au lieu d’avoir un tiers des droits de vote et de la participation, comme initialement prévu, l’actionnaire lésé pourrait se retrouver avec une part réduite à 20 %. Quant aux deux autres actionnaires, chacun d’eux verrait sa part augmenter à 40 %.

Évidemment, ces proportions varieraient en fonction du nombre de nouvelles actions émises par la société.

Pour prévenir le risque qu’une telle situation survienne, on introduit une clause de droit de préemption dans une convention entre actionnaires.

La clause de droit de préemption fait en sorte qu’advenant le cas où de nouvelles actions sont émises par la société, chacun des actionnaires a le droit d’en acquérir une part.

Dans notre exemple, chacun des trois actionnaires aurait le droit de souscrire à 33,33 % des nouvelles actions émises selon la clause de droit de préemption.

Cette clause permet donc de maintenir la détention proportionnelle d’actions entre les actionnaires.

b) Le droit de premier refus

Lorsqu’on s’associe avec des personnes pour détenir un immeuble via une société, on choisit notre partenaire selon différents critères (financiers, humains, etc.). Autrement dit, on n’est pas nécessairement prêt à se lancer dans l’aventure de l’investissement immobilier avec n’importe qui.

Or, en l’absence de convention entre actionnaires, il sera difficile d’empêcher un actionnaire de vendre ses actions à la personne de son choix.

Par exemple, si un actionnaire décide de vendre ses actions à son enfant de 18 ans qui n’a aucune expérience en immobilier, il pourrait normalement le faire.

Afin de prévenir une telle situation, une clause de droit de premier refus doit être prévue dans la convention entre actionnaires. La clause de droit de premier refus prévoit généralement que si un actionnaire reçoit une offre d’un tiers pour ses actions, il devra d’abord offrir ses actions à ses coactionnaires.

L’actionnaire ayant reçu l’offre du tiers devra offrir ses actions à ses coactionnaires au même prix et conditions que ceux qui lui sont offerts par le tiers.

Ce n’est que si ses coactionnaires refusent cette offre prévue par la convention que l’actionnaire vendeur aura le droit de procéder à sa transaction avec le tiers acquéreur.

La clause de droit de premier refus permet donc aux actionnaires d’atteindre les buts suivants :

  • Maintenir le caractère privé de la société;
  • Éviter de se voir imposer un associé qu’ils n’ont pas choisi;
  • Créer un marché pour les actions de la société.

En effet, concernant la création d’un marché pour les actions, il faut comprendre que les actionnaires auront souvent intérêt à acheter les actions de l’actionnaire vendeur plutôt que de se voir imposer un nouvel associé.

c) Le cas du décès d’un actionnaire

En cas de décès d’un des actionnaires, les autres actionnaires risquent que la personne ayant hérité des actions devienne coactionnaire avec eux.

La convention entre actionnaires peut prévoir des clauses relatives au décès qui évitent une telle situation.

Ces clauses font généralement en sorte que l’actionnaire décédé est réputé avoir transmis ses actions à ses coactionnaires immédiatement avant son décès. Le prix de vente des actions du défunt est normalement prévu par la clause d’évaluation incluse dans la convention.

Les actionnaires qui sont toujours en vie se retrouvent donc à détenir les actions qui appartenaient au défunt. Toutefois, en contrepartie, ils doivent payer le prix des actions à la succession.

L’achat des actions du défunt et le paiement du prix de vente des actions du défunt à sa succession pourra être financé par une police d’assurance-vie.

Une telle stratégie de financement par assurance-vie comporte des avantages fiscaux, car le montant reçu au décès n’est habituellement pas imposable.

Les clauses relatives au décès permettent donc d’atteindre les buts suivants :

  • Maintenir le caractère privé de la société;
  • Ne pas se voir imposer un nouvel actionnaire;
  • Créer un marché pour les actions de l’actionnaire décédé.

d) L’option de demander le rachat d’actions

Pour en revenir à l’affaire St-Onge c. A&O Gendron inc., les parties auraient pu éviter d’avoir à s’adresser aux tribunaux s’ils avaient initialement conclu des conventions entre actionnaires.

Plus particulièrement, ils auraient pu prévoir des clauses permettant à un actionnaire de demander que ses actions soient rachetées par les sociétés. Les conventions auraient également prévu la manière de déterminer le prix de vente des actions.

Bref, les actionnaires de A&O et de GMO n’auraient eu qu’à se référer à leurs conventions entre actionnaires pour trouver une issue à leur situation et ils auraient ainsi évité un tel litige devant le tribunal.

Conclusion

En conclusion, la convention entre actionnaires vient tout simplement simplifier la vie des investisseurs immobiliers dans différents contextes.

En l’absence d’une telle convention, s’il survient un conflit, les investisseurs ont deux options :

  1. Négocier une entente, alors qu’aucun paramètre de négociation n’a été préétabli; ou
  2. S’adresser aux tribunaux.

Le rôle du conseiller juridique en droit des affaires est justement de faire en sorte d’éviter que les parties aient à s’embourber dans l’une ou l’autre de ces situations :

  • Des négociations qui n’en finissent plus; ou
  • Des procédures judiciaires lourdes, longues et stressantes.

Ainsi, la convention entre actionnaires est un outil formidable à la disposition des investisseurs immobiliers et autres entrepreneurs pour leur éviter d’avoir à passer un mauvais quart d’heure si les choses tournent mal.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter nos avocats.


[1] St-Onge c. A&O Gendron inc. (C.S., 2013-02-22), 2013 QCCS 774, par. 153; Appel déserté (C.A., 2015-03-15) 500-09-023441-132. Règlement hors cour (C.A., 2015-03-23) 500-09-023441-132

[2] Id.

[3] Id., par. 1.

[4] Id., par. 2..

[5] Id., par. 3.

[6] Id., par. 8.

[7] Id., par. 64.

[8] Id., par. 85.

[9] P. MARTEL et L. MARTEL, Les conventions entre actionnaires : une approche pratique, 12e éd., Wilson & Lafleur, 2017, p. 15.

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Auteur de cet article
Me François Beaulieu-Lauzon
Me François Beaulieu-Lauzon
Avocat associé en droit des affaires chez Tétreault Sauvé Lauzon s.e.n.c.r.l.

Tétreault Sauvé Lauzon s.e.n.c.r.l. est une firme interdisciplinaire qui dispose de compétences professionnelles élevées pour vous suivre, vous conseiller et faire grandir votre entreprise tout au long de sa durée de vie. La synergie établie entre les quatre différentes spécialités, soit le droit des affaires, la fiscalité, la comptabilité et l'évaluation d'entreprise, permet d’apporter un soutien aux gens d’affaires à tous les niveaux du développement de leur entreprise. Tétreault Sauvé Lauzon s.e.n.c.r.l. peut vous guider efficacement dans vos projets immobiliers et de construction, des points de vue fiscal, légal et comptable.