
Annulation d’un bail commercial : est-ce possible ?
Avant la conclusion d’un bail commercial, le futur locataire fait ses vérifications et se fie en partie sur les représentations du locateur (bailleur). Or, qu’arrive-t-il si le locataire, après avoir intégré les lieux, s’aperçoit que ce qui lui a été représenté par le locateur avant la signature du bail est faux ? Peut-il demander l'annulation du bail ?
Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats
Date de rédaction : 2025-01
Date de mise à jour : n/a
1. L’obligation de bonne foi dans le cadre des négociations du bail
Normalement, un futur locataire prendra contact avec des propriétaires afin de trouver un local idéal pour opérer son entreprise. Pendant ce processus, il verra à visiter les lieux proposés, les examiner et poser des questions à celui qui les offre en location. Ce processus est fondamental afin de trouver l'espace adéquat et éviter les mauvaises surprises. L'honnêteté est de mise dans ce processus, comme l'enseigne la loi et la jurisprudence.
En effet, autant le locateur (bailleur) que le locataire a des obligations de bonne foi dans la négociation, la conclusion et l’exécution d’un contrat, ce qui inclut le bail commercial. Ces obligations découlent notamment des articles 6 et 1375 du Code civil du Québec :
- 6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
- 1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.
La Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Canal médical inc. c. Développement Olymbec inc., 2024 QCCS 2236, confirme qu’au stade de la négociation (stade précontractuel), « les exigences de la bonne foi doivent être respectées et emporte[nt] un devoir de renseignement » (par. 13).
Le devoir de renseignement sera souvent du côté du locataire dans le cadre de la négociation d’un bail. Ce dernier devra par exemple recueillir l’information pertinente relativement au local qu’il s’apprête à louer (par exemple la superficie, les inclusions, le zonage municipal/usage autorisé, etc.).
La Cour dans le jugement précité explique au paragraphe 14 ce qu’implique le devoir de renseignement. Appliqué à un futur locataire qui s’apprête à négocier un bail, les points suivants peuvent être considérés :
- la connaissance réelle ou présumée de l’information par le locataire ;
- la nature déterminante de l’information pour le locataire dans sa décision de louer ou non les lieux ; et
- l’impossibilité du locataire de se renseigner lui-même ou la confiance légitime de ce dernier envers le locateur.
Or, qu’arrive-t-il lorsque le locataire, qui s’est fié aux représentations du locateur face aux lieux loués se retrouve avec un local qui n’est pas conforme à ce qui a été discuté ?
Le bail pourrait-il être annulé ? C’est à cette question de la Cour supérieure répond dans l’affaire Canal médical inc. c. Développement Olymbec inc., 2024 QCCS 2236.
2. Le bail commercial peut-il être annulé en cas de fausses représentations du locateur ?
La Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Canal médical inc. c. Développement Olymbec inc., 2024 QCCS 2236, s’est penchée sur la question.
Dans cette affaire, le locataire invoquait que son consentement à conclure le bail avait été vicié car le locateur avait entre autres omis de lui divulguer que le local était dépourvu de système de ventilation (par. 15), argument qui a été retenu par le tribunal.
Le locataire œuvrait dans le domaine de l’équipement médical, notamment dans la production de masques respiratoires (par. 17).
Il a discuté de ses besoins locatifs avec les représentants du locateur, et demandait s’il était possible « d’installer une climatisation dans le local afin de recycler l’air chaud que génère la machine de production de masques » (par. 20).
Bien que le locateur a indiqué que cette installation était possible à faire, il n’a pas mentionné au potentiel locataire que le local n’avait pas de système de ventilation mécanique (par. 20 et 21).
Finalement, après avoir intégré les lieux, le locataire a constaté cela, ce qui rendait ses opérations impossibles dans ce local dû notamment aux obligations en matière de normes du travail (par. 25-27).
Le tribunal conclut que le consentement du locataire a été vicié pour cause de dol (ou tromperie) de la part du locateur pour les raisons suivantes :
- Le locateur savait que le local était dépourvu de ventilation mécanique (par. 43) ;
- Cette information était déterminante pour le locataire considérant les activités qu’il voulait mener dans le local (par. 44) ;
- Le locataire faisait confiance au locateur, « qui reconnait être une entreprise d’envergure dans le domaine du louage commercial » (par. 45). Il a informé le locateur des activités qu’il comptait faire dans le local, et le locateur lui a proposé ce local en question. Le tribunal juge que le locataire pouvait avoir légitimement confiance que le local proposé par le locateur pouvait lui permettre d’exploiter ses activités (par. 45).
Ainsi, le tribunal juge que le locateur avait l’obligation d’informer le futur locataire que le local qu’il s’apprêtait à louer était dépourvu d’un système de ventilation mécanique (par. 46).
Le tribunal juge également qu’un formulaire signé par le locataire indiquant que ce dernier « reconnait avoir examiné l’entièreté des Lieux, incluant tous les équipements pertinents, et s’en déclare satisfait et accepte les Lieux sur une base « tel quel », sans garantie par le Locateur de leur état, condition ou habileté de fonctionnement » ou la clause d’intégralité du bail « n'empêche pas le locataire de demander l’annulation du bail et de prouver l’erreur dolosive, car cette erreur survient avant la conclusion du bail pendant la période précontractuelle » (par. 65).
Les articles pertinents du Code civil du Québec (C.c.Q.) en matière de vice de consentement dont il est question dans ce jugement sont les suivants :
- 1399. Le consentement doit être libre et éclairé.
- Il peut être vicié par l’erreur, la crainte ou la lésion.
- 1400. L’erreur vicie le consentement des parties ou de l’une d’elles lorsqu’elle porte sur la nature du contrat, sur l’objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
- L’erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
- 1401. L’erreur d’une partie, provoquée par le dol de l’autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
- Le dol peut résulter du silence ou d’une réticence.
- 1407. Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer.
Le tribunal a donc annulé le bail et accordé des dommages-intérêts au locataire.
3. À retenir
À la lumière des obligations de bonne foi imposées par le Code civil et la jurisprudence, il est à retenir ce qui suit en matière de négociation d’un bail commercial :
- Toutes les parties doivent faire preuve d’honnêteté et de bonne foi l’une envers l’autre;
- Le futur locataire a des obligations de renseignement et doit donc s’informer avant de louer des lieux, mais il peut parfois légitimement se fier à certaines informations transmises par le locateur;
- Le locateur doit divulguer et non cacher les informations déterminantes pour le futur locataire;
- La nullité du bail commercial peut parfois être une solution en cas de vice de consentement de la part du locataire.
Au final, l’honnêteté dans la négociation et la conclusion d’un contrat est de mise, et sera d’autant plus profitable pour toutes les parties à long terme !
AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.
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