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Appel ou révision d’une décision de gestion ?

Appel ou révision d’une décision de gestion ?

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2022-10

Date de mise à jour : n/a

Principes applicables

En procédure civile, en vertu du Code de procédure civile du Québec (C.p.c.), le tribunal dispose de larges pouvoirs de gestion en vertu de l’article 158 C.p.c. :

158. À tout moment de l’instance, le tribunal peut, à titre de mesures de gestion, prendre, d’office ou sur demande, l’une ou l’autre des décisions suivantes:

  • 1°   prendre des mesures propres à simplifier ou à accélérer la procédure et à abréger l’instruction, en se prononçant notamment sur l’opportunité de joindre, disjoindre ou scinder l’instance, de préciser les questions en litige, de modifier les actes de procédure, de limiter la durée de l’instruction, d’admettre des faits ou des documents, d’autoriser des déclarations pour valoir témoignage ou de fixer les modalités et le délai de communication des pièces et des autres éléments de preuve entre les parties, ou encore en invitant les parties à participer soit à une conférence de gestion, soit à une conférence de règlement à l’amiable ou à recourir elles-mêmes à la médiation;
  • 2°   évaluer l’objet et la pertinence de l’expertise, qu’elle soit commune ou non, en établir les modalités ainsi que les coûts anticipés et fixer un délai pour la remise du rapport; si les parties n’ont pu convenir d’une expertise commune, apprécier le bien-fondé de leurs motifs et imposer, le cas échéant, l’expertise commune, si le respect du principe de proportionnalité l’impose et que cette mesure, tenant compte des démarches déjà faites, permet de résoudre efficacement le litige sans pour autant mettre en péril le droit des parties à faire valoir leurs prétentions;
  • 3°   déterminer, si des interrogatoires préalables à l’instruction sont requis, les conditions de ceux-ci, notamment leur nombre et leur durée lorsqu’il paraît nécessaire que celle-ci excède le temps prescrit par le Code;
  • 4°   ordonner la notification de la demande aux personnes dont les droits ou les intérêts peuvent être touchés par le jugement ou inviter les parties à faire intervenir un tiers ou à le mettre en cause si sa participation lui paraît nécessaire à la solution du litige et, en matière d’état, de capacité ou en matière familiale, ordonner la production d’une preuve additionnelle;
  • 5°   statuer sur les demandes particulières faites par les parties, modifier le protocole de l’instance ou autoriser ou ordonner les mesures provisionnelles ou de sauvegarde qu’il estime appropriées;
  • 6°   déterminer si la défense est orale ou écrite;
  • 7°   autoriser la prolongation du délai pour la mise en état du dossier;
  • 8°   prononcer une ordonnance de sauvegarde dont la durée ne peut excéder six mois.

Or, il arrive qu’en cours d’instance, une partie souhaite faire réviser une décision de gestion, considérant par exemple que la décision précédente ne lui convient plus. Or, la révision d’une décision de gestion passe-t-elle systématiquement par la procédure d’appel à la Cour d’appel du Québec ?

En fait, pas nécessairement. L’article 159 C.p.c. prévoit un pouvoir de révision des décisions de gestion d’instance :

  • 159. Les décisions de gestion prises par le tribunal sont consignées au procès-verbal d’audience et sont considérées inscrites au protocole de l’instance. Elles régissent, avec ce protocole, le déroulement de l’instance, sauf révision par le tribunal.

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire St-Louis c. La Presse ltée, 2021 QCCA 1782, confirme ce principe :

  • « [21] […] De plus, et comme la Cour la soulignait en 2012, les jugements de gestion « sont essentiellement révisables au fur et à mesure de l’évolution du dossier et des difficultés rencontrées afin de le mettre en état pour l’instruction sur le fond »[14], « [c]ette souplesse [étant] inhérente au travail de gestion »[15]. Ainsi, dans l’éventualité où l’expertise commune ordonnée par le juge de première instance serait incomplète ou déficiente au point de mettre en péril les droits de l’appelante, cette dernière pourra, par le biais d’un nouvel avis de gestion, demander à la Cour supérieure d’intervenir et de prendre toute mesure qui pourrait s’avérer justifiée dans les circonstances ».

La Cour supérieure, dans l’affaire Magasins D'Accord inc. c. Bouchard, 2020 QCCS 658, confirme également ce principe, plus en détail :

[32] La Cour d’appel nous enseigne que[9] :

  • « [24] C’est la nature de la décision plutôt que le contexte dans lequel elle a été rendue qui permet de départager la mesure de gestion de la décision en cours d’instance. Les décisions de gestion reposent sur une appréciation des « principes directeurs de la procédure ». (…). »

[référence omise]

[33] Lorsqu’il s’agit d’une décision sur une mesure de gestion, l’article 159 C.p.c. prévoit un pouvoir de révision des décisions rendues au sein d’un même tribunal. Cet article se lit :

  • 159. Les décisions de gestion prises par le tribunal sont consignées au procès-verbal d’audience et sont considérées inscrites au protocole de l’instance. Elles régissent, avec ce protocole, le déroulement de l’instance, sauf révision par le tribunal.

           [notre emphase]

[34] L’ancien article 151.7 C.p.c. prévoyait  expressément un pouvoir de révision:

  • 151.7. Les décisions prises par le tribunal sont consignées au procès-verbal d'audience et régissent les parties quant au déroulement de l'instance et, le cas échéant, quant à l'audition de la demande, à moins que le juge n'en décide autrement.      
  • Les parties doivent respecter les échéances ainsi fixées sous peine de la sanction prévue par le code ou à défaut, du rejet de la demande, de la radiation des allégations concernées ou de forclusion, selon le cas. Le juge peut néanmoins, sur demande, relever de son défaut la partie défaillante, s'il estime que l'intérêt de la justice le requiert; la partie est tenue au paiement des frais causés par son manquement, sauf décision contraire du juge.

[notre soulignement]

[35] La Ministre de la Justice, dans ses commentaires concernant le nouveau Code de procédure civile souligne que[10] :

  • « La disposition reprend le droit antérieur en précisant toutefois que les décisions de gestion sont non seulement consignées au procès-verbal, mais également considérées comme inscrites au protocole de l’instance. L’article rappelle que ces décisions du tribunal peuvent toujours être revues par ce dernier si cela s’avère nécessaire. »

[36] Sous l’empire de l’ancien Code de procédure civile, la Cour d’appel, faisant  référence à l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile[11] écrit[12]:

  • « [41] En pratique, si une ordonnance de gestion cause problème, le remède n’est pas de se pourvoir en appel, mais d’en demander la révision au tribunal qui peut toujours apporter les ajustements opportuns.
  • [42] Cette souplesse est inhérente au travail de gestion. Il n’est pas nécessaire de tout prévoir et de tout régler dès une première décision. Il est toujours possible de rajuster le tir si besoin est. »

                  [nos soulignements]

[37] Le tribunal estime que la décision du Juge Villeneuve vise à établir la procédure et les délais applicables à la communication de certaines pièces par les défendeurs[13] de sorte qu’elle est plutôt de la nature d’une décision sur une mesure de gestion même si elle est rendue en cours d’instance.

[38] À notre avis, le pouvoir de révision prévu à l’article 159 C.p.c. subsiste s’il existe des circonstances particulières permettant de conclure que cela s’avère nécessaire pour une saine administration de la justice. Récemment, la Cour d’appel, dans un tout autre contexte, écrivait ceci concernant les cas de forclusion automatique[14] :

  • « [33] Ainsi, lorsqu'un juge statue sur une demande pour faire déclarer une partie forclose de plaider pour défaut de paiement, il doit minimalement examiner les raisons justifiant ce défaut avant de prononcer une telle forclusion, et ce, même lorsque la forclusion est automatiquement prévue dans l’ordonnance de sauvegarde. »

[39] De l’avis du tribunal, ce principe à l’effet que la forclusion automatique ne devrait pas être prononcée sans que les parties aient eu l’occasion d’être entendues et de faire valoir les circonstances entourant le défaut  doit  s’appliquer en l’espèce.

[40] La Cour d’appel nous enseigne toutefois que le pouvoir de révision prévu à l’article 159 C.p.c. in fine  « n’est pas attributif d’un pouvoir d’infirmer la décision d’un autre juge de la Cour sur la même question, sans qu’il y ait un changement de circonstances. »[15]. 

En bref, à retenir

La révision d’une décision de gestion par le tribunal peut être un outil efficace en procédure civile, et ce, sans passer par la Cour d’appel.

Cependant, nous pouvons constater que la jurisprudence impose, comme condition à la révision, que la partie demandant cette révision démontre un changement de circonstances justifiant la révision.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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