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Bail commercial : enjeux légaux de la clause de résiliation extrajudiciaire ou automatique

Bail commercial : enjeux légaux de la clause de résiliation extrajudiciaire ou automatique

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Il arrivera que le locateur, en présence d’une clause de résiliation automatique dans le bail, se demande s’il peut l’appliquer sans aller devant les tribunaux, et ainsi mettre fin au bail. Or, malgré la rédaction de ce type de clause, nous verrons que son application n’est pas si directe. Des règles sont à suivre, suivant les enseignements des tribunaux en cette matière.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat

Date de rédaction : 2022-03

Dernière mise à jour : n/a

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de consulter un avocat.

1. Qu’est-ce que la clause de résiliation automatique ?

En matière de baux commerciaux, il importe toujours de se référer l’abord au bail afin de bien connaitre les droits et obligations des parties. Cependant, la pratique nous démontre que des clauses typiques se retrouvent fréquemment dans les baux, et cela est le cas de la clause de résiliation dite « automatique », ou de « plein droit ».

La clause de résiliation automatique extrajudiciaire du bail peut être identifiée sous différentes formulations, par exemple sous le vocable de « résiliation de plein droit », « résiliation automatique », ou « résiliation extrajudiciaire ». Cette clause est souvent au bénéfice du locateur, puisqu’elle peut permettre, en cas de défaut du locataire, de résilier le bail sans qu’un recours devant le tribunal soit nécessaire[1].

Un tel mécanisme de résiliation du bail peut sembler plus efficace et plus pratique pour le locateur. Par exemple, si le locataire est en défaut de respecter une ou plusieurs dispositions du bail (par exemple le paiement du loyer), le locateur pourrait par exemple mettre fin au bail et reprendre possession des lieux loués sans préavis ou mise en demeure si la clause le lui permet. Le lien contractuel entre les parties serait par conséquent rompu.

Or, nous émettons les mises en garde requises face à une telle application radicale de ce type de clause, tel que vous le verrez à la lecture de ce qui suit.

  • Il est aussi à noter que la résiliation automatique extrajudiciaire n’est qu’un mécanisme de résiliation possible, il est aussi possible de demander la résiliation du bail via une demande judiciaire[2], mais il convient de choisir un des deux moyens.

2. Quelles sont les conditions d’application et de validité de la clause de résiliation de plein droit ?

La Cour d’appel du Québec a reconnu à plusieurs reprises la validité d’une telle clause de résiliation extrajudiciaire dans un bail commercial[3].

Pour être valide, la jurisprudence a identifié certaines conditions générales pour qu’une telle clause soit valide :

  1. Le bail doit, dans ses clauses, expressément prévoir la résiliation extrajudiciaire de manière non équivoque[4] :
    • Autrement dit, les clauses prévoyant les circonstances d’application de la résiliation de plein droit doivent être claires et font l’objet d’une interprétation restrictive par les tribunaux[5];
  2. Le locateur ne doit pas déjà avoir intenté de recours judiciaire en résiliation du bail à l’encontre du locataire s’il veut se prévaloir de son droit de résiliation automatique[6] :
    • À noter qu’un recours judiciaire qui demande la constatation de la résiliation extrajudiciaire du bail ne fait pas échec à la deuxième condition[7];
  3. Le locateur ne doit pas être lui-même en défaut de ses obligations envers le locataire visé[8];
    • Cette règle peut cependant être écartée si le bail prévoit une clause à cet effet, invoquant notamment la renonciation du locataire à l’exception d’inexécution. En fait, la renonciation à l’exception d’inexécution prévue à l’article 1591 du C.c.Q. peut être prévue dans un bail et il est reconnu par les tribunaux qu’une telle renonciation n’est pas contraire à l’ordre public[9].

3. Comment appliquer la clause de résiliation de plein droit

Si le locateur veut mettre en œuvre la clause de résiliation automatique (ou « de plein droit ») du bail, il doit, par exemple, procéder ainsi :

  1. Le locataire doit être en demeure de plein droit ou via une mise en demeure;
  2. Par la suite, par exemple, le locateur pourrait demander au tribunal de constater la résiliation de plein droit et l’expulsion du locataire (plusieurs nuances s’imposes ici).

a) Le locataire doit être en demeure

La demeure de plein droit :

La notion de « demeure de plein droit » est définie par l’article 1597 du C.c.Q.

À cet égard, la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc.[10] résume clairement les cas d’application de la demeure de plein droit :

[134]     Les circonstances donnant lieu à une demeure de plein droit par le seul effet de la loi sont énoncées à l’article 1597 C.c.Q. : 

  • Lorsqu’une obligation ne pouvait être exécutée utilement que dans un certain temps et le débiteur a laissé s’écouler cette période de temps;
  • Lorsque le débiteur n’a pas exécuté immédiatement une obligation qui devait être exécutée de manière urgente;
  • Lorsque le débiteur a manqué à une obligation de ne pas faire;
  • Lorsque le débiteur a rendu impossible l’exécution en nature de l’obligation dont il est le débiteur;
  • Lorsque le débiteur a clairement manifesté au créancier son intention de ne pas exécuter l’obligation; ou
  • lorsqu’il s’agit d’une obligation successive et que le débiteur refuse de l’exécuter de manière répétée.

À titre d’illustration, dans l’affaire Complex Jean-Talon West Inc. c. 2974100 Canada inc.[11], la Cour d’appel a déterminé que le débiteur était en demeure de plein droit du moment qu’il était en défaut d’exécuter plusieurs de ses obligations, dont le paiement du loyer, l’installation de bannières publicitaires, l’utilisation du stationnement ainsi que son obligation de faire certaines réparations.

À noter qu’il est important, dans l’application d’une clause de résiliation de plein droit, que le locateur fasse la démonstration que le locataire est en défaut d’exécuter ses obligations stipulées dans le bail[12].

À noter que malgré tout, il arrive souvent qu’en pratique la mise en demeure préalable puisse être recommandée selon une évaluation au cas par cas.

La mise en demeure :

Si le locataire n’est pas en demeure de plein droit, le locateur pourrait transmettre une mise en demeure au locataire fautif pour signaler ses défauts et son intention de résilier le bail via l’application de la clause de résiliation de plein droit. Cette mise en demeure pourrait aussi prendre forme d’un avis de résiliation[13].

b) La demande judiciaire pour constater la résiliation du bail

Une fois que les conditions mentionnées ci-dessus ont été respectées, le locateur pourrait demander un tribunal de constater la résiliation de plein droit du bail et d’ordonner le locataire de quitter le lieu loué[14]. Ce faisant, le locateur aurait potentiellement moins de risque de se faire opposer un abus de droit par le locataire en raison de l’application abusive de la clause de résiliation.

4. Limites dans l’application pratique

Malgré la validité potentielle et la mise en œuvre de la clause de résiliation du bail de plein droit, il y a des limites à son application.

En effet, dans l’application de la clause de résiliation de plein droit, le locateur doit avoir agi de bonne foi, car si la mauvaise foi de ce dernier est démontrée par le locataire, le locateur pourrait à titre d’exemple être condamné pour abus de procédure et dommages en lien avec l’application abusive de la clause de résiliation.

De plus, il est important de savoir que même si une clause de résiliation automatique de plein droit peut être valide, il est possible que l’application de ladite clause soit par la suite examinée par le tribunal. À cet égard, la Cour d’appel, dans l’affaire 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc.[15], s’exprime ainsi :

  • [32] J'ai d'autant moins d'hésitation à reconnaître la validité, et la portée, d'une clause prévoyant expressément la résiliation de plein droit d'un Bail commercial au cas d'inexécution des engagements contractuels pris par l'une ou l'autre des parties que cela me semble aller dans le sens de ce que le législateur a voulu favoriser en adoptant la règle posée par l'article 1605 C.c.Q. au titre « Des obligations en général ». Si le créancier d'une obligation inexécutée se trompe en soutenant que le Bail est résilié de plein droit, sans poursuite judiciaire, il risque de se faire dire plus tard par le tribunal qu'il n'avait pas droit à cette résolution, et d'avoir à payer le prix de son erreur. Le contrôle judiciaire a po steriori vaut bien, dans ce contexte, le contrôle judiciaire a priori. (nos soulignements)

Finalement, il est à retenir qu’une telle clause de résiliation doit être exercée de façon raisonnable et conformément aux exigences de la bonne foi[16]. Dans le domaine contractuel, « la bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction »[17]. Les parties doivent donc respecter les exigences de la bonne foi même dans la terminaison de leur relation contractuelle[18].

5. Ce qui pourrait être soulevé par le locataire face à la résiliation de plein droit du bail

Les tribunaux peuvent intervenir à la suite de la contestation de la part du locataire face à l’application par le locateur de la clause de résiliation de plein droit du bail.

En effet, les tribunaux considèrent la manière dont le locateur exerce son droit de résiliation de plein droit du bail. À titre d’exemple, un avis de moins de 24 heures au locataire a déjà été qualifié de trop court et d’abusif par la Cour d’appel[19]. En effet, lorsque le locataire n’est pas en demeure de plein droit, il faut accorder au locataire un délai raisonnable pour lui donner une chance de corriger ses défauts[20].

Enfin, il est à retenir que l’application de la clause de résiliation de plein droit du bail commercial ne doit pas être utilisée de manière abusive et de mauvaise foi. Autrement, le locataire, dans certaines circonstances, pourrait demander des dommages au locateur.

  • À noter qu’en l’absence d’une clause de résiliation de plein droit, la loi permet au locataire poursuivi en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer peut payer au locateur les sommes exigées avant jugement pour éviter la résiliation du bail[21].

6. À retenir

L’analyse du droit et de la jurisprudence a permis de déterminer qu’une clause de résiliation de plein droit du bail commercial est effectivement valide.

Toutefois, son application peut être soumise rétroactivement à un examen par les tribunaux. Pour subsister à cet examen, il faut que cette clause réponde à quelques conditions expliquées ci-dessus, dont notamment (et sauf exception) :

  1. Le Bail doit expressément prévoir la résiliation extrajudiciaire;
  2. Le Locateur ne doit pas avoir intenté de recours judiciaire à l’encontre du Locataire s’il veut se prévaloir de son droit de résiliation automatique;
  3. Le Locateur ne doit pas lui-même être en défaut de ses obligations envers le Locataire visé;
  4. Le débiteur doit être en demeure;
  5. Le Locateur doit exercer son droit de résiliation de manière raisonnable et en absence de mauvaise foi.

Évidemment, ces règles comportent de nombreuses exceptions dans leur application, notamment eu égard aux faits particuliers de chaque cas et surtout eu égard au bail en cause.

Devant l’application de ces clauses, il est important de consulter un avocat en droit immobilier afin de déterminer quelle est la bonne marche à suivre.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter nos avocats.


[1] À noter que la résiliation de plein droit est également prévue à l’article 1605 C.c.Q.

[2] Possibilité énoncée à l’article 1863 C.c.Q.

[3] 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc. [2003] RDI 225 (QCCA), par. 31, https://canlii.ca/t/1stdr. Voir en comparaison avec Place Fleur de lys c. Tag's Kiosque inc., [1995] R.J.Q. 1659, https://canlii.ca/t/1nmql.

[4] Gestion CDGM inc. c. Roux, 2017 QCCA 229, par. 37.

[5] 9745866 Canada inc. c. 9518002 Canada inc., 2021 QCCA 1530, par. 29 : https://canlii.ca/t/jjpjq.

[6] 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc. [2003] RDI 225 (QCCA), par. 37, et Sodicor inc. c. Louis Laliberté Notaire inc., 2019 QCCS 4825, par 25 et 26 : https://canlii.ca/t/j3g5b

[7] Sergnese c. Lemaire, 2016 QCCQ 4808, par. 49, https://canlii.ca/t/gs9gg.

[8] Voir comment l’exception d’inexécution est appliquée dans Dépanneur Diane inc. c. Metcap Living Management Inc., 2016 QCCS 1562, par. 24-26 : https://canlii.ca/t/gpdhb 

[9] Borex inc. c. Trac Lease Inc., 2012 QCCA 1012, par. 5, https://canlii.ca/t/frl2r, principe confirmé par la Cour supérieure dans Dorval Property Corporation c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3951, par. 31, https://canlii.ca/t/jbtql.

[10] Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc., 2019 QCCS 4430, par. 134, https://canlii.ca/t/j30zb.

[11] Complex Jean-Talon West Inc. c. 2974100 Canada inc., 2012 QCCA 1904, par. 3, https://canlii.ca/t/ftgqn. Cité dans Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc., 2019 QCCS 4430 (CanLII), https://canlii.ca/t/j30zb, par. 138.

[12] Succession de Heinz Klaassen c. Ferme Klaassen enr., 2019 QCCQ 7041, par. 49, https://canlii.ca/t/j3d0h. Voir également Société du Vieux-Port de Montréal inc. c. 9196-0898 Québec inc. (Scena), 2013 QCCA 380, https://canlii.ca/t/fwc8n.

[13] 9745866 Canada inc. c. 9518002 Canada inc., 2021 QCCA 1530, par. 13 et 40, https://canlii.ca/t/jjpjq.

[14] Sergnese c. Lemaire, 2016 QCCQ 4808, par. 3, https://canlii.ca/t/gs9gg; Voir aussi Asha Patel c. 9352-2662 Québec inc., 2017 QCCQ 12957, par. 10, https://canlii.ca/t/hnbb5.

[15] 2003 CanLII 55072 (QCCA), https://canlii.ca/t/1stdr.

[16] Brigitte LEFEBVRE, « La rupture du contrat pour cause d’inexécution : regards sur le rôle de la bonne foi », (2006) 36(1) Revue générale de droit 69, p. 82.

[17] Art. 1375 C.c.Q.

[18] Voir l’application du principe dans Perrier c. Lauriston, 2018 QCCS 1974, par. 134, https://canlii.ca/t/hs0l2.

[19] Voir 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc., 2003 CanLII 55072 (QC CA), https://canlii.ca/t/1stdr, par. 39.

[20] Canada — Les Halles Holdings c. Gonzalez, 2018 QCCQ 4409, par. 51, https://canlii.ca/t/ht1vf. Voir aussi l’article 1595 al. 2 C.c.Q.

[21] Art. 1883 C.c.Q., voir aussi 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc., 2003 CanLII 55072 (QCCA), https://canlii.ca/t/1stdr, aux par. 37.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).