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Biens du locataire laissés dans les lieux loués après son départ : aperçu des règles applicables et des responsabilités du propriétaire

Biens du locataire laissés dans les lieux loués après son départ : aperçu des règles applicables et des responsabilités du propriétaire

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Lorsqu’un locataire quitte les lieux et laisse sur place ses biens, la question se pose à savoir quoi faire avec ces biens. Est-ce que le propriétaire peut en disposer ? Et si oui comment ? Ci-après un aperçu des règles applicables.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2023-05

Date de mise à jour : n/a

1. Les règles en matière de bail résidentiel

a) Le locataire doit enlever ses meubles du logement

Le locataire d’un logement a, à la fin du bail, l’obligation de laisser celui-ci libre des meubles qui lui appartiennent[1].

En effet, l’article 1978 du Code civil du Québec indique ce qui suit :

  • 1978. Le locataire doit, lorsque le bail est résilié ou qu’il quitte le logement, laisser celui-ci libre de tous effets mobiliers autres que ceux qui appartiennent au locateur. S’il laisse des effets à la fin de son bail ou après avoir abandonné le logement, le locateur en dispose conformément aux règles prescrites au livre Des biens pour le détenteur du bien confié et oublié.

Cette disposition renvoie directement aux articles 944 et suivants du C.c.Q., impliquant l’envoi d’un avis au locataire par le propriétaire.

b) L’avis qui doit être donné au locataire

Selon ces règles, si le locataire a laissé sur les lieux ses biens meubles après avoir quitté le logement, le locateur/propriétaire doit appliquer les règles des articles 944 et suivants du Code civil du Québec et faire ce qui suit s’il veut disposer des biens du locataire :

  1. Transmettre au locataire un avis d’au moins 90 jours pour lui permettre de venir récupérer ses effets (art. 944 C.c.Q.) – le tout idéalement transmis par huissier ;
  2. À l’expiration de ce délai, il peut disposer des biens selon l’une des façons suivantes énoncées à l’article 945 C.c.Q. :
    1. Les vendre aux enchères ; OU
    2. Les vendre de gré à gré (simplement d’une personne à l’autre)[2].
  3. Si les biens ne peuvent pas être vendus, le locateur/propriétaire doit les donner à un organisme de bienfaisance ;
  4. Si les biens ne peuvent pas être donnés à un organisme de bienfaisance, le locateur/propriétaire peut disposer de ces biens (notamment les jeter).

À noter que les règles des articles 944 et 945 C.c.Q. ne trouveront pas application si les biens ont volontairement été abandonnés par le locataire d’un logement (art. 934 C.c.Q.). En effet, le locataire en tant que propriétaire d’un bien peut librement décider de se départir de l’objet de son droit (art. 947 C.c.Q.)[3]

Également, même si les biens sont « de peu de valeur ou très détériorés » au sens de l’art. 934 al. 2 C.c.Q., cela n’écarte pas les règles des articles 1978 et 944 et suivants du C.c.Q. puisqu’un logement n’est pas un lieu public selon sa définition usuelle[4]. Ces meubles « de peu de valeur ou très détériorés » ne sont donc pas réputés être abandonnés au sens de la loi, et donc un propriétaire ne peut pas les jeter.

c) Exemple de frais qui peuvent être réclamés par le propriétaire

Dans le cadre de l’application de l’avis de 90 jours, il arrivera que le propriétaire doive payer pour déplacer et/ou entreposer les biens du locataire.

Ainsi, il pourrait être en droit de réclamer au locataire les frais engagés pour ce faire, mais généralement pour un maximum de 90 jours[5].

d) Si le locataire qui veut récupérer ses biens ?

Le locataire qui veut récupérer ses biens laissés dans le logement doit agir selon les règles prévues à l’article 946 du Code civil du Québec :

  1. Si les biens n’ont pas été vendus, le locataire peut revendiquer les biens en payant au propriétaire les frais d’administration, etc. relatif aux biens (ex., les frais d’entreposage) (art. 946 al. 1 C.c.Q.) ;
  2. Si les biens ont été vendus conformément aux règles applicables, seul le prix de vente, déduction faite des frais d’administration et du coût de la vente, peut être revendiqué (art. 946 al. 2 C.c.Q.);
  3. Malgré les règles évoquées précédemment, le locataire reste propriétaire de ses biens et du produit de la vente le cas échéant, jusqu’à extinction du droit de propriété (via la prescription acquisitive ou la prescription extinctive, normalement de trois (3) ans)[6].

2. En cas de faute du locateur dans la disposition des biens du locataire expulsé du logement, quel est le tribunal compétent ?

Si le propriétaire dispose des biens du locataire sans suivre les règles applicables vues ci-dessus, le locataire pourrait notamment réclamer la valeur des biens perdus par la faute du propriétaire, sous réserve de la prescription applicable.

À noter que la question de la compétence du tribunal est primordiale s’il survient un litige entre un propriétaire et un locataire concernant la disposition des biens suivant l’abandon d’un logement ou après la fin du bail.

En matière de bail résidentiel, la plupart des causes doivent normalement être traitées en exclusivité par le Tribunal administratif du logement[7]. Cependant, la Loi sur le Tribunal administratif du logement ne prévoit pas de compétence exclusive pour les causes portant sur l’application de l’article 1978 C.c.Q.

À titre d’exemple, la Cour du Québec (division des petites créances), dans l’affaire Lessard c. Rivard, 2017 QCCQ 4221, a été saisie de la question à savoir si elle était compétente pour entendre un litige entre un propriétaire et un locataire en lien avec « la disparition de ses effets personnels à la suite de l’expulsion de son appartement » (par. 1). Ici, le locataire a intenté un recours contre son ancien propriétaire relativement à la disposition de ses biens qui se trouvaient dans le logement.

Dans cette affaire, la Cour du Québec conclut qu’elle a compétence pour entendre le litige, car au moment des faits en litige, le bail était résilié (par. 16-19) :

  • [18] Par conséquent, l’inexistence de lien contractuel entre M. Lessard et M. Rivard et le fait que les matières visées par l’article 1978 C.c.Q. ne sont couvertes par la clause privative de l’article 28 de la Loi sur la Régie du logement précité confèrent au Tribunal sa juridiction.
  • [19] La réclamation de M. Lessard doit être analysée en fonction des règles relatives à la responsabilité extracontractuelle soit l’article 1457 C.c.Q.

Ce raisonnement a par la suite été suivi par la Cour du Québec[8].

En effet, l’article 1978 C.c.Q. s’applique entre autres si 1) le bail est résilié ou si 2) le locataire a quitté le logement. Dans les deux cas, il n’y a plus de relation contractuelle entre le locataire et le propriétaire car le bail a pris fin.

Cette analyse doit par contre être faite au cas par cas, car il appert que le Tribunal administratif du logement se prononce parfois sur des questions relatives à l’application de l’article 1978 C.c.Q.[9] La prudence est donc de mise avant de conclure à la compétence systématique de la Cour du Québec en semblable matière.

3. En matière de bail commercial

Normalement, les dispositions du bail vont prévoir ce type de situation (qui est propriétaire des biens, etc.). Il faut donc se rapporter principalement au bail, et ensuite aux règles particulières du Code civil du Québec.

4. Les particularités en matière d’expulsion du locataire via avis d’exécution

Il est important à noter que le Code de procédure civile du Québec (C.p.c.) prévoit des dispositions particulières lorsque le locataire a été expulsé suivant un jugement, via un avis d’exéction prévu par l’article 692 C.p.c.

En effet, dans ce cas, si un locataire expulsé via un avis d’exécution, l’article 693 du C.p.c. indique que le débiteur est réputé avoir abandonné les biens laissés dans l’immeuble[10] :

  • 693. Lors de l’expulsion, si le débiteur laisse des meubles dans l’immeuble, il est réputé les avoir abandonnés et l’huissier peut les vendre au bénéfice du créancier, les donner à un organisme de bienfaisance s’ils ne sont pas susceptibles d’être vendus ou, s’ils ne peuvent être donnés, en disposer autrement à son gré.

Ainsi, les règles (avis de 90 jours, etc.) prévues aux articles 944 et 945 du Code civil du Québec ne trouveraient pas application.

5. À retenir

La liste des éléments principaux à retenir en cas d’abandon des biens du locataire est la suivante :

  1. En matière résidentielle, le locataire a l'obligation de laisser les lieux loués libres de ses meubles à la fin du bail ;
  • Si des biens sont laissés, le propriétaire doit respecter les articles 944 et suivants du Code civil du Québec, ce qui inclut l'envoi d'un avis de 90 jours au locataire pour lui permettre de récupérer ses effets ;
  • Après ce délai de 90 jours, le propriétaire peut disposer des biens de diverses manières : les vendre aux enchères ou de gré à gré, les donner à une organisation caritative ou les jeter si impossible à vendre ou donner ;
  • Si les biens sont délibérément abandonnés par le locataire, les articles 944 et 945 ne s'appliquent pas ;
  • Le propriétaire peut réclamer au locataire les frais engagés pour déplacer et/ou entreposer les biens, généralement pour un maximum de 90 jours ;
  • Si le locataire souhaite récupérer ses biens, il doit notamment se conformer aux dispositions de l'article 946 du Code civil du Québec ;
  • En cas de faute du propriétaire dans la disposition des biens du locataire, le tribunal compétent peut varier (Tribunal administratif du logement ou Cour du Québec) ;
  • Pour le bail commercial, les termes du bail sont généralement prédominants et sont complétés par le Code civil du Québec.

Finalement, les règles entourant l’abandon des biens d’un locataire sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît et la lecture de la jurisprudence en la matière peut porter à confusion. Il est alors très important de bien distinguer les faits particuliers d’un cas afin de déterminer quelles règles seront applicables.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Art. 1978 C.c.Q.

[2] Voir l’art. 942 C.c.Q.

[3] Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, 2e éd., Les Éditions Thémis, 2007, p. 1022, par. 2356.

[4] Sur la notion de « lieu public », voir R. c. Rhéaume, C.M. Montréal, 197 046 642 et 197 046 659, 17 février 1999, REJB 1999-10968.

[5] Voir Tardif c. Page, 2019 QCRDL 9347 (CanLII), https://canlii.ca/t/hzfzz.

[6] Art. 946 et 953, 2919 et 2925 C.c.Q. ; Voir aussi Gariépy c. Barlow, 2014 QCCQ 4625, https://canlii.ca/t/g7frw.

[7] Art. 28, Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ c T-15.01, https://canlii.ca/t/6dzrs.

[8] Voir notamment Kurkin c. Etingin, 2016 QCCQ 9931 (CanLII), https://canlii.ca/t/gv1pv, aux par. 44-47, et Cloutier c. Lepage, 2021 QCCQ 4150 (CanLII), https://canlii.ca/t/jg2j6.

[9] Voir Lajoie c. Shakar, 2018 QCRDL 17015 (CanLII), https://canlii.ca/t/hs7h6, par. 85 et ss.

[10] Voir aussi Cloutier c. Lepage, 2021 QCCQ 4150, https://canlii.ca/t/jg2j6, par. 27.

*Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/empile-chaises-moderne-meubles-7193573/

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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