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Fumer la cigarette ou le cannabis en logement ou en copropriété : impacts juridiques

Fumer la cigarette ou le cannabis en logement ou en copropriété : impacts juridiques

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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La cigarette et le cannabis dans les immeubles, plus particulièrement dans les logements et les copropriétés, ont fait couler beaucoup d’encre devant les tribunaux dans les dernières années. Il importe donc de faire un retour sur les règles applicables en cette matière.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats.

Date de rédaction : 2023-12

Date de mise à jour : n/a

* Cet article a été rédigé dans le contexte d’une intervention télévisée à la télévision LCN/TVA en décembre 2023. Suivez le lien suivant pour écouter l'entrevue.

1. Les principes applicables en matière de logement

Les principes juridiques qui s’appliquent en matière de fumée de cigarette ou de cannabis sont similaires en contexte de logement.

En matière de logement, le Code civil du Québec prévoit des obligations auxquelles le locataire d’un logement doit se soumettre, notamment :

  • Il doit user du logement avec prudence et diligence (art. 1855 C.c.Q.);
  • Il ne doit pas troubler la jouissance normale des autres locataires (art. 1860 a. 1 C.c.Q.);
  • Il doit notamment respecter les obligations résultant du bail, dans lequel il peut être prévu une stipulation interdisant de fumer du tabac et/ou du cannabis;
  • Il ne doit pas causer au voisinage des inconvénients anormaux (art. 976 C.c.Q.).

Ces obligations du locataire sont souvent en cause dans les affaires en matière de cigarette ou de cannabis, notamment lorsque le locateur demande la résiliation du bail.

En effet, si le locataire ne respecte pas ses obligations, le propriétaire/locateur peut demander notamment des dommages et/ou la résiliation du bail (art. 1860 al. 3 et 1863 C.c.Q.).

De plus, en matière de cannabis, il ne faut pas oublier que la Loi encadrant le cannabis, RLRQ c C-5.3 interdit de facto de fumer dans plusieurs endroits (art. 12 et suivants), notamment dans les :

  • Résidences pour aînés et leur aires communes;
  • Résidences privées où sont fournis des services de garde éducatifs en milieu familial;
  • Aires communes des immeubles d’habitation comportant deux logements ou plus

a) Si l’interdiction de fumer est prévue au bail

Lorsque l’interdiction de fumer du tabac ou du cannabis est prévue dans le bail, le locateur doit faire la preuve d’un préjudice sérieux pour obtenir la résiliation du bail, comme l’indique le Tribunal administratif du logement (TAL) dans l’affaire Complexe Hudson inc. c. Cunningham, 2021 QCTAL 5444 :

  • [26] Ainsi, pour obtenir la résiliation du bail, la locatrice doit démontrer que les locataires font défaut de respecter leurs obligations et que ce défaut cause un préjudice sérieux à la locatrice ou aux autres occupants de l'immeuble.

b) Si l’interdiction de fumer n’est pas prévue au bail

Ce n’est pas parce qu’il n’est pas interdit au bail de fumer que le locateur ne peut pas demander au locataire fumeur de cesser de fumer. Cependant, cela dépendra des circonstances et des inconvénients subis en lien avec la fumée.

En effet, le locateur est responsable envers les autres locataires qui subissent des troubles de jouissance de leur logement en lien avec la fumée de tabac ou de cannabis, car ce dernier doit procurer au locataire la jouissance paisible du bien loué (art. 1854 C.c.Q.).

Si des locataires subissent des troubles parce qu’un autre locataire fume dans son logement, le locateur/propriétaire doit s’assurer de régler cette situation en intervenant auprès du locataire causant le problème. Autrement, le locataire qui subit de tels troubles de la part du locataire fumeur peut demander au locateur des dommages-intérêts, une diminution de loyer et/ou la résiliation du bail (art. 1861 C.c.Q.).

Ainsi, même s’il n’est pas interdit au bail de fumer dans le logement, le locateur pourrait demander au tribunal d’interdire au locataire de fumer ou même de résilier le bail si cela cause préjudice aux autres locataires.

L’affaire Fortier c. Lamothe, 2023 QCTAL 34054 du TAL illustre bien le droit applicable lorsqu’il est question d’un locataire fumeur causant des inconvénients importants aux autres locataires.

Dans cette affaire, le locateur a reçu des plaintes d’autres locataires concernant un locataire qui fumait dans son logement, ce qui générait des odeurs incommodantes. Malgré les interventions du locateur, le locataire a refusé de cesser de fumer dans le logement.

Ainsi, le locateur demande notamment la résiliation du bail du locataire fumeur suivant la réception de plaintes des autres locataires incommodés par la fumée.

Le Tribunal, citant une autre décision, indique ceci :

  • [44] [43] [… le Tribunal] estime que la présence d'odeurs de cigarette dans un logement et possiblement de fumée secondaire peut empêcher d'autres occupants de l'immeuble de jouir paisiblement de leur logement même si pour d'autres individus la fumée secondaire se tolère davantage. […]

Citant un autre jugement, le Tribunal indique les critères à rencontrer par le locateur pour demander la résiliation du bail face à un locataire fumeur (par. 46). Ainsi, il faut notamment démontrer :

  • Le préjudice subi relié à la fumée est plus qu’un simple inconvénient du voisinage;
  • Le comportement reproché au locataire fumeur est dérangeant, anormal et excessif, fréquent, répété, continu ou persistant.

Dans cette affaire, le Tribunal juge que le locataire n’a pas agi « avec prudence et diligence et nuit à la jouissance paisible des autres locataires, notamment en raison des odeurs persistantes de la fumée de cigarette dans l’immeuble » (par. 50), justifiant ainsi la résiliation du bail selon l’article 1863 C.c.Q. (par. 51).

Malgré cela, le Tribunal sursoit à la résiliation du bail selon l’article 1973 C.c.Q. (alors qu’il pouvait le résilier), et « ordonne au locataire de fumer uniquement sur le balcon de son logement et de ne plus fumer à l’intérieur de son logement » (par. 70).

Il est à retenir de cette affaire que le fait de fumer dans un logement, même s’il n’y a pas d’interdiction de fumer au bail, peut être un motif de résiliation du bail si les critères énoncés ci-dessus sont rencontrés.

2. Les principes applicables et particularités en matière de copropriété

La situation est légèrement différente en matière de copropriété. En effet, le copropriétaire doit se soumettre à la déclaration de copropriété et ses règlements, en plus de ne pas causer des troubles de voisinages.

Souvent, il sera prévu qu’il est interdit de fumer dans un règlement, règlement qui est d’ailleurs considéré valide par les tribunaux[1]. Le syndicat de copropriété peut alors imposer des amendes au copropriétaire fautif qui fume en contravention au règlement de copropriété, si cela est prévu audit règlement.

Les conséquences peuvent être importantes pour le copropriétaire qui refuse de se soumettre à l’application du règlement l’empêchant de fumer. En effet, le syndicat de copropriété peut demander une injonction au tribunal enjoignant le copropriétaire de se conformer à la déclaration de copropriété, et si le copropriétaire ne respecte pas l’injonction, il peut demander la vente de la copropriété du copropriétaire fautif (art. 1080 C.c.Q.).

C’est dans ce contexte que prend racine la décision de la Cour supérieure Syndicat des copropriétaires du condominium Club Marin II c. Mokaddem, 2023 QCCS 4126, rendue en octobre 2023 et dans laquelle un copropriétaire a été condamné à payer au syndicat de copropriété une somme de plus de 103 000$.

Dans cette affaire, le syndicat de copropriété a adopté un règlement en 2018 interdisant la consommation et la culture du cannabis.

Le copropriétaire a acquis son unité en 2019, et s’en est suivi un premier avis d’infraction au défendeur dans la même année pour cause de fumée de cannabis.

En 2020, une demande d’injonction a été faite par le syndicat pour interdire au copropriétaire de fumer du cannabis dans son unité, et en réclamation des pénalités en vertu du Règlement sur le cannabis, le remboursement des honoraires d’avocats du syndicat et en dommages punitifs.

En 2021, une ordonnance de sauvegarde a été rendue contre le copropriétaire lui interdisant notamment de fumer du cannabis dans son unité. Le copropriétaire fautif s’est par la suite vu condamné pour outrage au tribunal car il a refusé de se soumettre aux ordonnances de la Cour.

Malgré toutes ces conséquences, le copropriétaire a continué de fumer du cannabis dans son unité, ce qui a mené vers l’action du syndicat en réclamation et pour demander la vente sous contrôle de justice l’unité dudit copropriétaire.

Il est à noter que la majeure partie de la réclamation accordée de plus de 103 000$ l’est pour le paiement des honoraires extrajudiciaires (frais d’avocats etc.) tel qu’il était prévu dans la déclaration de copropriété contre les copropriétaires qui ne se conforment pas à celle-ci.

En considérant entre autres les circonstances suivantes, la vente sous contrôle de justice de l’unité du copropriétaire n’a pas été accordée :

  • La vente forcée de l’unité doit être « prononcé que dans des circonstances exceptionnelles. On doit l’ordonner « qu’en présence d’un préjudice sérieux et irréparable causé au Syndicat ou aux copropriétaires – sans pour autant qu’un tel préjudice doive nécessairement affecter tout un chacun des copropriétaires – dans l’éventualité où une telle ordonnance n’est pas prononcée à l’endroit du copropriétaire fautif » (par. 107);
  • Le copropriétaire avait déjà mis en vente son unité, et déjà reçu des offres d’achat (par. 113);
  • Le Tribunal a jugé que « ni le Syndicat ni les copropriétaires ne risquent de subir un préjudice sérieux dans l’immédiat » (par. 114).

Cette affaire illustre les conséquences importantes qui peuvent être imposées au copropriétaire fautif qui fume dans son unité de copropriété en contravention avec les règlements de copropriété.

3. Conclusion

Il est à retenir ceci concernant la fumée de cigarette ou de cannabis dans un logement ou en copropriété :

  • Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’interdiction de fumer au bail qu’il est impossible d’imposer à un locataire d’arrêter de fumer dans son logement;
  • S’il y a interdiction de fumer au bail, il sera plus évident de sanctionner une contravention audit bail, mais le locateur devra prouver un préjudice sérieux pour demander la résiliation du bail;
  • En matière de copropriété, les règles du trouble du voisinage (art. 976 C.c.Q.) et la déclaration de copropriété et ses règlements ont préséance. S’il existe une interdiction de fumer dans le règlement de copropriété, le copropriétaire fautif peut s’exposer à des conséquences importantes.

Évidemment, tout est une question de fait et il importera d’évaluer la preuve avant de déterminer si un propriétaire ou un syndicat de copropriété peut faire sanctionner le fait de fumer dans une unité ou un logement. Les illustrations jurisprudentielles ci-haut étudiées peuvent le confirmer.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Syndicat des copropriétaires du condominium Club Marin II c. Mokaddem, 2023 QCCS 4126, par. 30.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).