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La personne morale, le soulèvement du voile corporatif et la responsabilité des administrateurs

La personne morale, le soulèvement du voile corporatif et la responsabilité des administrateurs

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Lorsqu’une personne morale, plus communément une société par actions (compagnie), est responsable d’une faute face à un créancier, la question de la responsabilité des administrateurs et des actionnaires peut être abordée. Effectivement, surtout en cas d’insolvabilité potentielle de la personne morale, il pourra être intéressant pour le créancier d’obtenir la condamnation de d’autres personnes pour s’assurer qu’il soit payé. Or, comment cela est possible en droit ?

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2025-02

Date de mise à jour : n/a

1. La personnalité juridique de la personne morale

Il existe plusieurs types de personnes morales, les plus connues sont :

  • La société par actions (compagnie) ;
  • Un organisme sans but lucratif (OBNL) ;
  • Un syndicat de copropriété.

Une personne morale possède une personnalité distincte de ses membres (art. 309 C.c.Q.) et son propre patrimoine (art. 302 C.c.Q.).

Ainsi, la responsabilité de la personne morale ne s’étend pas aux actionnaires ni aux administrateurs, sauf dans des cas particuliers, notamment concernant certaines obligations fiscales. Ainsi, si une société par actions fait faillite, cela n’emporte pas nécessairement la faillite des actionnaires, des administrateurs ou des dirigeants qui jouissent ainsi d’une certaine immunité.

Or, il arrivera exceptionnellement que la responsabilité des administrateurs et/ou des actionnaires puisse être retenue. En effet, La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Lanoue c. Brasserie Labatt ltée, 1999 CanLII 10015 (QC CA), reprend des exemples où la responsabilité d’un administrateur et actionnaire unique ou majoritaire d’une société par actions peut être retenue :

  • Il a cautionné personnellement une obligation de la société (art. 2333 et suivants C.c.Q.) ;
  • Il a commis une faute extracontractuelle, « par exemple en faisant de fausses représentations ou en remettant des documents falsifiés » (par. 30), le tout selon l’article 1457 C.c.Q. ;
  • Il a activement participé à une faute extracontractuelle de la société (art. 1457 et 1526 C.c.Q.) ;
  • « Il a utilisé la compagnie qu'il contrôle comme écran, comme paravent pour tenter de camoufler le fait qu'il a commis une fraude ou un abus de droit ou qu'il a contrevenu à une règle intéressant l'ordre public » (par. 30 – art. 317 C.c.Q.).

2. Le soulèvement du voile corporatif : critères applicables

Le Code civil du Québec prévoit à l’article 317 la possibilité de retenir la responsabilité de certaines personnes qui tentent de se protéger sous la personnalité juridique d’une personne morale :

  • 317. La personnalité juridique d’une personne morale ne peut être invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi, dès lors qu’on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public.

Ainsi, pour soulever le voile corporatif, le Code civil impose les critères suivants :

  • Une personne morale doit être en question – à noter que le soulèvement du voile fiduciaire (concernant une fiducie) n’est pas possible selon la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada[1] ;
  • La personne qui demande le soulèvement du voile corporatif doit être de bonne foi ;
  • La personnalité juridique doit être invoquée pour masquer la fraude, d’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public.

Pour que le soulèvement du voile corporatif s’opère et que la responsabilité d’un actionnaire ou d’une autre personne puisse être retenue, il importe de démontrer que la personne morale fautive est l’alter ego de la personne dont on recherche la responsabilité. Lorsqu’une société est détenue par un unique actionnaire qui est également administrateur, la notion d’alter ego trouve plus facilement application.

La Cour suprême du Canada dans l’affaire Buanderie centrale de Montréal Inc. c. Montréal (Ville); Conseil de la santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain c. Montréal (Ville), [1994] 3 RCS 29, explique ce qui est considéré comme alter ego :

  • « À la lumière des décisions précitées, une corporation peut être considérée comme l'alter ego d'une autre lorsqu'on retrouve entre celles-ci une relation si intime que ce qui, en apparence, relève des affaires de l'une appartient, en réalité, aux activités de l'autre.  Un nombre important de facteurs peut certes être identifié pour déterminer l'existence d'une telle relation; à mon sens, toutefois, l'élément le plus explicite et le plus susceptible d'englober la réalité du concept est le contrôle ».
  • […]
  • « […] la notion d'alter ego ainsi que les affaires dont nous avons discuté plus haut traitent toutes de l'opportunité de privilégier le fond sur la forme et de considérer deux entités corporatives distinctes comme une seule et même personne lorsque cela est compatible avec le texte et l'objet de la loi en cause ».

Ainsi, la notion de contrôle sur la personne morale est centrale afin de déterminer si l’on est en présence ou non d’un alter ego.

Les auteurs Côté et Girard, dans leur article La percée du voile corporatif : qu’en est-il 10 ans plus tard ?[2], mentionnent également ceci :

  • « Une fois que les critères donnant ouverture à l’abus de droit sont rencontrés, est-ce suffisant pour procéder à la levée du voile corporatif ? En fait, non, l’article 317 précise que la personnalité morale doit servir à « masquer » l’abus de droit21. Cela revient à dire que la compagnie ne sert que de paravent, de façade derrière lesquels l’actionnaire peut se camoufler pour effectuer certaines actions. Ainsi, la compagnie n’a plus de rôle effectif mais vise simplement à éliminer tout lien de droit pouvant atteindre l’actionnaire de la compagnie, ce n’est alors plus l’intérêt de la personne morale qui prime, mais bel et bien celui de son actionnaire.
  • Que ce soit afin de camoufler certains agissements personnels ou pour commettre un abus de droit sans que l’on puisse rechercher sa responsabilité personnelle, une constance demeure, l’actionnaire doit avoir le contrôle effectif de la compagnie. En d’autres termes, l’actionnaire doit être l’alter ego de la personne morale. Nous analyserons dans la section qui suit cette notion d’alter ego ».

Sur la notion de « fraude », la Cour du Québec, dans l’affaire Excel Personnel inc. c. Roberge, 2015 QCCQ 5462, reprend la définition énoncée par Me Paul Martel :

  • 1.240   Le mot «fraude» vise vraisemblablement la fraude au sens du Code criminel, soit le fait par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif de frustrer le public ou toute personne, déterminée ou non, d'un bien ou d'argent, mais comme il est utilisé dans le Code civil du Québec, il ne requiert pas d'accusation aussi extrême ou de condamnation criminelle; il couvre assurément l'«acte accompli de mauvaise foi avec l'intention de porter atteinte aux droits ou aux intérêts d'autrui ou d'échapper à l'application d'une loi», ainsi que l'«acte accompli par un débiteur insolvable en vue de frauder ses créanciers» (fraude paulienne).  Il englobe vraisemblablement aussi le dol, c'est-à-dire «le fait de provoquer volontairement une erreur dans l'esprit d'autrui pour le pousser à conclure un contrat ou à le conclure à des conditions différentes».  À elle seule, cette expression codifie les principales exceptions jurisprudentielles pré-1994, soit l'utilisation de la société comme instrument pour des fins frauduleuses ou délictuelles, ou pour se soustraire à des obligations contractuelles ou légales.

Sur la notion d’abus de droit, la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Méthot c. Banque fédérale de développement du Canada, 2006 QCCA 648, indique ce qui suit :

  • [81] L'abus de droit est décrit comme suit à l'article 7 du Code civil du Québec:
    • 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
  • [82] Les professeurs Raymonde Crête et Stéphane Rousseau précisent ce concept comme suit:
    • L'abus de droit comporte deux axes: l'intention de nuire et l'acte excessif ou déraisonnable. Le premier axe est caractérisé par la nécessité de démontrer un élément subjectif, soit l'intention de nuire. Dans cette situation, le détenteur du droit l'exerce sans véritable bénéfice pour lui-même, dans le seul but de nuire à autrui et de lui causer préjudice. L'abus de droit résulte ainsi d'un détournement de la finalité du droit existant qui n'est plus utilisé dans un but de profit ou d'utilité mais plutôt dans un but de nuire à autrui.
    • Le second axe élargit la notion d'abus de droit en édictant qu'elle inclut un aspect objectif qui renvoie à la notion générale de faute. Dans ce cas, l'intention de nuire n'a pas à être prouvée. Il s'agit plutôt de démontrer que «le droit est exercé de façon négligente et insouciante, donc de manière fautive parce que contraire aux règles de bonne foi».[15]

Ainsi, la présence d’un alter ego ainsi que des critères énoncés à l’article 317 C.c.Q. sont nécessaires pour soulever le voile corporatif et ainsi aller chercher la responsabilité d’autres personnes avec la personne morale fautive.

3. La responsabilité des administrateurs d’une personne morale

Indépendamment de la question du voile corporatif, la question de la responsabilité personnelle des administrateurs d'une personne morale - plus particulièrement d'une société par actions - revient fréquemment en jurisprudence. En effet, lorsque la société responsable est insolvable, il peut être intéressant pour le créancier de se tourner contre les administrateurs sous le régime de la responsabilité extracontractuelle (art. 1457 C.c.Q.).

Sous ce régime de responsabilité, il est requis de faire la preuve d’une faute de la part de l’administrateur, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. 

L’administrateur d’une personne morale est considéré comme mandataire de celle-ci (art. 321 C.c.Q.). Les obligations d’un administrateur sont prévues au Code civil du Québec et sont notamment les suivantes :

  • Il doit « respecter les obligations que la loi, l’acte constitutif et les règlements lui imposent et agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés » (art. 321 C.c.Q.) ;
  • Il doit agir avec prudence et diligence (art. 321 al. 1 C.c.Q.) ;
  • Il doit agir avec honnêteté et loyauté dans l’intérêt de la personne morale (art. 321 al. 2 C.c.Q.) ;
  • Il ne peut confondre les biens de la personne morale avec les siens (art. 323 C.c.Q.) ;
  • Il ne peut utiliser, à son profit ou au profit d’un tiers, les biens de la personne morale ou l’information qu’il obtient en raison de ses fonctions, à moins qu’il ne soit autorisé à le faire par les membres de la personne morale (art. 323 C.c.Q.) ;
  • Il doit éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et ses obligations d’administrateur (art. 324 al. 1 C.c.Q.), et le cas échéant, dénoncer tout potentiel conflit d’intérêt qui le concerne (art. 324 al. 2 C.c.Q.).

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Shamir c. Procureur général du Canada (Ministère de la Défense), 2022 QCCA 557, résume en quoi la responsabilité des administrateurs d’une société peut être retenue :

  • [15] A priori, lorsqu’une société enfreint une obligation contractuelle, c’est la société qui en est responsable. À moins d’avoir cautionné les obligations contractuelles de la société, le dirigeant n’est pas responsable des manquements contractuels de la société vu qu’il n’est pas partie au contrat.
  • [16] Toutefois, en application de l’article 1457 C.c.Q., le représentant de la société est responsable personnellement s’il commet lui-même une faute extracontractuelle.
  • [17] Il faut être prudent dans l’application de l’article 1457 C.c.Q. dans ce contexte. La société agit toujours par l’entremise de son dirigeant, et il ne faut pas que le dirigeant soit personnellement responsable de toute faute contractuelle de la société parce qu’il a posé le geste fautif pour cette dernière. La responsabilité personnelle du dirigeant doit demeurer l’exception plutôt que la règle et doit se limiter aux cas clairs.
  • [18] La doctrine retient que la faute du dirigeant doit être indépendante de la violation contractuelle de la société[10] :
    • [46] […] il faut démontrer que [la faute du dirigeant] ne résulte pas uniquement de la transgression d’une obligation contractuelle dont la société est débitrice, mais bien de la transgression d’une obligation légale qui lui incombe et qui est indépendante de la relation contractuelle en cause.
  • [19] Par exemple, le tiers qui cause ou encourage une partie contractante à enfreindre son contrat commet une faute extracontractuelle, mais ce principe ne s’applique pas au dirigeant de la société. Il n’est pas un tiers. Il est le mandataire de la société. Lorsqu’il agit de bonne foi, dans l’intérêt de la société et dans les limites de son mandat, ses gestes sont les gestes de la société[11]. Il n’est donc pas question d’une faute indépendante ou d’une responsabilité personnelle.
  • [20] Par contre, selon l’auteur Martel, le dirigeant qui commande un bris de contrat par la société peut en être personnellement responsable s’il agit « à titre personnel ou en dehors de [ses] fonctions habituelles d’administrateur. »[12]. Il donne en exemple « la malice ou le conflit d’intérêts des administrateurs et le bénéfice personnel qu’ils en ont tiré »[13] :
    • En définitive, même si a priori les administrateurs ne sont pas personnellement liés par la responsabilité contractuelle de la société, il nous semble légitime que comme en common law, les administrateurs qui commandent le bris de contrat par leur société puissent être tenus responsables du préjudice causé au tiers contractant, mais seulement dans la mesure où celui-ci démontre la malice ou le conflit d’intérêts des administrateurs et le bénéfice personnel qu’ils en ont tiré. La présence de ces éléments pourrait servir à invoquer une faute extracontractuelle des administrateurs (en agissant de la sorte, ils agissent dans leur propre intérêt et non en deçà de leur mandat) et donc leur responsabilité personnelle sous l’art. 1457 du Code civil du Québec.
    • [Soulignements ajoutés]
  • [21] Sans faire une analyse de la source de cette responsabilité, les tribunaux québécois ont aussi retenu la responsabilité extracontractuelle d’administrateurs pour des fautes se rattachant à un « élément de malhonnêteté » ou des « manœuvres dolosives »[14].
  • [22] Ce qui constitue un comportement suffisamment grave pour conclure à une faute extracontractuelle indépendante du dirigeant peut être difficile à cerner, mais dans l’arrêt de principe de notre Cour, Lanoue c. Brasserie Labatt ltée, le juge Forget conclut comme suit[15] :
    • Le premier juge semble conclure que Citi Club a tenté d'éviter le paiement de ses dettes à ses fournisseurs et ce, à l'instigation, cela va de soi, de ses administrateurs, les frères Lanoue. Même si on accepte cette conclusion de fait et si l'on retient ce reproche à l'endroit des frères Lanoue, cela me paraît insuffisant pour engager leur responsabilité extracontractuelle. Raisonner autrement aurait pour effet d'entraîner la responsabilité de tous les administrateurs d'une société qui tente d'éviter le paiement de ses dettes par des gestes peut-être discutables, mais qui n'équivalent ni à la fraude ni à l'abus de droit.

Ainsi, ce n’est pas parce que le soulèvement du voile corporatif n’est pas possible au sens de l’article 317 C.c.Q. que la responsabilité de l’administrateur ne peut être retenue.

Ainsi, il importe d’analyser les comportements des administrateurs lorsqu’une faute de leur part peut être invoquée.

4. Exemples jurisprudentiels en matière de soulèvement du voile corporatif

a) L’affaire Excel Personnel inc. c. Roberge, 2015 QCCQ 5462

La Cour du Québec, dans l’affaire Excel Personnel inc. c. Roberge, 2015 QCCQ 5462[3], était saisie d’une réclamation d'un fournisseur pour obtenir le paiement de services professionnels rendus à une personne morale. La demande visait personnellement l’administrateur et actionnaire unique de la compagnie qui a signé une entente avec le fournisseur de services (par. 6).

Le fournisseur a poursuivi la compagnie pour défaut de paiement et obtenu un jugement par défaut, pour ensuite découvrir que la compagnie n’avait pas de bien saisissables pour exécuter le jugement, étant alors insolvable (par. 17).

Selon l’argument à l’effet que la compagnie initialement défenderesse était l’alter ego de son unique actionnaire et administrateur, le tribunal conclut que ce dernier était responsable de la dette. Les raisons invoquées étaient notamment les suivantes :

  • La compagnie était insolvable et n’avait pas l’intention de payer pour les services rendus (par. 32) ;
  • L’administrateur et actionnaire de la compagnie savait que le fournisseur n’allait pas être payé (par. 34) ;
  • L’administrateur et actionnaire a fait preuve d’insouciance et d’abus de confiance face au fournisseur (par. 38) ;
  • Il s’est d’ailleurs versé un dividende important alors que la compagnie était insolvable (par. 44) ;
  • L’administrateur et actionnaire encours sa responsabilité extracontractuelle car le « silence […] sur l’état d’insolvabilité de TSR dont il est le seul et unique actionnaire et administrateur constitue également une faute extracontractuelle » (par 39 et 49).

Le tribunal souligne au passage qu’un « administrateur sachant que la compagnie vivait des difficultés financières sérieuses au moment de contracter » est qualifié comme un cas d’abus de droit au sens de l’article 317 C.c.Q. (par. 48).

Ainsi, le tribunal a retenu la responsabilité de l’actionnaire et administrateur unique de la compagnie en appliquant la levée du voile corporatif au sens de l’article 317 C.c.Q et la responsabilité extracontractuelle de l’administrateur au sens de l’article 1457 C.c.Q.

b) L’affaire Katranis c. Construction Canalex inc., 2010 QCCS 4464

Dans cette affaire[4], les demandeurs poursuivaient les défendeurs pour des « dommages causés par l'exécution déficiente et incomplète d'un contrat de rénovation et de construction exécuté » par Canalex (par. 1).

Les demandeurs poursuivaient également personnellement le président et actionnaire de la compagnie qui a fait les travaux, et deux autres entités dont il avait le contrôle (par. 2).

Le tribunal conclut que les demandeurs ont droit à des dommages, et retient la responsabilité de l’administrateur de la compagnie défenderesse ainsi que les autres compagnies défenderesses liées à l’administrateur, notamment pour les motifs suivants :

  • La compagnie défenderesse est responsable envers les demandeurs des dommages engendrés par son inexécution du contrat de construction ;
  • Le défendeur est l’unique actionnaire et administrateur unique de la compagnie défenderesse, de sorte qu’il en est l’alter ego (par. 186) ;
  • Ce défendeur a « incorporé les deux autres compagnies défenderesses par la suite, qui ont utilisé le nom de Groupe Canalex, partagé le même local, eu le même numéro de téléphone et de fax, en fait, des compagnies qui ont continué à faire affaires dans la même industrie et pour lesquelles certains sous-traitants témoins à l'audience ont fait les mêmes travaux. Il n'y aurait eu aucune contre-partie pour l'acquisition ou l'achalandage, l'usage du nom. Groupe Canalex a continué certains travaux de Construction Canalex » (par. 189) ;
  • Les parties défenderesses « ont tissé et opéré dans une relation nébuleuse et incestueuse », justifiant l’application de l’article 317 C.c.Q. (par. 192).

Cette décision illustre que les faits propres à un litige sont importants pour déterminer si le soulèvement du voile corporatif s’applique ou non[5].

5. Conclusion

Il peut être tentant pour un créancier d’obtenir la responsabilité des administrateurs et/ou des actionnaires d’une personne morale qui est initialement responsable.

En effet, cela peut permettre au créancier d’obtenir une condamnation de plusieurs défendeurs et maximiserait ses chances d’être payé suivant l’obtention d’un jugement en sa faveur. En effet, il arrive que les tribunaux condamnent solidairement les défendeurs par l’application des articles 1523 et 1525 C.c.Q.[6], ce qui fait en sorte que chaque défendeur est responsable de la totalité de la dette (art. 1523 C.c.Q.).

Les administrateurs peuvent engager leur responsabilité extracontractuelle avec une personne morale selon le régime de responsabilité prévu à l’article 1457 C.c.Q. s’il y a existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

La responsabilité d’un actionnaire/administrateur ou d’une autre société peut également être retenue si le voile corporatif est soulevé en vertu de l’article 317 C.c.Q. Normalement, cela sera possible lorsque la personne visée est l’alter ego de la personne morale – lorsqu’elle exerce un contrôle important sur celle-ci. Cependant, le seul fait de prouver l’existence d’un alter ego n’est pas suffisant pour soulever le voile corporatif[7]. Il faut aussi prouver la présence d’un motif évoqué à l’article 317 C.c.Q.

Il importe cependant de ne pas confondre la levée du voile corporatif avec la responsabilité des administrateurs d’une personne morale[8]. Le soulèvement du voile corporatif est un régime juridique indépendant qui comporte ses critères propres.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Karam c. Succession de Yared, 2018 QCCA 320, par. 75, et Yared c. Karam, 2019 CSC 62, par. 27 et 32.

[2] Suzanne CÔTÉ et Julie GIRARD, La percée du voile corporatif : qu’en est-il 10 ans plus tard ?, Barreau du Québec - Service de la formation continue, Éd. Yvon Blais, Cowansville, 2005, p. 88 et 89.

[3] Permission d’appeler rejetée, voir Roberge c. Excel Personnel inc., 2016 QCCA 296.

[4] Appel rejeté sur la question de l’application de l’article 317 C.c.Q., voir 9161-1277 Québec inc. c. Katranis, 2010 QCCA 2363.

[5] Voir aussi 3458296 Canada inc. c. SIRR Desjardins inc., 2005 QCCA 826, par. 28 et ss. https://canlii.ca/t/1lmpr – responsabilité de sociétés liées; Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 9087-3118 Québec inc., 2010 QCCA 1470, https://canlii.ca/t/2c2mj, par. 14 et ss. - responsabilité pour tentative de se soustraire aux obligations fiscales.

[6] Voir Zekoff c. 9188-9261 Québec inc., 2019 QCCS 1804, par. 199, https://canlii.ca/t/j09kz

[7] 4413661 Canada inc. (Alumico gestion de projets) c. Flynn Canada Ltd., 2022 QCCS 6, par. 102-108, https://canlii.ca/t/jlnps.

[8] Comme le rappelle la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Lessard c. Banque de Montréal, 2023 QCCA 597, https://canlii.ca/t/jx1z8.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).