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L’action en inopposabilité comme recours contre le transfert frauduleux des biens du débiteur

L’action en inopposabilité comme recours contre le transfert frauduleux des biens du débiteur

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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L’action en inopposabilité est une solution juridique à la portée du créancier qui constate qu’un débiteur se soustrait à ses obligations en transférant frauduleusement ses biens à une autre personne. Dans ce cas, le créancier qui se voit lésé par l’opération peut intenter un recours qui rendra inopposable la transaction qui a été faite en fraude de ses droits.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2024-02

Date de mise à jour : n/a

*Note pour fins de compréhension du texte : nous utilisons dans le texte les termes « créancier » et « débiteur ». En droit civil, le débiteur est celui qui a une « obligation » envers le créancier. Par exemple, cette obligation peut être une somme d’argent.

1. Quels sont les cas donnant ouverture à l’action en inopposabilité ?

En droit civil, « les biens du débiteur sont affectés à l’exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers » (art. 2644 C.c.Q.). Ainsi, si un débiteur ne respecte pas ses obligations envers son créancier, ce dernier peut se servir des biens du débiteur pour satisfaire sa créance.

L’action en inopposabilité (anciennement appelée aussi « action paulienne ») est un remède accordé au créancier qui constate que son débiteur est en train de soustraire des biens de son patrimoine, notamment dans l’objectif que son créancier ne puisse plus saisir celui-ci.

Le Code civil du Québec, à l’article 1631, énumère quelques situations pouvant ouvrir la porte à une action en inopposabilité d’un créancier, notamment si le débiteur fait un acte qui cause ce qui suit :

  • Avec cet acte il cherche à se rendre insolvable ou se rend insolvable :
    • À noter que la détermination de l’insolvabilité est laissé à l’appréciation du tribunal et que le critère pouvant être utilisé est une personne « qui a cessé de faire honneur à ses obligations au fur et à mesure de leur échéance et celui qui est incapable de satisfaire à ses engagements ou de payer ce qu'il doit »[1] ;  
    • Les tribunaux acceptent aussi que l’action soit exercée « lorsque le débiteur pose des gestes qui ont pour effet de soustraire de son patrimoine, gage commun de ses créanciers, certains biens tangibles, sans nécessairement se rendre immédiatement insolvable, mais rendant cependant difficile la réalisation de la créance »[2] ;
  • Alors qu’il est insolvable, le débiteur fait un acte qui a pour effet d’accorder une préférence à un autre créancier.

L’intention de frauder du débiteur dans la conclusion d’un contrat est réputée lorsque, notamment :

  • Le contrat est à titre gratuit alors que le débiteur était déjà insolvable ou si le débiteur est devenu insolvable du fait de la conclusion de ce contrat (art. 1633 C.c.Q.) ;
  • Dans un contrat à titre onéreux (où il y a une contrepartie avantageuse selon 1381 C.c.Q.), le cocontractant du débiteur dans le contrat attaqué « connaissait l’insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable » (art. 1632 C.c.Q.).

Dans tous les cas, l’acte attaqué par le créancier doit lui causer préjudice (art. 1631 C.c.Q.).

2. Quelques conditions nécessaires à rencontrer pour se prévaloir de l’action en inopposabilité

En présence d’un acte du débiteur pouvant être attaqué, le créancier doit rencontrer certaines conditions pour se prévaloir de l’action en inopposabilité.

La Cour du Québec, dans l’affaire AMEX Bank of Canada c. Oppman, 2024 QCCQ 220, énonce quatre conditions :

  1. « L’action doit être intentée dans l’année de la connaissance par le créancier du préjudice causé par l’acte attaqué ;
  2. Le créancier qui entreprend le recours doit détenir contre le débiteur une créance certaine avant que la transaction attaquée ne survienne et cette créance doit au plus tard être déclarée liquide et exigible au moment du jugement sur l’inopposabilité ;
  3. L’acte attaqué doit causer préjudice au créancier poursuivant ;
  4. Avec l’aide des présomptions des articles 1632 et 1633 C.c.Q., ou celle d’une preuve directe, l’acte contesté doit avoir été conclu en fraude des droits des créanciers » (par. 22).

Comme l’indique le tribunal dans l’affaire précitée, les « conditions d’exercice ne doivent pas être interprétées de manière si rigide que l’objectif visé par le législateur soit détourné de manière à rendre le recours illusoire » (par. 20).

3. L’effet de l’inopposabilité

L’acte déclaré inopposable au créancier lui permettra de « saisir et vendre le bien qui en est l’objet et être payé » (art. 1636 C.c.Q.). Parfois, plusieurs créanciers peuvent se joindre à l’action en inopposabilité d’un créancier.

Lorsqu’un acte est déclaré inopposable face à un créancier, il reste néanmoins valide entre le débiteur et le tiers qui a conclu l’acte en question.

Prenons le cas de figure où un débiteur a cédé gratuitement un immeuble à un tiers et que l’acte de cession est déclaré inopposable au créancier. Ainsi, le créancier pourra saisir l’immeuble au tiers en paiement de sa créance.

Si le tiers a acquis contre paiement un bien du débiteur et que l’acte est attaqué et le bien saisi, ce tiers peut se voir dépouillé du bien qu’il vient d’acquérir. Ainsi, il pourra, dans certaines circonstances, se retourner contre son vendeur pour lui réclamer des dommages.

4. Conclusion

L’action en inopposabilité est un outil puissant à la disposition d’un créancier qui constate qu’un débiteur est en train de se défiler de ses obligations en cédant ses biens à des tiers.

Cet outil juridique trouvera souvent application lorsque le débiteur flirte avec l’insolvabilité.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Banque Nationale du Canada c. B. (C.), 2000 CanLII 11303 (QC CA), par. 40, citant Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1998, p. 546.

[2] AMEX Bank of Canada c. Oppman, 2024 QCCQ 220, par. 37, citant Vincent Karim, Les Obligations, [vol. 2] 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, page 1118.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).