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L’emphytéose : notions juridiques essentielles

L’emphytéose : notions juridiques essentielles

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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L’emphytéose est un concept juridique très peu connu et peu fréquent, mais qui touche encore plusieurs immeubles, allant d’immeubles commerciaux à certains domaines de villégiature. Parfois il est question de « bail emphytéotique ». Mais qu’en est-il des règles particulières encadrant ce type d’acte ?

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2023-05

Date de mise à jour : 2024-09 (2e mise à jour)

1. Qu’est-ce que l’emphytéose ?

L’emphytéose peut parfois être confondue avec le contrat de bail. Or, malgré qu’il s’agisse d’une relation contractuelle basée sur l’utilisation d’un bien appartenant à un propriétaire, l’emphytéose comporte certaines particularités.

Pour résumer grossièrement, l’emphytéose consiste à donner à l’emphytéote tous les droits qu’un propriétaire aurait normalement sur son immeuble (l’usage, etc.), et le propriétaire, à la fin de l’emphytéose, récupère son immeuble avec toutes les constructions qui ont été faites par l’emphytéote, bénéficiant ainsi d’une valeur augmentée de son immeuble.

Le Code civil du Québec (C.c.Q.) définit ce qu’est l’emphytéose :

  • 1195. L’emphytéose est le droit qui permet à une personne, pendant un certain temps, d’utiliser pleinement un immeuble appartenant à autrui et d’en tirer tous ses avantages, à la condition de ne pas en compromettre l’existence et à charge d’y faire des constructions, ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable. […]

L’emphytéose prend sa source soit par un testament ou par un contrat (art. 1195 al. 2 C.c.Q.).

L’emphytéose implique celui qui bénéficie du droit d’utiliser un immeuble appartenant à autrui – l’emphytéote – et le propriétaire de l’immeuble.

Pour qu’il y ait emphytéose, les quatre (4) conditions essentielles suivantes doivent être réunies :

  1. Un immeuble est en cause ;
  2. L’emphytéote doit avoir l’obligation de faire des construction, ouvrages ou plantations sur l’immeuble qui augmente sa valeur ;
  3. L’emphytéose doit avoir une durée minimale de 10 ans, et maximale de 100 ans (art. 1197 C.c.Q.) ;
  4. Tous les droits qui sont normalement au propriétaire sont cédés à l’emphytéote sous réserve de l’acte d’emphytéose (art. 1200 C.c.Q.), donc l’emphytéote pourrait par exemple hypothéquer l’immeuble[1], le louer, etc.

À défaut d’avoir ces conditions essentielles, l’acte en question ne peut pas être qualifié d’emphytéose.

À titre d'exemple, l’acte, pour être qualifié d'emphytéose "doit énoncer avec un certain degré de précision la nature des améliorations à effectuer à l’immeuble, leurs coûts estimés et le délai pour les compléter" tel que le confirme la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Succession de Jamyang c. Centre bouddhiste Manjushri, 2024 QCCA 1226 (par. 43).

2. Obligations de celui qui bénéficie de l’emphytéose (l’emphytéote)

Plusieurs doits et obligations sont prévus dans le Code civil du Québec, mais il est aussi important de se rapporter à l’acte d’emphytéose afin de déterminer les droits et obligations des parties. En effet, le droit des contrats s’applique aussi à l’emphytéose[2].

Le Code civil du Québec, à l’article 1200, mentionne que l’acte d’emphytéose peut comporter ceci :

  • 1200 […] L’acte constitutif peut limiter l’exercice des droits des parties, notamment pour accorder au propriétaire des droits ou des garanties qui protègent la valeur de l’immeuble, assurent sa conservation, son rendement ou son utilité ou pour autrement préserver les droits du propriétaire ou de l’emphytéote, ou régler l’exécution des obligations prévues dans l’acte constitutif.

Outre ce qui peut être prévu de particulier dans l’acte d’emphytéose, le Code civil du Québec énonce les diverses obligations de l’emphytéote (le bénéficiaire de l’emphytéose) pendant que celle-ci dure :

  • « Il fait dresser à ses frais, en y appelant le propriétaire, un état des immeubles soumis à son droit » (art. 1201 C.c.Q.) ;
  • Il « est tenu aux réparations, même majeures, qui se rapportent à l’immeuble ou aux constructions, ouvrages ou plantations qu’il a faits en exécution de son obligation » (art. 1203 C.c.Q.) ;
  • Il est responsable de la perte partielle de l’immeuble et « demeure alors tenu au paiement intégral du prix stipulé dans l’acte constitutif » (art. 1202 C.c.Q.) ;
  • Il ne peut pas dégrader l’immeuble, le laisser se dépérir ou mettre en danger les droits du propriétaire, car à défaut l’emphytéose peut être résiliée par le propriétaire (art. 1204 al. 1 C.c.Q.) ;
  • Il doit assumer les charges foncières de l’immeuble (art. 1205 C.c.Q.) ;
  • Payer le prix convenu dans l’acte d’emphytéose, car si un prix a été fixé dans l’acte constitutif et que l’emphytéote ne paye rien pendant trois (3) ans, le propriétaire peut demander au tribunal la résiliation de l’emphytéose suivant préavis de 90 jours[3].

Quand l’emphytéose prend fin, l’emphytéote a les obligations suivantes :

  • Il « doit remettre [au propriétaire] l’immeuble en bon état avec les constructions, ouvrages ou plantations prévus à l’acte constitutif, à moins qu’ils n’aient péri par force majeure » (art. 1210 al. 1 C.c.Q.).

3. Obligations du propriétaire envers l’emphytéote

Le Code civil du Québec énonce que « le propriétaire est tenu, à l’égard de l’emphytéote, aux mêmes obligations que le vendeur » (art. 1206 C.c.Q.).

Ainsi, le propriétaire est donc responsable des obligations suivantes prévues aux article 1723 et suivants du C.c.Q. :

  • Délivrer l’immeuble (obligation de délivrance) ;
  • Garantir le droit de propriété de l’immeuble (empiétement, etc.) ;
  • Garantir la qualité contre les vices cachés.

L’emphytéote pourrait donc par exemple faire valoir des droits contre les vices cachés. À titre d'exemple, la Cour supérieure, dans l'affaire 9128-4182 Québec inc. c. Municipalité de Papineauville, 2024 QCCS 419, a accueilli une demande de l'emphytéote pour résilier l'acte d'emphytéose en raison de la contamination des terrains visés par l'emphytéose.

4. Extinction et fin de l’emphytéose

Le Code civil du Québec énonce clairement les causes d’extinction de l’emphytéose :

  • 1208. L’emphytéose prend fin:
    • 1°  Par l’arrivée du terme fixé dans l’acte constitutif;
    • 2°  Par la perte ou l’expropriation totales de l’immeuble;
    • 3°  Par la résiliation de l’acte constitutif;
    • 4°  Par la réunion des qualités de propriétaire et d’emphytéote dans une même personne;
    • 5°  Par le non-usage pendant 10 ans;
    • 6°  Par l’abandon[4].

5. À retenir

L’emphytéose n’a pas que le nom, c’est un acte qui doit comporter les quatre éléments essentiels décrits ci-dessus pour qu’il soit qualifié ainsi. Même si l’acte est nommé « emphytéose » ou « bail emphytéotique », il se peut que ce ne soit pas les règles de l’emphytéose qui s’appliquent (ce pourrait par exemple être un bail). Il est donc important face à ce type d’acte d’identifier clairement les droits en cause afin d’éviter une erreur de qualification juridique.

Il est toujours essentiel de se rapporter à l’acte créant l’emphytéose pour déterminer les droits et obligations de l’emphytéote et du propriétaire de l’immeuble.

Si les dispositions de l’acte d’emphytéose ne sont pas claires ou sont incomplètes, le Code civil du Québec s’applique.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Attention à certaines particularités à cet effet, voir notamment LAFOND, Pierre-Claude, Précis de droit des biens, 2e édition, Les Éditions Thémis, Montréal, 2007, p. 964.

[2] Gestion Furst inc. c. Gestion 1050 de la Montagne inc., 2014 QCCS 100, https://canlii.ca/t/g2rx1, par. 28.

[3] Art. 1207 al. 1 C.c.Q.; À noter que ce droit de résiliation n’est pas possible si une copropriété divise est établie sur un immeuble bâti par l’emphytéote ou si l’immeuble fait l’objet d’une déclaration de coemphytéose (art. 1297 al. 2 C.c.Q.).

[4] Voir les conditions d’application de ce droit prévues à l’art. 1211 C.c.Q.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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