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Recours en redressement (LSAQ) : une personne autre qu’un actionnaire ou un administrateur peut agir comme demandeur

Recours en redressement (LSAQ) : une personne autre qu’un actionnaire ou un administrateur peut agir comme demandeur

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Normalement, la Loi québécoise sur les sociétés par actions (LSAQ) prévoit à l’article 450 que seul un détenteur de valeurs mobilières, un administrateur ou un dirigeant d’une société peut demander les redressements prévus par la loi en cas d’abus de pouvoir ou d’iniquité d’une société. Or, la Cour supérieure, dans l’affaire Harvey c. Bergeron, 2023 QCCS 47 élargit la portée de qui peut se porter demandeur dans ce type de recours. Aperçu.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2023-03

Date de mise à jour : n/a

1.    Mise en situation

Il importe de résumer brièvement ce qu’est le recours en redressement (ou aussi désigné « recours en oppression » en vertu de la LCSA) en vertu de la Loi sur les sociétés par actions (Québec) ci-après désignée « LSAQ ». Essentiellement, les personnes suivantes ont des droits à faire valoir en cas d’abus de pouvoir ou d’iniquité de la société :

  • Détenteur de valeurs mobilières;
  • Administrateur;
  • Dirigeant ;

Ces personnes peuvent donc prendre les recours disponibles aux articles 450 et suivants de la LSAQ.

Selon l’article 450 LSAQ, les circonstances suivantes ouvrent la porte à demander les ordonnances de redressement, si la société, à l'égard des personnes précitées :

  • Agit abusivement; ou
  • S’aprête à agir abusivement;

OU

  • Qu’elle se montre injuste ou s’apprête à se montrer injuste à leur égard en leur portant préjudice.

2.    Qui peut intenter un recours en redressement/oppression

La Cour supérieure, dans l’affaire Harvey c. Bergeron, 2023 QCCS 47, dénoue une question d’interprétation à l’effet de savoir qui peut avoir l’intérêt d’agir dans le cadre d’un recours en redressement.

En effet, l’article 439 LSAQ dans sa rédaction permet l’ouverture aux recours prévus aux articles 450 et suivants à une autre personne que celles mentionnées à l’article 450 LSAQ, sous le libellé suivant : « toute autre personne qui, d’après le tribunal, a l’intérêt requis pour présenter une demande en vertu de la présente section ».

Cependant, l’article 450 LSAQ mentionne clairement que le recours s’applique pour les détenteurs de valeurs mobilières (actionnaires notamment), les administrateurs et les dirigeants d’une société.

Donc, une personne impliquée activement dans une société et/ou qui est investisseur aurait-elle le droit d’intenter un recours en vertu des articles 450 et suivants de la LSAQ ? La Cour supérieure répond à cette question.

La Cour supérieure établit le contexte :

« [8] C’est dans ce contexte, sans réellement se connaître, avec un objectif pécunier, qu’Harvey et Bergeron conviennent de constituer une société par actions en vertu de la LSA ayant comme unique actionnaire et administrateur, Bergeron, et prévoyant une option de souscription d’actions par Harvey, laquelle doit être réalisée dans un délai prescrit ».

Le tribunal conclut au passage que le simple détenteur d’une option de souscription d’actions ne confère pas en soi l’intérêt suffisant pour intenter un recours en redressement (par. 41).

Cependant, bien que le demandeur ne soit pas actionnaire ou administrateur, le tribunal juge qu’il a tout de même l’intérêt requis pour intenter un recours en redressement en vertu de l’article 450 et ss. LSAQ. Pour appuyer son raisonnement, le tribunal cite la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Abandonato c. Corporation Steckmar, 2022 QCCA 1405 :

[120]      Par contre, le paragraphe 439(3) LSAQ ne doit pas être interprété de façon à dénaturer la notion de ce qu’est un abus visé par l’article 450 LSAQ. La personne qui veut intenter un recours en redressement doit donc démontrer que « la société ou une personne morale du même groupe agit abusivement ou s’apprête à agir abusivement à l’égard des détenteurs de valeurs mobilières de la société ou à l’égard de ses administrateurs ou de ses dirigeants, ou qu’elle se montre injuste ou s’apprête à se montrer injuste à leur égard en leur portant préjudice […] ».

[…]

[127]      À mon avis, il faut analyser la relation entre les intimés et chacune des sociétés visées et la nature du recours intenté. Le critère retenu par la juge, de « suffisamment ‘à l’intérieur’ de la société », me semble approprié : il donne un sens au paragraphe 439(3) tout en respectant la nature du recours en redressement.

Dans l’affaire ci-haut étudiée, le tribunal retient les faits démontrés comme étant suffisant pour conclure que le demandeur était assez impliqué dans les affaires de la société pour lui conférer un intérêt suffisant pour prendre un recours en redressement en vertu de l’article 450 LSAQ :

« [53] Le Tribunal possède la discrétion voulue pour déterminer l’ouverture du recours et à l’analyse de la présente affaire, en interprétant de façon large et libérale la notion de créancier, Harvey se qualifie en vertu de l’article 439 (3) LSA pour poursuivre le recours sous 450 LSA.


[54] En effet, Harvey se veut suffisamment « à l’intérieur » de 9289 et se qualifie sous 439 (3) LSA afin de poursuivre la demande sous l’article 450 LSA.


[55] Jusqu’en 2018, Bergeron consulte Harvey et l’inverse survient aussi pour chacune des démarches initiées relatives à 9289. 


[56] Harvey vend des immeubles qu’il détient par l’entremise de certaines de ses sociétés à 9289, laquelle lui doit toujours des sommes en balance de prix de vente, il injecte certaines sommes d’argent dans cette dernière, lesquelles sont reconnues en partie par Bergeron. Bien qu’il n’ait pas levé son option de souscription d’actions dans le délai imparti ni introduit son recours dans les 3 années consécutives, le Tribunal lui reconnaît l’intérêt suffisant lui conférant un droit de regard sur certaines décisions quant à l’avenir de 9289 et lui reconnaît le droit de poursuivre le recours en redressement en ce sens même si, à ce jour, les balances de prix de vente ne sont pas réclamées ».

3.    Conclusions

L’affaire Harvey c. Bergeron, 2023 QCCS 47 nous apporte les enseignements suivants :

  • Une personne suffisamment impliquée dans une société selon les critères développés par la jurisprudence pourrait avoir l’intérêt suffisant pour demander des ordonnances en vertu des articles 450 et suivants de la LSAQ;
  • L’article 439 LSAQ doit être interprété de façon large;
  • Une analyse factuelle au cas par cas doit être faite afin de déterminer l’intérêt suffisant d’une personne qui n’est pas administratrice ou actionnaire d’une société.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).