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Les divers types de recours hypothécaires pour le créancier : particularités et règles applicables

Les divers types de recours hypothécaires pour le créancier : particularités et règles applicables

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Un créancier hypothécaire, en cas de défaut du débiteur, pourra dans certaines circonstances faire valoir sa garantie. Il dispose alors de quelques choix de recours. Cependant, chacun des recours a ses particularités et il est important de bien saisir les nuances avant de choisir définitivement le recours. Voici donc un résumé des divers recours possibles.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat chez St-Aubin avocats inc.

Date de rédaction : juillet 2021

Les différents types de recours hypothécaires

Un créancier bénéficiant d’une sûreté hypothécaire sur un bien du débiteur, peut, en cas de défaut de ce dernier, se prévaloir des recours suivants prévus au Code civil du Québec (C.c.Q.) :

  • L’action personnelle (qui n’est pas en soi un recours hypothécaire) ;
  • La prise de possession pour fin d’administration ;
  • La prise en paiement ;
  • La vente sous contrôle de justice ;
  • La vente de gré à gré[1].

Ces recours sont possibles seulement si les modalités préalables sont adéquatement remplies.

Les formalités préalables : le préavis d’exercice

Avant d’entreprendre un recours hypothécaire, le Code civil du Québec impose l’envoi et l’inscription d’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire[2].

Le préavis d’exercice doit notamment remplir les conditions suivantes :

  • Il « doit dénoncer tout défauts par le débiteur d’exécuter ses obligations » ;
  • Il doit rappeler le droit du débiteur ou d’un tiers la possibilité de remédier au défaut dénoncé ;
  • Il doit « indiquer le montant de la créance en capital et intérêts » ;
  • Il doit indiquer « la nature du droit hypothécaire que le créancier entend exercer » ;
  • Il doit « fournir une description du bien grevé et sommer celui contre qui le droit hypothécaire est exercé de délaisser le bien, avant l’expiration du délai imparti » ;
  • Il doit donner un délai pour délaisser le bien de 20 jours (pour un meuble), de 60 jours (pour un immeuble), ou de 10 jours (si le recours est une reprise de possession)[3] ;
  • Ce préavis doit entre autres être signifié au débiteur[4] et inscrit conformément au registre approprié (dans le cas d’un immeuble, ce sera au Registre foncier).

Du moment que toutes ces formalités sont remplies, le calcul du délai donné pour délaisser le bien commence.

Le délaissement volontaire ou forcé

À compter de l’inscription du préavis d’exercice, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé peut délaisser le bien volontairement au créancier, ou sinon le créancier peut prendre un recours pour procéder au délaissement forcé[5].

a) Le délaissement volontaire

Selon le Code civil du Québec, le délaissement volontaire procède ainsi :

  • Il doit être fait avant l’expiration du délai dans le préavis d’exercice ;
  • « Celui contre qui le droit hypothécaire est exercé abandonne le bien au créancier afin qu’il en prenne possession » ou il consent par écrit à remettre le bien au créancier au moment convenu[6] ;
  • En cas de prise en paiement, « le délaissement volontaire doit être constaté dans un acte consenti par celui qui délaisse le bien et accepté par le créancier »[7].

b) Le délaissement forcé

Comme le nom le dit, le délaissement est « forcé » lorsque celui contre qui le droit hypothécaire est exercé ne délaisse pas volontairement le bien à l’expiration du délai donné au préavis d’exercice. Ce type de délaissement doit être demandé au tribunal.

Pour obtenir une ordonnance pour obtenir le délaissement forcé, le créancier doit démontrer notamment ce qui suit[8] :

  • L’existence de la créance ;
  • Le défaut du débiteur ;
  • Le refus de délaisser volontairement le bien ;
  • L’absence d’une cause valable d’opposition.

c) Le délaissement forcé avant l’expiration du délai au préavis

Le Code civil du Québec prévoit des situations exceptionnelles où le créancier peut obtenir le délaissement forcé avant l’expiration du délai prévu au préavis d’exercice.

Ces exceptions sont les suivantes :

  • S’il est à craindre que sans cette mesure le recouvrement de la créance soit mis en péril ; ou
  • « Lorsque le bien est susceptible de dépérir ou de se déprécier rapidement »[9].

Plusieurs autres technicalités doivent être rencontrées lors de la préparation d’un recours hypothécaire et en délaissement forcé.

Ci-dessous un aperçu des divers recours hypothécaires possibles prévus au Code civil du Québec.

Recours 1 : prise de possession pour fin d’administration

La prise de possession pour fin d’administration vise à « prendre temporairement possession des biens hypothéqués et les administrer ou en déléguer généralement l’administration à un tiers »[10].

Cette prise de possession prend notamment fin lorsque le créancier hypothécaire est satisfait de sa créance[11].

Ce recours est en pratique moins fréquent, et sera utilisé seulement lors de circonstances particulières.

Recours 2 : la prise en paiement

La prise en paiement permet au créancier hypothécaire de prendre le bien hypothéqué en paiement de sa créance.

La prise en paiement produit les effets suivants pour le créancier hypothécaire qui l’exerce :

  • Le créancier qui prend le bien en paiement en devient propriétaire à compter de l’inscription du préavis d’exercice[12] ;
  • À compter du moment où il devient propriétaire du bien, les hypothèques publiées avant l’inscription de sa propre hypothèque restent, mais libre de celles publiées après son hypothèque[13] :
    • Par exemple si l’immeuble était déjà grevé d’une hypothèque (hypothèque 1) avant l’hypothèque du créancier qui prend en paiement (hypothèque 2), et qu’après l’hypothèque du créancier en question une autre hypothèque a été inscrite (hypothèque 3), le créancier qui a pris en paiement en vertu de l’hypothèque 2 devra acquitter l’hypothèque 1, mais pas l’hypothèque 3 ;
  • La prise en paiement éteint l’obligation[14], donc au moment où le créancier devient propriétaire du bien hypothéqué sa créance est éteinte ;

Pour procéder à la prise en paiement, le créancier doit respecter, outre les formalités du préavis d’exercice et du délaissement (voir ci-dessus), la condition suivante :

  • Autorisation du tribunal : Sauf s’il y a délaissement volontaire, « le créancier doit obtenir l’autorisation du tribunal pour exercer la prise en paiement lorsque le débiteur a déjà acquitté, au moment de l’inscription du préavis du créancier, la moitié, ou plus, de l’obligation garantie par hypothèque »[15] ;

Il est aussi à noter que « les créanciers hypothécaires subséquents ou le débiteur peuvent, dans les délais impartis pour délaisser, exiger que le créancier abandonne la prise en paiement et procède lui-même à la vente du bien ou le fasse vendre sous contrôle de justice »[16].

Sous réserve de certaines formalités[17], un créancier hypothécaire de rang inférieur au créancier qui demande la prise en paiement pourrait faire échec à la prise en paiement.

Recours 3 : la vente par le créancier

La vente par le créancier n’est possible seulement pour un créancier qui détient une hypothèque sur les biens d’une entreprise[18].

Cette vente peut s’opérer ainsi :

  • De gré à gré[19], par appel d’offres[20], ou aux enchères[21]. Selon la méthode choisie des formalités doivent être respectées ;
  • Le bien hypothéqué doit être « vendu sans retard inutile, pour un prix commercialement raisonnable, et dans le meilleur intérêt de celui contre qui le droit hypothécaire est exercé »[22] ;
  • Le produit de la vente doit être imputé comme suit[23] :
    • Frais engagés pour exercer la vente ;
    • Paiement des créances primant les droits de celui qui procède à la vente (par ex. créancier hypothécaire ayant un rang supérieur) ;
    • Créance du créancier qui exerce la vente ;
  • S’il reste des surplus et qu’aucun autre créancier a des droits à faire valoir, le créancier vendeur doit dans les 10 jours remettre le surplus au propriétaire du bien vendu et lui faire une reddition de compte [24];
  • Si malgré la vente, le créancier vendeur n’a pas assez pour se rembourser de sa créance, il garde une créance contre le débiteur pour ce qui reste dû[25].

Celui qui achète le bien qui est vendu par le créancer le prend avec les droits réels (ex. priorités[26], etc.) qui étaient présents au moment de l’inscription du préavis d’exercice, sauf l’hypothèque du créancier vendeur et des créances qui étaient prioritaires à ce créancier[27].

Recours 4 : la vente sous contrôle de justice

La vente sous contrôle de justice procède sur ordonnance du tribunal. En effet, le tribunal ordonnera notamment ce qui suit :

  • Qui procédera à la vente ;
  • Conditions et charges de la vente ;
  • Indique si la vente peut être faite de gré à gré, par appel d’offres ou aux enchères ;
  • Fixe une mise à prix, si c’est jugé opportun et après s’être « enquis de la valeur du bien »[28].

La personne qui procède à la vente « doit être indépendante des intéressés et avoir les compétences nécessaires pour y procéder »[29]. En pratique, il arrivera par exemple qu’un huissier procède à ce type de vente.

La vente ainsi faite est soumise aux dispositions du Code de procédure civile[30] (C.p.c.), articles 742 et suivants.

La vente sous contrôle de justice purge tous les droits réels (hypothèques, etc.), sauf :

  1. « Les servitudes;
  2. Le droit d’emphytéose, les droits nécessaires à l’exercice de la propriété superficiaire et les substitutions non ouvertes, sauf dans le cas où il apparaît au dossier du tribunal qu’il existe une créance antérieure ou préférable;
  3. La charge administrative qui grève un immeuble d’habitation à loyer modique »[31].

S’il y a plusieurs créanciers hypothécaires au moment de la vente, leur hypothèque s’éteint donc, mais ces derniers peuvent faire valoir leurs droits lors de la collocation des sommes résultant de la vente[32].

Le créancier qui n’est pas payé en entier suivant la vente du bien a une créance non garantie pour le reste.

À retenir

Il existe plusieurs recours disponibles pour les créanciers hypothécaires. Cependant, il est à retenir que chacun de ces recours a des particularités propres, et la question quant à choisir quel recours est le plus adéquat exige une bonne analyse de la situation.

Chacun de ces recours comporte des exigences importantes. Il est recommandé de consulter un professionnel du droit avant d’intenter toute démarche de ce type.

Nos professionnels peuvent répondre à vos questions, le cas échéant.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter nos avocats.


[1] Tel qu’énuméré à l’article 2748 C.c.Q.

[2] 2757 C.c.Q.

[3] Art. 2758 C.c.Q.

[4] « 2757. Le créancier qui entend exercer un droit hypothécaire doit produire au bureau de la publicité des droits un préavis, accompagné de la preuve de la signification au débiteur et, le cas échéant, au constituant, ainsi qu’à toute autre personne contre laquelle il entend exercer son droit ».

[5] Art. 2763 C.c.Q.

[6] Art. 2764 C.c.Q.

[7] Art. 2764 al. 2 C.c.Q.

[8] Selon l’article 2765 C.c.Q.

[9] Art. 2767 C.c.Q.

[10] Art. 2773 C.c.Q.

[11] Art. 2775 C.c.Q.

[12] Art. 2783 al. 1 C.c.Q.

[13] Art. 2783 al. 1 C.c.Q.

[14] Art. 2782 C.c.Q.

[15] Art. 2778 C.c.Q.

[16] Art. 2779 al. 1 C.c.Q.

[17] Formalités et délais prévus notamment à l’article 2779 C.c.Q.

[18] Art. 2784 C.c.Q.

[19] Formalités de 2786 C.c.Q à respecter.

[20] Formalités de 2787 C.c.Q. à respecter.

[21] Formalités de 1757 et 2788 C.c.Q. à respecter.

[22] Art. 2785 C.c.Q.

[23] Art. 2789 al. 1 C.c.Q.

[24] Art. 2789 al. 2 C.c.Q.

[25] Art. 2789 al. 3 C.c.Q.

[26] Voir art. 2651 et suivants C.c.Q.

[27] Art. 2790 C.c.Q.

[28] Art. 2791 al. 1 C.c.Q. et voir les dispositions en matière immobilière à l’article 761 C.p.c.

[29] Art. 2791 al. 2 C.c.Q.

[30] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01.

[31] Art. 759 C.p.c.

[32] Voir l’état de collocation imposé par l’article 766 C.p.c.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).