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Recours pour malfaçon en construction : l’impact de l’obligation de renseignement du client

Recours pour malfaçon en construction : l’impact de l’obligation de renseignement du client

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Le recours à la garantie légale contre les malfaçons peut être une avenue pour le client contre un entrepreneur dans le cadre d’un contrat de rénovation ou de construction. Cependant, le client pourrait perdre l’accès à ce recours s’il ne s’acquitte pas adéquatement de son obligation de renseignement envers l’entrepreneur. Cette obligation exige du client qu’il renseigne l’entrepreneur sur tous les éléments que ce dernier devrait considérer avant de s’engager dans le contrat. Retour sur les principes applicables et analyse de l’affaire de la Cour d’appel du Québec Cran-Québec II c. Excavations Mario Roy inc., 2020 QCCA 91.

Auteur: Manuel St-Aubin, avocat, en collaboration avec Martin Ouellette, étudiant en droit et parajuriste

Date de rédaction: 3 avril 2020

Malfaçon : rappel des notions applicables

La malfaçon se définit comme étant un défaut mineur de l’ouvrage qui n’affecte pas sa solidité. Elle peut tirer son origine du non-respect des règles de l’art, du non-respect du contrat consenti par le client, ou encore, d’un ouvrage incomplet ou déficitaire[1]

La malfaçon peut être de deux types : apparente ou non-apparente :

  • Elle est apparente lorsqu’une personne raisonnable et prudente peut la voir[2] ;
  • Elle est non-apparente si elle n’est pas facile à voir et qu’elle ne peut pas être découverte sans une vérification spécifique effectuée par un professionnel[3].

En présence de malfaçon causée par une mauvaise exécution des travaux par l’entrepreneur, ce dernier peut donc voir sa responsabilité être engagée en tout temps envers le client[4].

Garantie légale contre les malfaçons découvertes dans l’année suivant la réception de l’ouvrage

Le Code civil du Québec, à son article 2120, prévoit que l’entrepreneur est tenu « pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l’année qui suit la réception »[5]

Il est important de noter que lors de la réception de l’ouvrage, le client, si la situation l’indique, doit exprimer des réserves sur les malfaçons apparentes qu’il a constaté. À défaut, il pourrait perdre le droit d’invoquer la garantie prévue par cet article[6]

Cette garantie contre les malfaçons est avantageuse pour le client car il n’a pas à faire la preuve de la faute de l’entrepreneur. En effet, le client, doit prouver les trois éléments suivants pour se prévaloir de cette garantie:

  • Les travaux ont été effectués par l’entrepreneur[7];
  • La malfaçon existe[8];
  • La malfaçon a été découverte dans l’année suivant la réception de l’ouvrage[9].

Si le client fait la preuve de ces éléments à l’encontre de l’entrepreneur, ce dernier pourrait toutefois faire valoir les moyens de défense suivants :

  • La force majeure[10];
  • Le fait du client lui-même[11].

Comme nous le verrons dans la prochaine section, le tribunal qui détermine que le client est à l’origine de la malfaçon pourrait lui refuser le bénéfice de cette garantie.

Illustration jurisprudentielle

En janvier 2020, la Cour d’appel a rendu le jugement Cran-Québec II c. Excavations Mario Roy inc.[12], dans lequel elle s’est penchée sur le régime de la garantie légale contre les malfaçons prévue à l’article 2120 du Code civil du Québec.

Dans cette affaire, le client a confié l’aménagement d’un terrain à un entrepreneur sur lequel il souhaite y faire la récolte de canneberges. Après la réception de l’ouvrage, il se plaint d’une malfaçon importante : le système de drainage du champ n’est pas adapté aux caractéristiques du sol et il n’est donc pas fonctionnel (par. 6).

Dans son analyse, la Cour se demande d’abord si le système de drainage qui ne convient pas au sol est une malfaçon (par. 20, 21 et 22).

Après avoir rappelé les obligations de l’entrepreneur, la Cour s’attarde à la garantie légale prévue à l’article 2120 du Code civil du Québec et apporte la précision suivante (par. 34 et 35) :

  • [35] La responsabilité sans faute découlant de cette disposition […] est très lourde. […] Cependant, […] l’entrepreneur peut se libérer de sa responsabilité, en totalité ou en partie, lorsque la survenance du défaut qu’on lui reproche découle du fait ou de la faute du client18. […] [Référence omise]

La Cour rappelle ensuite que le client a notamment une obligation de renseignement envers l’entrepreneur :

  • [37] À cela, il faut ajouter que le client est également redevable d’une obligation de renseignement envers l’entrepreneur et ne peut cacher à celui-ci les faits déterminants qui pourraient affecter directement, d’une part, sa volonté de contracter ou, d’autre part, les conditions auxquelles il voudra contracter, la nature des travaux qu’il s’engagera à exécuter ou leur mode d’exécution. […]

Après une analyse jurisprudentielle, la Cour d’appel indique ceci :

  • [44] […] il se peut qu’une malfaçon prétendue soit en réalité le résultat de l’information fausse ou incomplète qu’un client dont l’expertise est supérieure à celle de l’entrepreneur aura donnée à ce dernier […], particulièrement dans le cas où le bien qu'il fournit (le terrain en l'occurrence) est affligé d'un vice. Si l’entrepreneur en fait la preuve, il se trouve déchargé de sa responsabilité […].

Dans son analyse, la Cour retient d’abord que l’expertise du client en matière de cannebergières surclasse assurément celle de l’entrepreneur (par. 46). 

Ensuite, elle souligne que le client a choisi un terrain peu propice à la culture de canneberges, qu’il n’en a pas informé l’entrepreneur, et que lorsque celui-ci a exprimé à plusieurs reprises des réserves par rapport au terrain, le client a plutôt confirmé la qualité du sol (par. 48). 

Enfin, la Cour indique que le client « ne saurait reprocher à [l’entrepreneur] […] d’avoir mal fait son travail en n’installant pas un système de drainage convenant à un sol dont elle a toujours nié l’état véritable » (par. 51 et 52). 

Pour ces motifs, la Cour d’appel rejette la réclamation du client relative à la garantie contre les malfaçons.

Conclusion

Bien que l’entrepreneur ait le libre choix des moyens d’exécution du contrat[13], qu’il soit tenu d’être prudent, diligent et de respecter les règles de l’art[14] et qu’il soit responsable de la qualité des biens qu’il fournit[15], on ne peut pas lui reprocher que l’ouvrage qu’il a accompli soit affecté de malfaçons qui ont été causées par le client[16]. Cet état de fait illustre très bien l’adage voulant que « nul ne peut invoquer sa propre turpitude[17] ».

Bref, afin de conserver sa garantie contre les malfaçons, un client aura tout avantage à s’acquitter adéquatement de son obligation de renseignement et indiquer à l’entrepreneur engagé les éléments à sa connaissance qui pourraient influer sur l’exécution de son contrat. 

ATTENTION : Les informations de cet article sont d’ordre général et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Les faits peuvent varier d’une situation à l’autre et potentiellement changer toute réponse d’ordre juridique. Une consultation avec un avocat concernant votre cas particulier est vivement recommandée.


[1] Vincent KARIM, Contrats d’entreprise, contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2015, n° 1492, page 607. 

[2] Id., n° 1509, p. 614.

[3] Id., n° 1510, p. 614.

[4] Id., n° 1485, p.605.

[5] Art. 2120 C.c.Q.

[6] Vincent KARIM, préc. note 1, n° 1509, p. 614.

[7] Id., n° 1511, p. 615.

[8] Id., n° 1509, p. 614.

[9] Id. À noter cependant que le délai d'un an mentionné à l'article 2120 C.c.Q. n'est pas un délai de prescription du recours, celui-ci étant de 3 ans, tel qu'indiqué dans Scierie Bernard inc. c. Couture, 2000 CanLII 18250 par. 25-30.

[10] Id., n° 1512, p. 615.

[11] Id., n° 1512, p. 615.

[12] 2020 QCCA 91: <http://canlii.ca/t/j4tfm>

[13] Art. 2099 C.c.Q.

[14] Art. 2100 C.c.Q.

[15] Art. 2103 C.c.Q.

[16] Cran-Québec II c. Excavations Mario Roy inc., préc. note 12, par. 51.

[17] Id., par. 51. 

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).