
Restitution du paiement fait par erreur ou fait sous protêt : le recours en répétition de l’indu
- 1. La réception de l’indu et le paiement fait par erreur ou sous protêt
- a) La notion de paiement et l’absence de dette
- b) Le paiement fait par erreur ou sous protêt
- 2. Quelles sont les règles de la restitution du paiement ?
- 3. La prescription du recours en répétition de l’indu
- 4. Quelques défenses possibles au recours en répétition de l’indu
- a) La défense selon l’article 1491 al. 2 C.c.Q.
- b) La défense de libéralité
- c) La discrétion du tribunal pour circonstances exceptionnelles
- d) La faute ou la dette de celui qui a fait le paiement
- 4. Conclusion
Il peut arriver qu’en certaines circonstances un paiement soit fait par erreur, ou qu’un paiement soit fait à une personne pour éviter un préjudice mais que la personne ayant fait le paiement indique qu’il ne doit pas cette somme (paiement sous protêt). Dans ces cas, comment obtenir le remboursement des sommes qui ont été payées erronément ?
Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats
Date de rédaction : 2025-03
Date de mise à jour : n/a
1. La réception de l’indu et le paiement fait par erreur ou sous protêt
En principe, tout paiement qui est fait suppose qu’il y ait une obligation, et un paiement qui a été fait alors qu’il n’y a pas d’obligation doit être restitué par celui qui l'a reçu (art. 1554 al. 1 C.c.Q.).
Lorsqu’un paiement a été fait par erreur ou fait en protestant que l’on ne doit rien (sous protêt), cette somme doit en principe être restituée par celui qui l’a reçu. Cependant, la jurisprudence et la loi apportent certaines nuances à ce principe.
Dans la jurisprudence, l’on nomme celui qui reçoit le paiement par erreur l’accipiens, et celui qui l’a fait, le solvens.
Le Code civil du Québec encadre le recours de celui qui veut se faire restituer les sommes payées par erreur ou sous protêt ou à l’article 1491 C.c.Q. :
- 1491. Le paiement fait par erreur, ou simplement pour éviter un préjudice à celui qui le fait en protestant qu’il ne doit rien, oblige celui qui l’a reçu à le restituer.
- Toutefois, il n’y a pas lieu à la restitution lorsque, par suite du paiement, celui qui a reçu de bonne foi a désormais une créance prescrite, a détruit son titre ou s’est privé d’une sûreté, sauf le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur.
Le recours de celui qui veut ravoir un paiement alors qu’il ne devait pas le faire s’appelle le « recours en répétition de l’indu ».
Les conditions d’application de ce recours découlent de l’article 1491 du Code civil du Québec. La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, rappelle ces trois critères au paragraphe 68 :
- Il doit y avoir un paiement ;
- Le paiement doit avoir été fait alors qu’il n’y avait pas de dette entre les parties ;
- Le paiement doit avoir été fait par erreur ou pour éviter un préjudice.
Regardons ces critères plus en détail.
a) La notion de paiement et l’absence de dette
La notion de paiement ne porte pas beaucoup à débat, étant relativement simple. Le Code civil du Québec indique ce qu’est un paiement : « le versement d’une somme d’argent pour acquitter une obligation, mais aussi l’exécution même de ce qui est l’objet de l’obligation » (art. 1553 C.c.Q.). Il se peut donc aussi qu’un paiement soit la remise d’une chose autre qu’une somme d’argent.
S’il y a absence d’obligation (ou dette) à l’égard de celui qui a reçu le paiement, les deux premiers critères pour obtenir la répétition de l’indu pourront être remplis.
b) Le paiement fait par erreur ou sous protêt
L’erreur et le paiement sous protêt ont fait l’objet de plusieurs interprétations dans la jurisprudence.
Concernant l’erreur, la Cour d’appel du Québec a clarifié les règles applicables :
- L’erreur peut être de fait ou de droit[1], c’est-à-dire découler des circonstances factuelles (par exemple une erreur de calcul) ou découler de la croyance du payeur qu’il doit légalement les sommes qu’il a payées ;
- Il est à noter qu’une « erreur inexcusable » (par exemple une grossière négligence) de celui qui a payé ne fait pas obstacle au recours en répétition de l’indu selon la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Roy c. L'Unique, assurances générales inc., 2019 QCCA 1887 (par. 53 et 60) ;
Le paiement fait sous protêt (sous protestation) quant à lui signifie qu’il a été fait alors que celui qui l’a fait a signifié à celui qui l’a reçu qu’il ne lui doit rien. La mention « sous protêt » sera nécessaire. À défaut de signifier cette protestation lors du paiement, cela peut faire échec au recours en restitution[2]. À titre d’exemple, il pourra arriver qu’un locataire poursuivi par son locateur en résiliation d’un bail pour non-paiement du loyer paye lesdits loyers « sous protêt » pour éviter la résiliation du bail, même alors qu’il aurait une réclamation valide contre le locateur en diminution de loyer[3].
Lorsque les conditions mentionnées ci-dessus sont rencontrées, il y a lieu de restituer le paiement reçu selon les règles prévues à cet effet au Code civil du Québec.
2. Quelles sont les règles de la restitution du paiement ?
Le Code civil du Québec indique que « la restitution de ce qui a été payé indûment se fait suivant les règles de la restitution des prestations » (art. 1492 C.c.Q.), référant aux article 1699 à 1707 C.c.Q.
Les principales règles de la restitution se détaillent sommairement ainsi :
- La restitution se fait en nature, ou si cela est impossible, par équivalent (art. 1700 al. 1 C.c.Q.) ;
- Si le bien qui doit être restitué a été vendu (aliéné) ou qu’il est une perte totale, celui qui doit le restituer doit en restituer la valeur, sauf si le bien a péri par force majeure (art. 1701 C.c.Q.) ;
- Si le bien a subi une perte partielle (détérioration ou dépréciation), celui qui doit restituer le bien doit indemniser le créancier pour cette perte, sauf si cette perte résulte de l’usage normal du bien ;
- Les impenses faites par celui qui a reçu le bien par erreur doivent être remboursée dans certaines circonstances (art. 1703 et 959 et suivants C.c.Q.) ;
- La personne ayant l’obligation de restituer le bien peut bénéficier des fruits et revenus produits par le bien et ne doit aucune indemnité pour la jouissance du bien, sauf exception ou mauvaise foi (art. 1704 C.c.Q.) ;
- Les frais de la restitution sont supportés par les parties, en proportion, le cas échéant, de la valeur des prestations qu’elles se restituent mutuellement., sauf si une des parties est de mauvaise foi ou que la cause de la restitution est de sa faute – alors cette partie supporte seule les frais de la restitution (art. 1705 C.c.Q.) ;
- Les mineurs et les majeurs sous tutelle ou mandat de protection ne sont tenus à la restitution des prestations que jusqu’à concurrence de l’enrichissement qu’ils en conservent, mais peuvent être tenus à la restitution intégrale lorsqu’ils ont rendu impossible la restitution par leur faute intentionnelle ou lourde (art. 1706 C.c.Q.) ;
- Celui qui demande la restitution du bien alors que celui-ci a été vendu à un tiers de bonne foi par celui qui l’a reçu ne peut le revendiquer à celui qui l’a acquis (art. 1707 al. 1 C.c.Q.), il devra alors demander la restitution de la valeur du bien (art. 1701 C.c.Q.) ;
- Cependant, si le bien qui doit être restitué a été aliéné à titre gratuit (par exemple un don), il peut possiblement être revendiqué directement par celui qui l’a reçu de la personne qui était tenu de la restitution (art. 1707 al. 1 C.c.Q.).
Comme la plupart du temps il est question de sommes d’argent à restituer, les règles de la restitution trouvent application de façon moins complexe. Cependant, si le paiement à restituer est un bien physique (meuble ou immeuble), ces dispositions auront toute leur pertinence dans le cadre de la restitution.
3. La prescription du recours en répétition de l’indu
La personne ayant fait un paiement par erreur et qui veut obtenir restitution de celui-ci a trois ans pour prendre son recours (art. 2925 C.c.Q.), à défaut de quoi ses droits seront prescrits. Ce délai se compte à compter de la date du paiement en question[4], sauf s’il a été induit en erreur par celui qui a obtenu le paiement (ce qui pourrait être une « impossibilité d’agir » au sens de l’article 2904 C.c.Q.)[5].
4. Quelques défenses possibles au recours en répétition de l’indu
a) La défense selon l’article 1491 al. 2 C.c.Q.
Pour faire échec à la restitution du paiement, le Code civil du Québec indique ce qui suit à l’article 1491 :
- 1491. […]
- Toutefois, il n’y a pas lieu à la restitution lorsque, par suite du paiement, celui qui a reçu de bonne foi a désormais une créance prescrite, a détruit son titre ou s’est privé d’une sûreté, sauf le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur.
Ainsi, celui qui a reçu le paiement fait par erreur ou sous protêt pourrait s’opposer à la restitution si les conditions suivantes sont rencontrées :
- Celui qui a reçu le paiement est de bonne foi ;
- Il a une maintenant une créance prescrite contre le réel débiteur du paiement, a détruit son titre ou s’est privé d’une sûreté ;
À titre d’exemple, la restitution pourrait être refusée si une personne a payé par erreur à la place d’un autre débiteur alors que le réel débiteur n’a pas payé la dette. Si le créancier, ayant cru avoir été valablement payé (mais a été payé par la mauvaise personne), n’a pas intenté de recours contre le réel débiteur dans les trois ans, il se retrouve avec une créance prescrite (art. 2925 C.c.Q.). Alors, cette situation pourrait ouvrir la porte à la défense prévue à l’article 1491 al. 2 C.c.Q.[6]
b) La défense de libéralité
La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, reconnait qu’un paiement pourrait être fait en l’absence d’obligation, si celui qui a payé avait une intention « libérale » (par exemple de faire un don ou un paiement en remerciement). Cependant, « comme l’intention libérale ne se présume pas, c’est sur celui qui l’invoque que repose le fardeau de la prouver »[7].
Ainsi, celui qui a reçu le paiement devrait faire la preuve que celui ayant payé avait une intention libérale pour faire échec à la restitution des sommes en question.
c) La discrétion du tribunal pour circonstances exceptionnelles
Dans certaines circonstances, le tribunal peut « exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder à l’une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu’il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l’étendue ou les modalités de la restitution » (art. 1699 al. 2 C.c.Q.).
Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire du tribunal afin d’éviter une iniquité, comme le rappelle la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Roy c. L'Unique, assurances générales inc., 2019 QCCA 1887 :
- [81] Ce pouvoir discrétionnaire constitue une mesure d’équité puisqu’il vise à éviter qu’une partie ne retire un avantage indu du fait de la restitution[62]. Tout récemment, la Cour précisait à ce sujet : « Il s’agit d’un pouvoir "tout à fait exceptionnel" que le juge doit exercer avec "modération et transparence, en expliquant en quoi la restitution procurerait un avantage injustifié" »[63].
- [82] Ainsi, bien qu’il comporte une marge de manoeuvre importante, ce pouvoir n’est pas arbitraire ou aléatoire; il doit se fonder sur la preuve et favoriser l’équilibre entre les parties[64]. […].
d) La faute ou la dette de celui qui a fait le paiement
Il se peut que celui qui a reçu le paiement ait une réclamation contre la personne ayant fait le paiement par erreur, soit pour une question contractuelle ou une autre source de responsabilité. Ainsi, celui qui a reçu le paiement pourrait produire une réclamation contre la personne qui demande la restitution du paiement, par exemple dans le cadre d’une demande reconventionnelle. Cette situation pourrait permettre au tribunal d’opérer compensation entre chacune des dettes des parties lors du jugement.
Cette situation n’est pas quant à soi un moyen de défense à la demande en répétition de l’indu, mais résulte d’une réclamation indépendante de la part de la personne ayant reçu le paiement contre la personne ayant payé.
4. Conclusion
Le recours en répétition de l’indu est un outil juridique utile lorsqu’un paiement a été fait par erreur, ou fait sous protêt pour éviter un préjudice. Cela permet à celui ayant fait le paiement d’en obtenir restitution. Ce paiement, bien qu’étant souvent sous la forme d’argent, peut concerner un objet matériel.
Pour que ce recours soit possible, trois conditions doivent être réunies : 1) il doit y avoir eu un paiement, 2) ce paiement doit avoir été fait en l'absence de dette entre les parties, et 3) il doit avoir été fait par erreur ou pour éviter un préjudice (sous protêt). L'erreur peut être de fait ou de droit, et même une erreur inexcusable ne fait pas obstacle au recours. À noter qu’un paiement sous protêt nécessite une protestation signifiée lors du paiement.
Plusieurs nuances et détails doivent être pris en compte dans l’analyse du recours, et bien que les conditions d’application puissent paraitres simple à rencontrer, plusieurs moyens de défense peuvent potentiellement être invoqués.
AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.
[1] Roy c. L'Unique, assurances générales inc., 2019 QCCA 1887, par. 30.
[2] Valois c. 9256-2503 Québec inc., 2021 QCCQ 173, par. 15.
[3] Voir par exemple l’affaire 127682 Canada inc. c. 9118-5744 Québec inc., 2024 QCCQ 4248.
[4] Id., par. 62 et 65.
[5] Id., par. 66.
[6] Voir à titre d’exemple l’affaire Excavation de Chicoutimi inc. c. Québec (Procureur général) (Ministère des Transports), 2007 QCCS 4074, par. 177 et suivants.
[7] Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, par. 70.
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