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Sanction du non-respect d’une ordonnance ou d’une injonction : l’outrage au tribunal

Sanction du non-respect d’une ordonnance ou d’une injonction : l’outrage au tribunal

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Le non-respect d’une ordonnance ou d’une injonction d’un tribunal est grave et peut entrainer des conséquences financières et parfois même l’emprisonnement. Voici un récapitulatif des notions juridiques applicables à l’outrage au tribunal en droit civil.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2025-04

Date de mise à jour : n/a

1. Définition de l’outrage au tribunal

Comme l’édicte le Code de procédure civile du Québec (C.p.c.), « toute personne, même si elle n’est pas présente physiquement à une audience, doit […] obéir aux ordres du tribunal ou des officiers de justice sous son autorité, sous peine d’outrage au tribunal » (art. 14 al. 3 C.p.c.).

Le Code de procédure civile définit l’outrage au tribunal à l’article 58 :

  • 58. Se rend coupable d’outrage au tribunal la personne qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal. […].

Ainsi, un outrage au tribunal peut avoir diverses formes, dont :

  • Le fait de ne pas se conformer à une ordonnance ou une injonction du tribunal, parfois même si une personne n’est pas directement visée par l’ordonnance[1] ;
  • Un agissement qui tend à entraver l’administration de la justice ;
  • Un agissement qui porte atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.

L’outrage peut être fait en présence du tribunal (par exemple lors d’une audience), ou hors de sa présence.

2. La procédure d’outrage au tribunal

La procédure en matière d’outrage au tribunal comporte plusieurs aspects que l’on retrouve en droit pénal, car il s’agit d’une procédure de nature pénale, mais prévue au Code de procédure civile. Tel que le mentionne la Cour suprême du Canada dans l’affaire Morasse c. Nadeau‑Dubois, 2016 CSC 44, « l’outrage au tribunal est la seule procédure civile au Québec qui peut donner lieu à une peine d’emprisonnement » (par. 20).

Lorsqu’il est reproché à une personne d’avoir commis un outrage au tribunal, cette personne doit être cité à comparaître par le tribunal pour entendre la preuve des faits qui sont à l’origine de l’outrage et entendre les moyens de défense de celui qui est visé par la procédure d’outrage (art. 59 C.p.c.).

L’ordonnance portant citation à comparaître est prononcée d’office par le tribunal ou sur demande (art. 60 al. 1 C.p.c.). La demande pour demander l’ordonnance portant citation à comparaître pour outrage au tribunal n’a en principe pas besoin d’être notifiée (art. 60 al. 1 C.p.c.). Elle doit être précise, car suivant l’émission de l’ordonnance portant citation à comparaître, la demande ne peut plus être modifiée[2].

Lorsqu’une ordonnance portant citation à comparaître pour outrage au tribunal est rendue, cela ouvre une nouvelle instance, « celle visant à déterminer si l’autorité du tribunal a été « outragée », dans le cadre de laquelle le défendeur sur l’accusation est assigné pour qu’il puisse faire valoir tous ses moyens, de droit et de fait, en défense à l’accusation »[3].

Dans cette instance, « seule la citation à comparaître doit désormais être considérée », et les formalités de la procédure doivent être strictement respectées[4].

Le tribunal qui se penche sur un outrage au tribunal applique les règles suivantes :

  • La personne à qui il est reproché d’avoir commis un outrage au tribunal ne peut être contrainte à témoigner (art. 61 al. 1 C.p.c.) ;
  • La preuve de l’outrage doit être hors de tout doute raisonnable (art. 61 al. 2 C.p.c.) ;
  • Le jugement qui déclare qu’un outrage a été commis doit énoncer les faits sur lesquels il se fonde, et la sanction de l’outrage peut être décidée dans un autre jugement qui suit (art. 61 al. 3 C.p.c.).

3. La preuve requise

Comme mentionné ci-dessus, la preuve de l’outrage doit être « hors de tout doute raisonnable ».

La jurisprudence a développé plusieurs critères utilisés afin de déterminer si une personne est coupable ou non d’outrage au tribunal.  

Ainsi, il doit être établi, hors de tout doute raisonnable, chaque élément suivant[5]:

  • L’ordonnance qui aurait été non-respectée doit énoncer clairement et sans équivoque ce qui doit être fait ou pas fait ;
  • La personne accusée d’avoir contrevenu à l’ordonnance doit avoir eu une connaissance réelle ou inférée de celle-ci ;
  • Un avis clair, précis et sans ambigüité de l’infraction d’outrage a été donné à l’accusé (la citation à comparaître pour outrage au tribunal doit avoir ces caractéristiques) ;
  • La personne accusée a commis un acte interdit par l’ordonnance ou a omis intentionnellement de faire ce qu’elle était ordonnée de faire (actus reus) ;
  • La personne accusée doit avoir intentionnellement commis l’acte ou ommission (mens rea)[6] « quoique l’intention spécifique de ne pas se conformer à l’ordonnance n’a pas à être établie, ce qui exclut notamment les défenses d’erreurs de droit »[7]. Ainsi, il faut déterminer si « hors de tout doute raisonnable, une personne raisonnable aurait compris que les actes étaient interdits par l’ordonnance »[8].

À titre d’illustration, la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Douek c. Brossard, 2018 QCCA 1734 discute sur la notion de « doute », tout en reprenant la règle générale :

  • [4] […] L’inculpé ne doit donc pas être déclaré coupable d’outrage lorsque l’ordonnance est vague ou ambigüe[2]. Le doute qui en découle doit profiter à l’inculpé[3]. Cela étant, on ne doit pas appliquer un formalisme rigide, artificiel, excessif ou tatillon à cette exigence[4]. La question fondamentale est ultimement celle de savoir si, hors de tout doute raisonnable, une personne raisonnable aurait compris que les actes étaient interdits par l’ordonnance.

Toujours dans l’affaire précitée, au paragraphe 8 du jugement, la Cour d’appel indique que le pouvoir de condamner à l’outrage est discrétionnaire, et pourrait donc ne pas être appliqué dans certaines circonstances, par exemple si :

  • lorsqu’on tente d’utiliser l’outrage de façon routinière ; ou
  • d’autres recours appropriés sont disponibles ; ou
  • l’inculpé a agi de bonne foi et a pris des mesures raisonnables pour se conformer à l’ordonnance ; ou
  • lorsqu'il en résulterait autrement une injustice dans les circonstances de l'affaire.

4. Les sanctions possible de l'outrage au tribunal

L’article 62 du Code de procédure civile prévoit les seules sanctions applicables lorsqu’une personne est déclarée coupable d’outrage au tribunal :

  • Paiement d’une amende punitive d’un maximum de 10 000,00$ pour une personne physique, et de 100 000$ pour une personne morale, une société, une association ou autre groupement sans personnalité juridique (par exemple une compagnie). À noter que cette somme n’est en principe pas versée à une partie, mais à l’état (art. 318 al. 1 du Code de procédure pénale, RLRQ c C-25.1) ;
  • Exécution de travaux d’utilité sociale ;
  • L’emprisonnement en plus des sanctions ci-dessus est possible, si la personne refuse de se conformer à l’ordonnance ou à l’injonction. L’emprisonnement ne peut pas excéder un an.

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Douek c. Brossard, 2018 QCCA 1734, énonce les éléments à considérer pour établir la peine à donner en cas d’outrage au tribunal :

  • [14] Quant aux moyens d’appel portant sur la peine, il convient de noter que les objectifs et principes pour déterminer la peine conséquente à un outrage civil sont bien établis. La peine pour un outrage au tribunal a pour objectif principal de contribuer au respect de la loi et des ordonnances judiciaires et ainsi, maintenir la primauté du droit au sein d’une société juste, paisible et sûre. À cette fin, elle vise notamment les objectifs suivants :
    • a) dénoncer la désobéissance à une ordonnance judiciaire;
    • b) dissuader le délinquant de désobéir à l’avenir aux ordonnances judiciaires;
    • c) assurer la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité; et
    • d) susciter chez le délinquant la conscience de ses responsabilités.
  • La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’outrage et au degré de responsabilité du délinquant. Elle doit tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à l’outrage, de la situation du délinquant et de l’harmonisation des peines.

Selon la Cour d’appel dans l’affaire Trudel c. Foucher, 2015 QCCA 691, la sanction à imposer dans un cas d’outrage « doit plus particulièrement dissuader le défendeur de récidiver et susciter chez lui une prise de conscience de ses responsabilités, tout en étant juste et proportionnelle à l’outrage » (par. 40).

5. Conclusion

Ne pas respecter des ordonnances ou une injonction du tribunal peut emporter des sanctions importantes, allant d’une condamnation monétaire à l’emprisonnement.

Ainsi, la procédure et la preuve sont strictes et les faits doivent être prouvé hors de tout doute raisonnable.

Autant le tribunal, d’office, que d’autre parties ou personnes peuvent demander l’ouverture d’une instance concernant l’outrage au tribunal. Cependant, comme le rappelle la Cour suprême du Canada dans l’affaire Morasse c. Nadeau‑Dubois, 2016 CSC 44, la procédure d’outrage n’est pas à prendre à la légère :

  • [21] Dans toutes les affaires d’outrage, il est essentiel que les tribunaux gardent à l’esprit le caractère exceptionnel de leurs pouvoirs en la matière et ne les exercent qu’à titre de mesure de dernier recours. Une déclaration de culpabilité pour outrage ne doit être prononcée que lorsqu’il est véritablement nécessaire de protéger l’administration de la justice […].

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Dans un tel cas, il faudrait que la personne contrevienne sciemment à l’ordonnance ou l’injonction pour se rendre coupable d’outrage au tribunal selon l’art. 58 al. 2 C.p.c.

[2] Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. 9508279 Canada inc., 2024 QCCS 3393, par. 44.

[3] Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. 9508279 Canada inc., 2024 QCCS 3393, par. 43.

[4] Id, par. 44 et 45.

[5] Critères énoncés au paragraphe 16 de l’affaire Droit de la famille — 23281, 2023 QCCA 294 et au paragraphe 51 de l’affaire Voghell c. Commission la protection du territoire agricole du Québec, 2018 QCCA 1797, repris par la Cour supérieure dans l’affaire Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. 9508279 Canada inc., 2024 QCCS 3393 (par. 13 et 14).

[6] Selon la Cour suprême du Canada, « La mens rea de cette forme d’outrage, tant en common law qu’en droit québécois, est l’intention de [traduction] « dénigrer l’administration de la justice », de « miner la confiance du public à son égard », ou d’« inciter à la désaffection à son endroit », Morasse c. Nadeau‑Dubois, 2016 CSC 44, par. 28.

[7] Voghell c. Commission la protection du territoire agricole du Québec, 2018 QCCA 1797, par. 51.

[8] Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. 9508279 Canada inc., 2024 QCCS 3393, par. 15.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).