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Signer un contrat pour une société à être constituée : impacts juridiques du contrat préconstitutif

Signer un contrat pour une société à être constituée : impacts juridiques du contrat préconstitutif

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Il arrive qu’une personne se propose d’acheter une entreprise ou un immeuble pour le compte d’une société à être constituée après la conclusion d’une promesse d’achat. C’est souvent le cas lorsqu’un promoteur se propose d’acheter un immeuble au nom d’une société qui n’est pas encore créée. Or, qui est responsable si tout ne se passe pas comme prévu ? L’entreprise future ou le signataire personnellement ?

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2024-07

Dernière mise à jour : n/a

1. La conclusion d’un contrat pour le compte d’une société future : règles générales

En principe, les actionnaires d’une société par actions (personne morale) ne sont pas responsables des obligations de la société. Ils bénéficient ainsi du « voile corporatif » (art. 309 C.c.Q.).

Cependant, lorsqu’une personne physique s’engage dans un contrat pour le compte d’une société/compagnie à être prochainement constituée, elle devient personnellement responsable des obligations au contrat en vertu de l’article 320 C.c.Q. :

  • 320. Celui qui agit pour une personne morale avant qu’elle ne soit constituée est tenu des obligations ainsi contractées, à moins que le contrat ne stipule autrement et ne mentionne la possibilité que la personne morale ne soit pas constituée ou n’assume pas les obligations ainsi souscrites.

Afin d’éviter cette responsabilité, une stipulation au contrat à cet effet doit exister.

Ce type d’acte se nomme « contrat préconstitutif ». La Cour d’appel, dans l’affaire Grostern c. Syrros, 2007 QCCA 262, le définit ainsi :

  • [33] Un contrat préconstitutif se définit comme un acte accompli au nom ou pour le compte d’une société avant sa constitution […].  L’exemple classique est un contrat d’achat d’un bien où l’acheteur déclare agir pour le compte d’une compagnie à être incorporée.

Lorsqu’un tel contrat est conclu pour une société éventuelle, il est important que cette société ratifie par la suite l’acte pour qu’une substitution des parties s’opère, le tout selon l’article 319 C.c.Q. :

  • 319. La personne morale peut ratifier l’acte accompli pour elle avant sa constitution; elle est alors substituée à la personne qui a agi pour elle.
  • La ratification n’opère pas novation; la personne qui a agi a, dès lors, les mêmes droits et est soumise aux mêmes obligations qu’un mandataire à l’égard de la personne morale.

Autrement dit, au moment où la société confirme qu’elle se porte partie au contrat, la personne qui l’a initialement conclu n’en est plus partie et est dégagé des obligations qui en découle, sous réserve des obligations relatives aux règles du mandat (art. 319 al. 2 C.c.Q.).

La ratification des contrats sera préférablement faite dans les résolutions d’organisation de la société (art. 11 et suivants LSAQ et 104 LCSA) afin que le tout soit clair et sans ambiguïté (bien qu’une ratification tacite par la société puisse aussi être valide[1]).

La Cour d’appel du Québec résume bien ces principes dans l’affaire Société sylvicole de l'Outaouais c. Rasmussen, 2005 QCCA 729 :

  • [49] En résumé, il faut retenir de l’art. 319 C.c.Q. que le signataire initial, le promoteur, à la suite d’une ratification, cesse d’être la partie cocontractante et se retrouve en relation de mandataire par rapport à la personne morale récemment incorporée.  Face au tiers cocontractant, sa responsabilité est désormais définie par les art. 6, 7 et 1437 C.c.Q. [sic] relatifs à la responsabilité extracontractuelle (en présence, par exemple, d’une ratification abusive ou frauduleuse) et, le cas échéant, par l’art. 317 C.c.Q. sur la levée du voile corporatif (si le promoteur est l’actionnaire de la personne morale).
  • [50] Je passe maintenant à l’art. 320 C.c.Q.  La jurisprudence a établi que le tiers qui contracte avec le promoteur d’une personne morale qu’il sait n’existe pas est présumé contracter avec le promoteur à moins de preuve contraire (Smith et Renaud, précité, p. 78, par. 7).  Codifiant ce principe, l’art. 320 C.c.Q. prescrit que tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas ratification le promoteur est la partie cocontractante et, par voie de conséquence, est tenu des obligations prévues au contrat.  Il lui est cependant possible de limiter, et même d’exclure, conventionnellement cette responsabilité.  L’art. 320 C.c.Q. complète donc la situation.

2. Exemple jurisprudentiel

La décision de la Cour supérieure Jozsa c. Patel, 2013 QCCS 593 est un exemple intéressant, car l’affaire se déroule dans un contexte fréquent d’offre d’achat d’un immeuble.

Dans cette affaire, « une offre d'achat signée par les défendeurs au nom d'une compagnie à être constituée ne s'est pas concrétisée en temps convenu chez le notaire » (par. 1).

Le vendeur a donc poursuivi le promettant-acheteur « pour la différence entre le prix convenu dans cette offre d'achat et le prix qu'il a obtenu lors de la vente de l'immeuble quelques mois plus tard » (par. 2).

Les questions suivantes se sont donc posées :

  • Est-ce que les signataires sont personnellement responsables des dommages réclamés malgré la constitution de la compagnie ?
  • Est-ce que la compagnie a « ratifié » la promesse d’achat après coup, et si oui, est-ce que la ratification est valide ?

Les documents de transaction permettaient de prévoir qu’une compagnie devait être incorporée suivant la promesse d’achat et se porter acquéreur de l’immeuble (par. 4 et 63).

Ladite compagnie a bien été incorporée suivant la conclusion de la promesse d’achat (par. 64).

Finalement, à cause de certaines difficultés de financement, les défendeurs promettants-acheteurs n’ont pas respecté la promesse d’achat alors qu’elle était exécutoire, engageant leur responsabilité face au vendeur (par. 88 et 89).

Ainsi, la question s’est posée afin de déterminer si la compagnie a bel et bien ratifié la promesse d’achat conformément au Code civil du Québec. Si tel était le cas, les promettant-acheteurs n’auraient pas nécessairement été responsables de tous les dommages.

Dans cette affaire, le tribunal explique ce qui suit :

  • [52] La loi ne précise également pas les modalités requises pour qu’il y ait ratification dans un tel contexte.
  • [53] Le dictionnaire précise toutefois que ratifier signifie « signer, approuver et confirmer ». La jurisprudence entérine une telle définition.
  • [54] La jurisprudence enseigne également que la ratification peut être expresse ou tacite.
  • [55] Bien qu’il soit souhaitable qu'une ratification des gestes posés par le contractant initial soit communiquée à l'autre contractant, ne serait-ce que pour une question de transparence, rien n'oblige une telle communication pour que la ratification lui soit opposable selon l'état du droit actuel.
  • [56] Ainsi, la ratification sera expresse si la compagnie adopte une résolution ratifiant l’acte posé ou si l'acte de vente est signé par la corporation, dans le cas où l’acte préincorporatif en cause est une offre d'achat.
  • […]
  • [61] Le Tribunal comprend qu'il faut faire une distinction entre l'intention d'une personne de poser des gestes au nom d’une corporation à être créée et la ratification concrète par cette dernière des gestes posés par la première; la ratification se trouve être la matérialisation de l'intention. La seule incorporation d’une compagnie ne suffit donc pas.
  • [62] Pour qu'il y ait ratification, il faut qu'une fois créée, la compagnie pose des actes qui ont un lien avec ceux posés par une autre personne avant l'incorporation. Il faut qu'une personne raisonnable à qui les faits et gestes subséquents à l'incorporation sont présentés puisse conclure que le projet initial a été approuvé, repris, continué ou réalisé par la corporation annoncée et finalement créée.

Dans cette affaire, aucune résolution de la compagnie n’a été faite pour ratifier la promesse d’achat et il n’était pas possible de constater une ratification tacite au sens de la jurisprudence (par. 65). Ainsi, en présence d’une promesse d’achat exécutoire, les personnes ayant signé la promesse d’achat se sont retrouvées responsables personnellement des dommages causés au vendeur.

3. Éléments essentiels à retenir

Les règles applicables et la jurisprudence en matière de contrat préconstitutif nous enseigne ce qui suit :

  • Une personne qui conclut un contrat pour une société à être incorporée est personnellement responsable des obligations contractées à moins qu’une stipulation expresse d’exclusion de responsabilité soit indiquée (art. 320 C.c.Q.) ;
  • Cette personne est dégagée de sa responsabilité personnelle seulement lorsque la société est incorporée et qu’elle a ratifié le contrat (art. 319 C.c.Q.) ;
  • La ratification du contrat par la société peut être « expresse ou tacite », mais il vaut mieux qu’elle soit consignée dans une résolution du conseil d’administration pour éviter toute ambiguïté ;
  • Cette ratification ne doit pas nécessairement être transmise à l’autre partie au contrat pour être valide, mais il est préférable qu’elle le soit[2].

Il est donc important dans la conclusion de contrat pour une société à être constituée de se prémunir contre une responsabilité personnelle en suivant les modalités prévues par la loi.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Jozsa c. Patel, 2013 QCCS 593, par. 54.

[2] Jozsa c. Patel, 2013 QCCS 593, par. 55.

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Auteur de cet article
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

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