Travaux de construction : l’importance d’exprimer son insatisfaction au moment de la réception des travaux
« Rares sont les travaux de construction réalisés à la perfection ou, à tout le moins, à la satisfaction du client. Le Code civil du Québec[1] reconnait cette problématique et apporte les balises à l’intérieur desquelles les parties peuvent cheminer. »[2]
C’est ainsi que s’est exprimé le juge Poirier de la Cour supérieure du Québec dans le jugement Constructions Léa inc. c. Skilling, rendu en novembre 2019. Ce jugement nous fournit une belle occasion de nous attarder sur les notions de la réception de l’ouvrage, de la fin des travaux, de la réserve, de l’obligation de payer, ainsi que du droit de rétention.
Auteur: Manuel St-Aubin, avocat, en collaboration avec Martin Ouellette, parajuriste et étudiant en droit.
Date de rédaction: 21 avril 2020
1. Notion de réception de l’ouvrage en droit de la construction
L’article 2110 du Code civil du Québec prévoit que « Le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux […] », « avec ou sans réserve »:
2110. Le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux; celle-ci a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine.
La réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserve.
Cet article, simple en apparence, est lourd d’enjeu autant pour le client que pour l’entrepreneur. C’est pour cette raison qu’il est important de bien savoir comment s’articule la notion de « réception de l’ouvrage ».
Dans cette première section de notre article, nous définirons donc ce que sont :
- a) La réception de l’ouvrage;
- b) La fin des travaux;
- c) La réserve.
a) Réception de l’ouvrage
L’article 2110 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») prévoit que « la réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter […] ».
Ainsi, la réception de l’ouvrage est un acte par lequel le client déclare qu’il accepte l’ouvrage accomplit par l’entrepreneur[3].
Alors que l’entrepreneur a l’obligation de réaliser le bien convenu, le client a, de son côté, l’obligation de recevoir le bien ainsi réalisé[4]. Le client peut toutefois refuser de recevoir l’ouvrage en cas de manquement substantiel[5].
La réception de l'ouvrage par le client peut se faire de 3 façons :
- Par écrit;
- Verbalement; ou encore
- Par des gestes ou un acte qui démontre la volonté de recevoir l’ouvrage[6].
Plus précisément sur le dernier point mentionné, la volonté du client de recevoir l’ouvrage peut notamment découler des faits suivants :
- L’utilisation ou l’occupation de l’ouvrage;
- Le paiement du prix de l’ouvrage;
- La reconnaissance par l’architecte (mandataire du client) de l’acceptation de l’ouvrage;
- Le parachèvement des travaux réclamés par le client;
- La remise par le client de la liste des déficiences (vices et malfaçons) après la fin des travaux[7].
Le client peut recevoir l’ouvrage avant la fin des travaux[8]. D’ailleurs, si l’ouvrage est divisé en phases successives, il est possible de faire une réception à la fin de chaque phase[9].
Ce n’est toutefois qu’à la fin des travaux que le client se verra imposer l’obligation de recevoir l’ouvrage[10]. Il est donc important de voir les critères permettant de déterminer le moment où le droit considère que les travaux sont terminés.
b) La fin des travaux : définition juridique
L’article 2110 C.c.Q. prévoit que la fin des travaux « a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine ».
La fin des travaux s’apprécie de manière objective[11] et pour la déterminer, on doit se demander si :
- L’ouvrage est exécuté; et si
- L’ouvrage est en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine[12].
La fin des travaux est donc une question de fait qui relève de chaque cas d’espèce[13].
Pour qu’il y ait fin des travaux, tous les entrepreneurs prenant part à l’ouvrage doivent avoir terminés les travaux prévus dans leur contrat[14].
Toutefois, il est important de noter que les travaux mineurs ne retardent pas la fin des travaux, à moins que ces travaux mineurs aient été prévus dans le contrat[15].
Bref, lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine, les travaux sont finis et le client doit recevoir l’ouvrage.
Toutefois, bien que les travaux puissent être exécutés, il se peut qu’ils soient mal faits[16]. Il est donc important de préciser que « la réception de l’ouvrage ne signifie pas que les travaux sont parfaitement réalisés, mais simplement qu’ils sont exécutés »[17].
En effet, l’ouvrage peut souffrir d’un vice ou d’une malfaçon[18]. Voilà donc pourquoi la réception de l’ouvrage peut se faire avec réserve par le client.
c) La réserve du client au moment de la réception de l’ouvrage
L’article 2110 C.c.Q. prévoit que « la réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserve » [notre soulignement].
La réserve se produit lorsque le client « manifeste son insatisfaction et dénonce explicitement les vices et malfaçons apparents »[19].
Petit rappel : un vice est un déficit rendant le bien impropre à son usage et qui diminue son utilité[20] alors qu’une malfaçon est un défaut mineur qui n’affecte pas la solidité de l’ouvrage[21].
La réserve du client au moment de la réception de l’ouvrage peut se faire de 3 façons :
Il est à noter que la dénonciation d’un vice ou d’une malfaçon qui est faite durant l’exécution des travaux constitue une réserve selon le juge Poirier J.C.S. dans l’affaire Constructions Léa inc. c. Skilling [25].
Normalement, tel que le juge Poirier le précise dans l’affaire précitée, la réserve doit être faite au plus tard au moment de la réception de l’ouvrage[26]. Le client qui accepte sans réserve peut être reconnu comme étant satisfait des travaux[27], ce qui pourrait l’empêcher de demander un remboursement pour les malfaçons et les vices apparents[28].
La réserve du client a pour objectif « de s’assurer que l’entrepreneur remplisse ses obligations[29] », et de le forcer « à corriger les malfaçons et les défauts apparents[30] ».
Dans la poursuite de cet objectif, nous verrons dans la prochaine section qu’au moment de payer, le client a le droit de retenir une somme afin de satisfaire à ces réserves.
2. Obligation de payer et droit de réserve du client
L’article 2111 C.c.Q. prévoit que « le client n’est pas tenu de payer le prix avant la réception de l’ouvrage ».
Ainsi, c’est uniquement lors de la réception de l’ouvrage que le client est obligé de payer l’entrepreneur[31]. En effet, la réception de l’ouvrage par le client rend la créance de l’entrepreneur liquide et exigible[32].
Il est toutefois important de noter que :
- Le contrat peut prévoir des acomptes puisque l’article 2111 du Code civil du Québec n’est pas d’ordre public[33];
- Le contrat peut aussi prévoir des paiements partiels en fonction de l’état d’avancement des travaux[34];
- Si l’ouvrage est divisé en phase, chaque fois que le client recevra une phase, le prix de cette phase pourra lui être réclamé[35].
De plus, l’article 2111 C.c.Q. prévoit également que client a le droit de retenir des sommes d’argent pour satisfaire aux réserves :
- 2111. […]
- Lors du paiement, il peut retenir sur le prix, jusqu’à ce que les réparations ou les corrections soient faites à l’ouvrage, une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou malfaçons apparents qui existaient lors de la réception de l’ouvrage.
- […]
La somme retenue doit équivaloir au coût de la réparation[36]. Si les parties ne s’entendent pas sur la somme à retenir, elles peuvent confier cette évaluation à un expert ou demander au tribunal d’en désigner un[37].
3. Illustration jurisprudentielle
En novembre 2019, le juge Poirier de la Cour supérieure a rendu le jugement Constructions Léa inc. c. Skilling, 2019 QCCS 5141. Ce jugement illustre bien les notions de la réception, de la fin des travaux et de la réserve.
Dans cette affaire, un client a engagé un entrepreneur pour rénover sa maison[38]. Une fois les travaux terminés, le client a refusé de payer la facture finale, celle-ci étant plus élevée que prévu[39]. L’entrepreneur lui réclame donc le paiement de sa facture[40]. Cependant, une fois devant la Cour, le client prétend notamment que les travaux sont affectés de divers vices et malfaçons, justifiant ainsi son refus de payer l’entrepreneur[41].
Premièrement, le juge Poirier a amorcé son analyse en déterminant la date de fin des travaux. Pour ce faire, le juge a retenu de la preuve que les clients ont occupé la maison tout au long des rénovations[42]. Ainsi, à la date où le dernier sous-traitant de l’entrepreneur a terminé ses travaux, l’ouvrage servait à l’usage auquel il était destiné[43]. Conséquemment, le juge a déterminé que la date de la fin des travaux correspondait à la date où le dernier sous-traitant avait terminé son contrat[44].
Deuxièmement, le juge a abordé la question de la réception de l’ouvrage par le client. Le juge a d’abord constaté que le client n’a pas signé d’acte dans lequel il reconnaissait recevoir l’ouvrage[45]. Le juge indique qu’il aura donc à déterminer si le client a agi d’une façon permettant de conclure que les travaux étaient conformes à sa volonté[46]. Le juge a retenu de la preuve que le client avait refusé de payer et qu’il avait demandé un délai afin d’étudier la facture[47]. Il souligne qu’après ce refus, le client et l’entrepreneur ont tenu des négociations relativement au paiement de la facture, mais toutefois, il remarque que ces négociations n’ont portées que sur le montant à payer et qu’il n’a nullement été fait référence à des vices où à des malfaçons[48]. Le juge a indiqué qu’en l’espèce, le refus de payer ne retarde pas la réception et ne constitue pas une réserve[49]. Conséquemment, le juge a déterminé que lors de la fin des travaux, le client avait reçu l’ouvrage de façon tacite[50].
Troisièmement, le juge s’est demandé si le client avait émis des réserves. Le juge a retenu de la preuve que durant l’exécution des travaux, le client s’était plaint à l’entrepreneur qu’il y avait des tâches d’époxy sur les tuiles des salles de bain, et il indique que le client a par le fait-même émis une réserve[51]. De plus, le juge a indiqué que le client avait soumis une liste de vices et de malfaçons 14 mois après la réception de l’ouvrage[52]. Toutefois, il souligne que ce délai est tardif, et que lors de la réception, le client a accepté l’ouvrage avec ces vices ou malfaçons apparents, sauf en ce qui concerne la réserve relative aux taches[53].
Par ailleurs, le juge a souligné que le client n’avait pas retenu de sommes relativement à la réserve concernant les taches d’époxy[54]. En effet, il explique que le client refuse de payer car il croit que le contrat ne donne pas le droit à l’entrepreneur de lui réclamer une somme aussi élevée[55].
Pour finir, puisque les experts des parties n’ont pas estimé la valeur de la correction des taches, le juge l’a établi à 7 500$[56]. De plus, considérant que l’entrepreneur avait de son côté fait la preuve de diverses sommes auxquelles il avait droit[57], le juge a donc déduit 7 500$ de la somme due par le client à l’entrepreneur[58].
4. Conclusion
Il est important de retenir que dès que les travaux sont terminés et que l’ouvrage peut servir à l’usage auquel il est destiné, le client doit accepter les travaux et recevoir l’ouvrage. Si le client n’a pas manifesté de réserves durant les travaux, c’est lors de la réception qu’il devra, au plus tard, exprimer son insatisfaction. À défaut d’exprimer ses réserves dans les délais et selon les modalités requis, le client pourrait même perdre l’opportunité de réclamer à l’entrepreneur des dommages pour vices et malfaçons.
Afin de garder la preuve que les réserves ont été exprimées à l’entrepreneur, il est utile de se rappeler que « les paroles s’envolent, les écrits restent ». De plus, au moment de la réception, le client aura l’obligation de payer les travaux, mais il sera en droit de retenir une somme suffisante afin de corriger les travaux qu’il juge insatisfaisants.
ATTENTION : Les informations de cet article sont d’ordre général et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Les faits peuvent varier d’une situation à l’autre et potentiellement changer toute réponse d’ordre juridique. Une consultation avec un avocat concernant votre cas particulier est vivement recommandée.
[1] RLRQ, c. C-1991.
[2] Constructions Léa inc. c. Skilling, 2019 QCCS 5141, par. 62.
[3] Art. 2110 C.c.Q.; Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 68.
[4] Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, n° 2153.
[5] Art. 1591 C.c.Q.; J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2152.
[6] Vincent KARIM, Contrat d'entreprise, contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 3e éd., Cowansville, Montréal, 2015, n° 932.
[7] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 69.
[8] V. KARIM, préc. note 6, n° 933.
[9] Art. 2114 C.c.Q.
[10] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 64.
[11] V. KARIM, préc. note 6, n° 955.
[12] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 64.
[13] V. KARIM, préc. note 6, n° 956.
[14] V. KARIM, préc. note 6, n° 959.
[15] V. KARIM, préc. note 6, n° 964 et 966.
[16] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 66.
[17] Id., par. 76.
[18] Id., par. 66.
[19] Id, par. 72.
[20] ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, par 47.; Leroux c. Gravano, 2016 QCCA 79, par. 40.
[21] V. KARIM, préc. note 6, n° 1492.
[22] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 77; J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2157.
[23] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 77; J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2157.
[24] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 72 et 80; J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2157. Il est important de souligner que l’auteur Vincent Karim est plutôt d’avis que « La liste de réserves relative aux malfaçons apparentes doit être établie expressément, elle ne peut être présumée » et que « selon certains courants jurisprudentiels, cette liste de malfaçons doit être faite par écrit alors que d’autres ne l’exigent pas » (V. KARIM, préc. note 6, n° 936).
[25] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 80.
[26] Id., par. 83.
[27] Id., par. 88.
[28] J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2158 ; V. KARIM, préc. note 6, n° 940.
[29] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 73.
[30] J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2160.
[31] J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2153; V. KARIM, préc. note 6, n° 1019.
[32] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 74.
[33] J. DESLAURIERS, préc. note 3, n° 2164; V. KARIM, préc. note 6, n° 109.
[34] V. KARIM, préc. note 6, n° 1022.
[35] Art. 2114 C.c.Q.; V. KARIM, préc. note 6, n° 1023.
[36] V. KARIM, préc. note 6, n° 1036.
[37] Art. 2112 C.c.Q.; V. KARIM, préc. note 6, n° 1035.
[38] Constructions Léa inc. c. Skilling, préc. note 2, par. 1, 4, 5 et 6.
[39] Id., par. 12, 14, 18 et 85.
[40] Id., par. 17.
[41] Id., par. 16, 18 et 85.
[42] Id., par.66.
[43] Id.
[44] Id., par. 65 et 66.
[45] Id., par. 69.
[46] Id., par. 72.
[47] Id., par. 71.
[48] Id., par. 75.
[49] Id., par. 72.
[50] Id., par. 76.
[51] Id., par. 80.
[52] Id., par. 78 et 84.
[53] Id., par. 84.
[54] Id., par. 81.
[55] Id., par. 18 et 85.
[56] Id., par. 96.
[57] Id., par. 111.
[58] Id., par. 96 et 111.
Obtenez les conseils et le soutien dont vous avez besoin pour faire valoir vos droits.
Prendre rendez-vous 514-735-3838