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Un client peut-il mettre fin à un contrat de service sans responsabilité ?

Un client peut-il mettre fin à un contrat de service sans responsabilité ?

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Un contrat de service qui s’exécute à long terme implique plusieurs obligations pour le client et des ressources pour l’entrepreneur. Le client ne peut pas toujours décider abruptement de mettre fin au contrat, auquel cas il peut s’exposer à un recours en dommages-intérêts de l’entrepreneur notamment si une clause de renonciation à la résiliation a été conclue au début du contrat. Pour en savoir plus sur les effets juridiques de la résiliation.

Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : 2024-06

Dernière mise à jour : n/a

1. La résiliation du contrat de service : les règles générales

Le contrat d’entreprise ou de service est défini par le Code civil du Québec à l’article 2098 :

  • 2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

Sauf stipulation contraire au contrat de service, le Code civil permet au client de le résilier unilatéralement (sans le consentement de l’entrepreneur) même si l’exécution du contrat est déjà commencée (art. 2125 C.c.Q.).

Ce n’est pas la même chose pour l’entrepreneur, qui ne peut résilier le contrat unilatéralement uniquement que pour un « motif sérieux » et sans contretemps (art. 2126 al. 1 C.c.Q.).

Si le client décide de résilier un contrat de service en cours en vertu de l’article 2125 C.c.Q., il a les obligations suivantes qui découlent de l’article 2129 C.c.Q. :

  • Il doit payer à l’entrepreneur les frais et dépenses actuelles en proportion du prix convenu;
  • Il doit payer la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation;
  • Il doit payer la valeur des biens fournis par l’entrepreneur si ces biens ont été remis au client et que ceux-ci peuvent être utilisés;
  • Il doit indemniser l’entrepreneur des préjudices supplémentaires subis, s’ils existent.

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Pelouse agrostis turf Inc. c. Club de golf Balmoral, 2003 CanLII 2728, confirme cependant que l’entrepreneur ne peut pas réclamer l’équivalent des profits futurs qui auraient par exemple été générés par le contrat s’il était arrivé à son terme (par. 39).

La Cour d’appel a réitéré ce principe dans l’affaire Compagnie des arts et métiers traditionnels limitée c. Ordre de la Très Sainte-Trinité (Trinitaires), 2020 QCCA 346 (par. 27).

Les obligations du client qui résilie un contrat de service sont bien résumées par la Cour du Québec dans l’affaire Solutions 7 inc. c. Vtek Consultants inc., 2023 QCCQ 9431 :

  • [5] Selon le Code civil du Québec (C.c.Q.), le contrat de service implique un prestataire qui s’engage à fournir un service moyennant un prix que le client s’engage à lui payer. Le client d’un contrat de service peut exercer son droit unilatéral de résilier le contrat pour le futur, en tout temps sur la base d’un bris de confiance et sans avoir à expliquer les motifs précis. Le client a tout de même l’obligation de mettre fin au contrat conformément aux exigences de la bonne foi.
  • [6] Le contrat résilié cesse d’exister pour l’avenir, mais le client doit verser une indemnité de rupture correspondant à la valeur des dépenses engagées et des travaux réalisés et prouvés avant la fin du contrat. Le Client n’est pas tenu de verser une indemnité de compensation sur les pertes de profits futurs ou anticipés. Il faut distinguer l’indemnité de rupture liée à la résiliation unilatérale d’un contrat de service, par rapport à l’indemnité de responsabilité liée à la résiliation-sanction pour défaut d’exécution.

Bien que le client bénéficie d’un droit de résiliation du contrat, il est important de noter qu’il ne peut le faire de mauvaise foi (art. 6 et 7 C.c.Q.).

2. La clause qui empêche la résiliation du contrat est-elle valide?

Sauf s’il s’agit d’un contrat de consommation encadré par la Loi sur la protection des consommateurs, RLRQ c P-40.1 (art. 11.4), une clause qui empêche la résiliation du contrat par le client est valide.

La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Peinture Denalt inc. c. Energik Communications inc., 2024 QCCA 707, a confirmé la validité d’une clause empêchant la résiliation du contrat. Cette clause se lisait ainsi :

  • « The contract cannot under any circumstances be canceled by any one single party » (traduction libre: ce contrat ne peut en aucune circonstance être annulé/résilié par quelconque partie).

Dans cette affaire, l’entrepreneur avait réservé une bonne partie de ses ressources pour desservir le client. Ainsi, la résiliation fautive du contrat a eu un impact important sur l’entrepreneur (par. 11).

La question s’est donc posée : comment évalue-t-on les dommages en cas de résiliation fautive du contrat de service ?

Vu que les services n’ont pas été rendus jusqu’à la fin du contrat du fait de la résiliation, le prix total du contrat ne peut être réclamé. C’est plutôt le profit net futur généré par le contrat qui doit être considéré comme l’explique la Cour d’appel dans l’affaire Peinture Denalt inc. c. Energik Communications inc., 2024 QCCA 707.

Ainsi, la Cour applique la règle du profit net perdu en lien avec la résiliation fautive, comme si le contrat était arrivé à son terme.

Pour établir ce qui est le « profit net », nous comprenons des enseignements de la Cour d’appel que la formule de calcul appliquée pour chaque année du contrat perdue serait la suivante :

  •  (montant du contrat ÷ par les revenus totaux de l’entreprise) X 100 =  pourcentage (%) des revenus totaux de l’entreprise que le contrat aurait rapporté;
  • Appliquer le pourcentage des revenus totaux de l’entreprise que le contrat aurait rapporté pour chaque année X dépenses globales de l’entreprise de l’année de référence = profit net qui peut être réclamé en dommages.

À titre d’exemple concret de la formule de calcul, la Cour d’appel dans cette affaire explique son raisonnement ainsi :

  • [16] Aux fins d’établir le profit net, la Cour est d’avis qu’il y a lieu de répartir les dépenses pour les années 2020 et 2021 en proportion des revenus tirés des différentes sources. Ainsi, pour 2020, les honoraires de 93 500 $ réclamés à Denalt auraient représenté 64 % des revenus totaux de 145 902 $. De ce montant, il faut déduire 64 % des dépenses de 64 999 $, soit 41 599 $, ce qui laisse un profit net de 51 901 $ (93 500 $-41 599 $). Pour l’année 2021, les honoraires de 93 500 $ auraient représenté 63 % des revenus totaux de 147 249 $. Il faut également déduire 63 % des dépenses de 85 047 $, soit 53 579,61 $. Le profit net est donc de 39 920,39 $ (93 500 $ - 53 579,61 $). Au total, Energic a droit d’être indemnisée pour le profit net perdu, soit 91 821,39 $.

Cette formule de calcul peut apporter son lot de difficulté au niveau de la preuve (états financiers, etc.).

Face à ce qui précède, bien qu’une règle générale puisse être tirée de cette décision, il faut garder en tête qu’il s’agit d’un cas d’espèce. D’autres facteurs pourraient potentiellement influer sur les dommages accordés en cas de résiliation fautive d’un contrat de service.

3. Qu’en est-il d’une clause prévoyant une pénalité en cas de résiliation ?

Comme décrit ci-dessus, il arrive que le client renonce dans le contrat à son droit de le résilier et qu’une pénalité soit prévue s’il le résilie tout de même.

Les tribunaux confirment que ce type de clause peut être valide. Ainsi, en cas de résiliation, l’entrepreneur se référera notamment à la pénalité stipulée dans le contrat pour calculer ses dommages. Cependant, vu qu’il s’agit d’une « clause pénale » au sens de l’article 1622 C.c.Q., le montant de la pénalité pourrait par exemple être réduit par le tribunal si la clause est qualifiée d’abusive (art. 1623 al. 2 C.c.Q.)[1].

4. Conclusion

Un contrat de service est en principe résiliable par le client sans avoir besoin de l’accord de l’entrepreneur, sauf si une clause au contrat empêche une telle résiliation. Si une telle clause existe, des dommages pourraient être réclamés au client en fonction du profit manqué ou en application d’une pénalité prévue au contrat.

Par ce qui précède, il est excessivement important lors de la négociation d’un contrat de service de s’assurer que les clauses de résiliation sont bien comprises.

Il est également à noter que cet article ne traite pas en profondeur des règles découlant de la Loi sur la protection des consommateurs, RLRQ c P-40.1, qui comporte plusieurs particularités, nuances et précisions en ce qui concerne les contrats de consommation.

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.


[1] Voir à ce sujet l’affaire Saniloc (1984) inc. c. 9104-7910 Québec inc. (Score rôtisserie bbq et côtes levées Drummondville), 2012 QCCQ 6125.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).