Le pacte de préférence ou droit de préemption : impacts juridiques
Il arrivera notamment en matière immobilière qu’une partie bénéficie d’un droit prioritaire d’achat si le propriétaire de l’immeuble souhaite le vendre à un tiers. Des conflits peuvent ainsi apparaître si une partie refuse de respecter le pacte de préférence ainsi accordé.
Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats
Date de rédaction : 2024-03
Date de mise à jour : n/a
1. Définition et mise en œuvre du pacte de préférence (ou droit de préemption)
Le pacte de préférence, aussi appelé droit de préemption[1], est essentiellement un droit de priorité d’achat qu’un propriétaire d’un bien accorde à une personne dans l’éventualité où le propriétaire voudrait vendre à un tiers.
La Cour supérieure, dans l’affaire U. Cayouette inc. c. Rouleau-Beaudoin, 2017 QCCS 3624, définit le pacte de préférence comme suit :
- « [61] Le pacte de préférence, aussi appelé droit de préemption, est un accord par lequel une partie s'engage, pour le cas où elle déciderait de vendre son bien, à l'offrir en priorité à l'autre partie, qui demeure libre d'accepter ou non cette offre; l’offrant n’a donc aucune obligation de vendre et le bénéficiaire, aucune obligation d’acheter. Il s’agit d’un contrat préparatoire ou, si l’on veut, d’un avant-contrat, qui consiste en un droit de premier refus ».
Essentiellement, une personne, en accordant une préférence à l’achat éventuel d’un bien dont elle est propriétaire, restreint volontairement son droit de le vendre à un tiers.
Le pacte de préférence peut notamment être retrouvé dans les cas suivants :
- Dans un bail commercial ou résidentiel, donnant au locataire l’option de racheter l’immeuble loué[2] ;
- Dans un contrat de société (convention entre actionnaires ou convention entre associés) ;
- Dans une convention d’indivision ;
- Dans divers actes de nature immobilière (usufruit, usage, emphytéose, etc.).
La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Viel c. Entreprises immobilières du Terroir ltée, 2002 CanLII 63135 (QC CA), énonce bien la définition et la mise en œuvre des droits résultant d’un pacte de préférence :
- « [55] La nature du pacte de préférence est correctement énoncée par le juge Monet dans l'affaire St-Laurent. Il démontre, à bon droit, dans le cas d'un pacte de préférence, la nécessité d'une double déclaration de volonté : le promettant désire accepter l'offre d'un tiers, toutefois avant de l'accepter, il doit la faire connaître au bénéficiaire du pacte. Ce dernier doit alors l'accepter ou la décliner. La condition préalable à la mise en oeuvre d'un pacte de préférence réside dans la volonté du promettant de vendre le bien. En l'absence de cette volonté de vendre à un tiers on refusera la réparation en nature (passation de titre) recherchée par le bénéficiaire du pacte. » […]
Pour résumer, la mécanique de mise en œuvre du pacte de préférence est la suivante :
- Existence d’un pacte de préférence visant un bien donné (immeuble, meubles, actions ou parts d’une société, etc.) ;
- Le promettant (propriétaire du bien), désire accepter l’offre d’un tiers acheteur qui souhaite acheter le bien ;
- Alors, le promettant (propriétaire) doit faire connaitre cette situation au bénéficiaire du pacte de préférence ;
- Le bénéficiaire du pacte de préférence doit choisir de faire valoir sa préférence et acheter le bien ou de ne pas faire valoir son droit.
Finalement, le pacte de préférence est un droit personnel, transmissible, à moins d’indication contraire dans la rédaction de l’acte[3].
2. Violation du pacte de préférence : remèdes juridiques
Lorsque, par exemple, un vendeur vend ou s’apprête à vendre son bien à un tiers en violation d’un pacte de préférence qu’il a avec une autre personne, les remèdes juridiques suivants sont disponibles pour celui qui est lésé par la transaction :
- L’injonction pour empêcher la vente du bien à un tiers ;
- Si le bien a été vendu, le recours en dommages-intérêts contre celui qui a promis de vendre, et contre celui qui a promis d’acheter (acheteur) si ce dernier était de mauvaise foi (art. 1397 C.c.Q.) ;
- Si la transaction de vente n’a pas encore été complété et que le vendeur désire vendre le bien, mais qu’il refuse de le vendre au bénéficiaire du pacte de préférence, ce dernier pourra procéder via une passation de titre pour forcer la vente (art. 1712 C.c.Q.)[4]. Il est à noter que si le vendeur n’a pas l’intention de vendre le bien à un tiers, la passation de titre ne sera pas possible[5] ;
- L’action en inopposabilité, « uniquement en présence de « dissimulation », « manœuvre mensongère, dolosive ou autrement frauduleuse »[6].
3. Exemple jurisprudentiel
La Cour supérieure du Québec, dans le jugement déclaratoire Filles de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2021 QCCS 214, s’est penchée sur une situation particulièrement intéressante en 2022.
Il était question de savoir si les Filles de la Charité devaient respecter le pacte de préférence (ou droit de préemption) conclut en 1945 et qui bénéficie à la Ville de Sherbrooke, donnant droit à cette dernière de racheter l’immeuble au prix d’achat de 200$ (prix fixé dans l'acte en 1945). L’immeuble est un terrain de plus de 150 000 pieds carrés (par. 4). Il est à noter qu’aucun délai maximal n’était fixé pour l’exercice du pacte de préférence/droit de préemption.
La clause en question est rédigée comme suit, reproduite dans le jugement au paragraphe 7 :
- « Dans le cas où l’acquéreur trouverait à revendre ledit terrain, la Cité aurait le privilège de l’acheter, après que l’acquéreur lui aurait signifié son intention de le vendre par un avis par écrit un mois au préalable, et ce pour le prix vendu par la Cité. »
Les Filles de la Charité ont invoqué l’argument selon lequel l’écoulement du temps a rendu caduque la clause, alors que la Ville de Sherbrooke invoque que le pacte de préférence est toujours d’actualité.
Finalement, la Cour rejette les arguments des Filles de la Charité et conclut que le pacte de préférence est toujours valide, de sorte que si les Filles de la Charité voulaient vendre l’immeuble à un tiers, la Ville de Sherbrooke aurait toujours l’option prioritaire d’acheter celui-ci au prix de 200$ tel que déterminé dans l’acte de vente de 1945.
La Cour d’appel du Québec a confirmé cette interprétation dans l’arrêt Filles de la Charité du Sacré-Coeur-de-Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2022 QCCA 112, indiquant au passage que « le droit québécois, sous réserve de certaines exceptions, permet l’existence de contrats perpétuels » (par. 9). Ainsi, la Cour conclut que le pacte de préférence, bien que de nombreuses années soient passées depuis l’octroi de ce droit (en l’occurrence depuis 1945), est encore valide[7].
4. Conclusions
La Cour, citant la doctrine dans l’affaire Filles de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2021 QCCS 214, rappelle que le pacte de préférence est « un engagement sous condition suspensive, au sens des articles 1497 à 1507 CCQ, puisque la naissance de l’obligation de vente dépend de la réalisation de deux événements futurs et incertains soit, d’une part, l’intention du promettant de vendre et la réception par celui-ci d’une offre d’achat faite par un tiers et, d’autre part, la manifestation du bénéficiaire de sa volonté d’acheter le bien aux mêmes conditions prévues dans l’offre »[8].
Dans l’affaire Filles de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2021 QCCS 214, la Cour souligne que le pacte de préférence prend le plus souvent la forme suivante :
- « [20] En général, et c’est ce que l’on retrouve le plus souvent en doctrine et en jurisprudence, le pacte de préférence prévoit, pour son exercice, non pas un prix de vente ferme et déterminé à l’avance, mais plutôt la possibilité, pour le bénéficiaire, d’acquérir le bien aux mêmes conditions que celles offertes par un éventuel tiers acquéreur. Cela fait en sorte que le débiteur de l’obligation, même si ses droits de propriété sont restreints, ne subit pas de perte économique puisque, même s’il doit respecter le droit de préférence, la vente se fait à un prix, en principe, raisonnable ».
Il est donc important de rappeler qu’un pacte de préférence doit être particulièrement bien rédigé afin d’éviter des conflits d’interprétation.
AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.
[1] Filles de la Charité du Sacré-Coeur-de-Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2022 QCCA 112, par. 3.
[2] Voir par exemple 2741-8854 Québec inc c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807.
[3] U. Cayouette inc. c. Rouleau-Beaudoin, 2017 QCCS 3624, par. 68 et 74.
[4] Voir aussi Fatihi c. 9079-9094 Québec inc., 2018 QCCS 3115, https://canlii.ca/t/ht1cj, par. 81 (non contredit en appel), la préinscription du droit (2966 et 2968 C.c.Q.) en permet de passer outre à l’article 1397 C.c.Q. pour poursuivre le recours en passation de titre malgré la vente subséquente de l’immeuble. La préinscription est donc importante si le recours en passation de titre est choisi.
[5] La volonté du vendeur de vendre à un tiers est une condition préalable au droit de demander passation de titre, voir Viel c. Entreprises immobilières du Terroir ltée, 2002 CanLII 63135 (QC CA), par. 55.
[6] Mansour c. Fatihi, 2020 QCCA 965, https://canlii.ca/t/j8vns, par. 54.
[7] C’est aussi l’opinion du tribunal dans U. Cayouette inc. c. Rouleau-Beaudoin, 2017 QCCS 3624, par. 77, qui aborde également la notion de renonciation aux par. 78 et suivants.
[8] Filles de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2021 QCCS 214, par. 19, citant KARIM, Vincent. Les obligations, volume 1, quatrième édition, Montréal, Wilson et Lafleur, 2015, paragraphes 883 et 885.
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