
L’entreprise récemment acquise est moins rentable que prévu : recours possibles
Une entente qui vise l’acquisition d’une entreprise s’établit notamment en considérant la profitabilité de celle-ci dans le passé. C’est sur ces chiffres que le prix de vente de l’entreprise pourra être établi. Or, qu’arrive-il lorsque l’acheteur se rend compte peu après l’acquisition de l’entreprise que les chiffres ne sont pas ceux qui lui ont été présentés avant la vente ? Quels sont les recours de l’acheteur contre le vendeur ?
Auteur : Me Manuel St-Aubin, avocat et associé chez St-Aubin avocats
Date de rédaction : 2025-02
Date de mise à jour : n/a
1. Rappel du processus d’acquisition d’une entreprise
L’achat d’une entreprise ne se fait pas à la légère, surtout lorsqu’un financement est nécessaire.
Le processus d’acquisition d’une entreprise peut varier s’il s’agit d’une acquisition d’actifs ou des actions d’une entreprise incorporée en société par actions. Cependant, le processus général d’acquisition peut se résumer ainsi :
- Le potentiel acheteur soumet une « lettre d’intention », plus communément appelée « LOI » (« letter of intention »), dans laquelle l’acheteur prévoit les conditions d’acquisition de l’entreprise, notamment le financement, la vérification diligente, etc. ;
- Le vendeur peut accepter ou négocier les termes de la lettre d’intention ;
- Lorsque la lettre d’intention est acceptée de part et d’autre, cela équivaut à une promesse d’achat conditionnelle à la levée des conditions par le potentiel acheteur ;
- Une des conditions importantes est la vérification diligente (« due diligence ») faite par l’acheteur pour mieux connaitre l’entreprise visée. Cela inclut la vérification des données comptables et financières, la santé générale de l’entreprise (contrats en cours, ressources humaines, tenue de l’administration, présence de recours judiciaires, etc.). Tout dépendant de l’entreprise, la vérification diligente peut être plus ou moins longue et ardue ;
- Lorsque les conditions sont levées, la transaction peut être finalisée.
Il est de coutume dans les transactions d’achat-vente d’entreprise qu’une balance du prix de vente soit négociée en faveur de l’acheteur, notamment afin de prévoir des fluctuations quant aux données financières dans les mois/années suivant l’acquisition.
Les parties, dans le cadre de l’acquisition de l’entreprise sont soumises à l’obligation de bonne foi prévue au Code civil du Québec (C.c.Q.). Ainsi, le vendeur ne peut pas cacher des informations importantes à l’acheteur. Corrélativement, l’acheteur a une obligation de s’informer diligemment auprès du vendeur.
Or, qu’arrive-t-il lorsque le vendeur a caché une information importante à l’acheteur au moment de la transaction ?
2. Le recours de l’acheteur en diminution du prix de vente pour cause de dol
L’affaire 9368-9792 Québec inc. c. Godbout, 2024 QCCS 4748 de la Cour supérieure du Québec est une bonne illustration de ce qui peut se passer lorsqu’un acheteur se retrouve floué par le vendeur.
Cette affaire porte principalement sur une demande de l’acheteur d’une clinique dentaire contre le vendeur afin d’obtenir une diminution du prix de vente de l’entreprise parce que le vendeur aurait surévalué le nombre de dossiers actifs lors des discussions précédent la vente.
En effet, le prix de vente de la clinique dentaire a notamment été établi en fonction du nombre de dossiers actifs de clients (par. 63).
Alors que le vendeur connaissait l’importance pour l’acheteur d’acquérir une clientèle existante suffisante, il ne lui a pas avisé « qu’une partie significative des dossiers de la clinique n’était pas réellement active » (par. 69).
Ainsi, le tribunal conclut que le vendeur « a sciemment induit la demanderesse en erreur au sujet du volume de sa [cli]entèle » (par. 72).
C’est ainsi que le tribunal applique les règles relatives au vice de consentement pour cause de dol, règles qui découlent des articles 1399 à 1407 C.c.Q. :
- [31] Le cadre d’analyse du recours de la demanderesse se décline en deux temps. Premièrement, elle doit démontrer qu’elle a droit à la réduction de ses obligations en établissant : 1. L’existence de son erreur ; 2. Le dol du co-contractant ou à la connaissance de ce dernier ayant causé cette erreur ; 3. Que n’eût été ce dol, elle n’aurait pas contracté aux mêmes conditions. Deuxièmement, si elle franchit la première étape, elle doit prouver l’étendue de la réduction à laquelle elle a droit.
- [32] La notion de dol n’est pas définie par le Code civil du Québec, mais la doctrine et la jurisprudence en traitent abondamment.
- [33] Selon l’auteur Vincent Karim : « Le dol, qui n’est pas expressément défini dans le Code civil du Québec, consiste dans le fait d’induire volontairement en erreur une personne dans le but de l’amener à contracter. La notion de dol est fondée sur la règle de bonne foi édictée à l’article 1375 C.c.Q., règle selon laquelle les contractants sont soumis à une obligation positive de renseignement. Le manquement à cette obligation positive de renseignement constitue ainsi une forme de dol sanctionnable en vertu des articles 1401 et 1407 C.c.Q. »
- [34] Les critères de l’erreur et du dol dont la demanderesse doit faire la preuve prépondérante sont les suivants :
- Les faits qui suscitent l’erreur émanent de la partie défenderesse ou étaient connus d’elle ;
- Le caractère déterminant de l’erreur ;
- L’intention de tromper de la partie défenderesse.
- [35] Des demi-vérités, des omissions et du silence peuvent révéler une intention de tromper, dans certaines circonstances. Il en va de même d’une réticence malhonnête.
- [36] La Cour suprême a récemment souligné qu’au stade précontractuel, la bonne foi emporte un devoir de renseignement « à géométrie variable selon le contexte ». Elle a toutefois précisé qu’en droit civil québécois « ce devoir de renseignement précontractuel n’impose pas à une partie de renoncer à son propre intérêt ou de subordonner son intérêt à celui d’autrui ». Dit autrement, la bonne foi exige de tenir compte des intérêts de l’autre partie, mais sans avoir à agir dans le seul intérêt de cette dernière.
- [37] La partie qui cause un dol ou qui le connaît ne peut invoquer que l’erreur de son cocontractant en découlant est inexcusable.
- [38] Une vente sans garantie légale demeure assujettie aux recours prévus par l’article 1407 C.c.Q. si le consentement de l’acheteur a été vicié.
Finalement, le tribunal a établi la valeur des dossiers actifs manquants à près de 87 000,00$ afin de fixer le montant à accorder en diminution du prix de vente, en prenant en compte notamment la valeur attribuée pour chaque dossier actif au moment de la transaction (par. 97-103).
3. Conclusion
Il est important de retenir que dans le cadre d’une transaction d’achat-vente d’entreprise, le vendeur ne peut pas cacher des informations importantes à l’acheteur. À défaut, il pourrait s’exposer à un recours de l’acheteur lui réclamant une diminution du prix de vente de l’entreprise.
En effet, le vendeur a une obligation de renseigner l'acheteur si les critères énoncés par la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Vaillancourt c. Marjean inc., 2024 QCCQ 7468 sont rencontrés :
- 1) le vendeur doit avoir une connaissance, réelle ou présumée, de l’information dont il est question;
- 2) cette information doit avoir un caractère déterminant pour l'acheteur; et
- 3) l’acheteur doit avoir été dans l’impossibilité de se renseigner lui-même ou ne pas l’avoir fait compte tenu de la confiance légitime qu’il avait envers son vendeur (par. 25).
Évidemment, avant d'évaluer les recours prévus au Code civil, il importe d'abord de vérifier les clauses à l'acte d'acquisition. Souvent, un processus de réclamation sera contractuellement prévu.
La bonne foi et la transparence est donc de mise pour toutes les parties dans le cadre des discussions menant à une transaction.
AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Pour toute question d’ordre juridique adaptée à votre situation, nous vous conseillons de contacter un avocat.
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