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Les arbres et le voisinage : notions légales essentielles et recours en cas de litige

Les arbres et le voisinage : notions légales essentielles et recours en cas de litige

Écrit par Me Manuel St-Aubin
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Qu’arrive-t-il si un arbre menace de tomber sur le terrain d’un voisin, ou si les branches ou racines de cet arbre causent des dommages ou inconvénients au voisin ? Qu’arrive-t-il si un voisin coupe les arbres d’un autre voisin ? Aperçu des droits et recours des voisins en cas de différend.

Auteur : Manuel St-Aubin, avocat chez St-Aubin avocats

Date de rédaction : mai 2020

Dernière mise à jour : juillet 2023 (2e mise à jour)

1. Les arbres et le Code civil du Québec

Le Code civil du Québec (C.c.Q.) encadre la relation de voisinage en ce qui concerne les arbres. Il est à noter que des dispositions réglementaires municipales pourraient s’appliquer, ce qui ne sera pas traité dans le présent article.

Les arbres dans les relations de voisinage peuvent être la source de nombreux questionnements, et de nombreux soucis. En effet, jusqu'où un voisin doit endurer les inconvénients découlant d'un arbre du terrain de son voisin? Est-ce un trouble du voisinage?

Ces nombreuses questions sont abordées par la loi et la jurisprudence.

2. Quoi faire si les branches ou racines nuisent au voisin ?

L’article 985 du Code civil du Québec édicte ceci :

  • 985. Le propriétaire peut, si des branches ou des racines venant du fonds voisin s’avancent sur son fonds et nuisent sérieusement à son usage, demander à son voisin de les couper; en cas de refus, il peut le contraindre à les couper. […]

Un voisin qui constate que des branches ou racines d’un arbre de son voisin lui nuisent, peut avoir le droit de forcer son voisin de couper ces branches ou racines. Pour ce faire, il doit d’abord s’adresser à lui et lui demander de s’exécuter.

Légalement, le voisin qui souhaite faire valoir ses droits par le moyen d’une poursuite judiciaire doit notamment rencontrer les conditions suivantes :

  • Il doit être propriétaire du fond voisin d’où l’arbre se situe ;
  • Que les branches ou racines de l’arbre du voisin s’avancent sur son terrain ;
  • Que ces branches ou racines nuisent sérieusement à l’usage du terrain (fonds) ;
  • Il doit avoir demandé au voisin de couper ces racines ou branches ;
  • Le voisin doit notamment avoir refusé de couper ces racines ou branches.

Il est important de démonter que ces branches ou racines nuisent sérieusement à l’usage du terrain.

De plus, selon la Cour supérieure, il sera nécessaire de démontrer que la situation ne relève pas de la simple nuisance, mais qu'il s'agit d'un trouble de voisinage au sens de l'article 976 C.c.Q., tel que l'a indiqué la Cour supérieure dans l'affaire Fortier c. Zaleski, 2021 QCCS 807 :

  • [8] En cas de refus du voisin de couper les branches nuisibles, le propriétaire du fonds « envahi » peut s’adresser au Tribunal. En application de l’article 985 C.c.Q., il lui appartient de démontrer que ces branches nuisent « sérieusement »à l’usage de son fonds.
  • [9] Une simple nuisance ne suffit pasil faut la présence d’un trouble de voisinage[4], puisqu’en vertu de l’article 976 C.c.Q., les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage. Selon cet article, il existe un certain« droit de nuire » entre voisins, tant que la nuisance n’excède pas le seuil de tolérance requis dans un contexte donné[5].
  • [10] Le trouble de voisinage doit causer un inconvénient d’une certaine gravité, s’étendre sur une période prolongée et présenter un caractère répétitif ou récurrent[6]. Il faut donc, face à un arbre situé chez le voisin, l’existence d’un trouble réel et assez grave pour le considérer comme une nuisance[7].
  • [11] En résumé, le Tribunal appelé à se prononcer sur une demande de coupe de branches doit soupeser les droits qui s’opposent. D’une part, le droit de propriété du fonds « envahi » et, d’autre part, celui du propriétaire de l’arbre qu’on veut élaguer. Il s’agit d’un exercice d’équilibre des droits de propriété de chacun qui doit être atteint[8].

À titre d'exemple, dans l’affaire Gagné c. Aubé[1], il était entre autres question de déterminer si l'empiétement des cèdres sur un fond voisin constituait une nuisance réelle à l’exercice d’un passage dans le cadre d’une demande d’injonction pour obliger une partie de couper des branches. Face à la preuve présentée, le Tribunal a conclu qu’en hiver, les branches des cèdres chargées de neige nuisaient à la circulation sur la portion asphaltée du passage[2] :

  • [70] Il y a nuisance lorsque l’usage, le libre passage ou le déneigement sont devenus difficiles ou obstruent en partie la circulation, l’entretien de la voie d’accès (partie asphaltée).
  • [71] Ainsi, alors que la preuve n’est pas précise sur les largeurs en cause ou la place que doit prendre l’ourlet de dégagement pour la neige afin de dégager l’emprise, le Tribunal établit à un pied (30 cm) du bord en partant de l’emprise asphaltée du droit de passage et en formant une ligne régulière l’extrême limite que les branches ou toute partie des cèdres, sur toute leur hauteur, ne doivent pas excéder et, en conséquence, où elles doivent être coupées ou élaguées.

3. Quoi faire si un arbre menace de tomber ?

L’article 985 du Code civil du Québec édicte ceci :

  • 985. […] Il peut aussi, si un arbre du fonds voisin menace de tomber sur son fonds, contraindre son voisin à abattre l’arbre ou à le redresser.

S’il est constaté qu’un arbre menace de tomber sur le terrain voisin, ce voisin pourrait forcer le propriétaire de l’arbre à l’abattre ou à le redresser. Cette demande peut être faite au tribunal, notamment par voie d’injonction. 

Il sera par contre important que la personne qui souhaite obtenir une telle ordonnance démontre que l’arbre menace bel et bien de tomber sur son terrain. À cette fin, une expertise sera souvent nécessaire.  

4. Si l'arbre cause de l'ombre ?

Dans l'affaire Fortier c. Zaleski, 2021 QCCS 807, la Cour supérieure du Québec a déterminé que les inconvénients suivants étaient des inconvénients anormaux du voisinage (voir les passages mis en reliefs):

  • [66] Les demandeurs se plaignent que les branches de l’un des troncs de l’imposant peuplier leur causent de l’ombre, les privant ainsi d’ensoleillement pour profiter de leur cour et surtout de leur piscine.
  • [67] Au-delà de l’ensoleillement, les demandeurs sont aussi privés de la jouissance d’user et de disposer complètement de leur propriété. Subissant les multiples inconvénients de la floraison du peuplier, ils ne peuvent profiter pleinement de leur cour arrière, notamment, en raison de la nécessité de faire des nettoyages quotidiens et fréquents. Le tout est sans compter les bris d’équipement de la piscine, le nombre élevé de traitements-chocs nécessaires (24 au lieu d’une moyenne de quatre) et les services requis de l’entreprise Aménagement Paysager Univert inc. pour l’entretien régulier et constant du terrain et de la piscine.
  • [68] Les défendeurs plaident à tort que le seul inconvénient est celui des chatons cotonneux. La preuve révèle plutôt que l’ensemble des déversements cause des inconvénients excessifs. En effet, outre les chatons cotonneux, il y a les grappes, les ramilles et la résine. Ce sont davantage les grappes, les ramilles et la résine qui obstruent la piscine et qui nécessitent des nettoyages constants de l’entièreté du terrain ainsi que des divers éléments s’y trouvant.
  • [69] Bien qu’un peuplier puisse créer des inconvénients constitués en soi de phénomènes naturels, les inconvénients subis ici par les demandeurs représentent plus que de simples inconvénients normaux que les voisins doivent accepter selon les termes de l'article 976 C.c.Q. En effet, selon la preuve administrée, l’ensemble de la situation dépasse les limites de la tolérance normale et doit être reconnu comme un trouble de voisinage.
  • [70] Compte tenu de la nature des inconvénients mis en preuve et des montants généralement octroyés en semblable matière[26], le Tribunal estime opportun de condamner les défendeurs à verser la somme de 6000 $ à chacun des demandeurs à titre d'indemnisation pour les inconvénients subis.

5. À qui appartiennent les fruits qui tombent d’un arbre ?

Le propriétaire de l’arbre est en principe également propriétaire de ses fruits qui tombent sur le fonds voisin[3].

6. Si les arbres du voisin nuisent à l’activité agricole ?

Pour les producteurs agricoles, les arbres d’un voisin peuvent être un enjeu majeur pour l’exploitation de leur terre.

Le Code civil du Québec encadre de façon particulière la question des arbres en contexte agricole.

En effet, un propriétaire d’une terre agricole exploitée pourrait en certaines circonstances demander à son voisin ou même le contraindre à faire abattre des arbres s’il rencontre les conditions suivantes prévues à l’article 986 C.c.Q. :

  • Le fonds du voisin demandeur doit être exploité à des fins agricoles ;
  • Les arbres du voisin nuisent sérieusement à l’exploitation agricole du fonds ;
  • Les arbres ne sont pas dans un verger ou une érablière ou ne sont pas conservés pour l’embellissement de la propriété ;

S’il rencontre entre autres ces conditions, un propriétaire pourrait contraindre par voie judiciaire son voisin à couper des arbres situés sur le long de la ligne séparative des terrains sur une largeur maximale de cinq mètres de ladite ligne.

7. Si un voisin coupe les arbres d’un autre voisin sans son consentement, quels sont les recours ?

Il arrive que des personnes décident de faire fi des règles énoncées ci-dessus et qu’elles décident elles-mêmes de couper les arbres de leur voisin sans leur consentement.

Dans ce cas, le voisin victime de la coupe de ses arbres pourrait notamment intenter un recours civil en dommages contre le voisin fautif.

En effet, outre les dommages matériels qui peuvent être accordés par le tribunal en vertu du Code civil, la Loi sur la protection des arbres[4] prévoit la possibilité d’octroyer des dommages-intérêts punitifs d’un maximum de 200,00$ par arbre, arbuste, arbrisseau ou taillis qui aurait été détruit ou endommagé totalement ou partiellement[5].

Pour que ces dommages punitifs soient accordés, « celui qui a coupé les arbres doit l’avoir fait en sachant qu’il n’avait pas le consentement de leur propriétaire ou en ayant fait défaut de prendre des précautions raisonnables pour l’obtenir »[6].

Par exemple, si une personne croit de bonne foi qu’elle coupe des arbres qui lui appartiennent, elle pourrait ne pas se voir condamnée à des dommages-intérêts punitifs en vertu de la Loi sur la protection des arbres.

À titre d’exemple, la Cour du Québec, dans l’affaire Forest c. Pelletier[7], a tranché quant aux dommages qu’un voisin pouvait recevoir suivant la coupe des branches d’une haie de cèdres et d’un érable que son voisin avait faite sans son consentement.

Considérant que le voisin qui a coupé les branches de ces arbres a commis une faute civile[8], le tribunal se penche sur le montant des dommages punitifs à accorder en vertu de la Loi sur la protection des arbres.

Le Tribunal, considérant les circonstances de l’affaire et du fait que le voisin fautif avait été averti par son voisin qu’il n’autorisait pas le coupe, « accorde des dommages-intérêts punitifs de 100 $ pour chacun des 40 cèdres dont les branches ont été coupées et de 50 $ pour l’érable dont les branches ont été coupées, pour un total de 4 050 $ »[9].

Ces dommages ont été évalués par le Tribunal sur la base de certains critères développés par la jurisprudence. En effet, l’insouciance, la témérité, la mauvaise intention ou mauvaise foi, sont quelques critères qui peuvent être évalués par le Tribunal pour évaluer les dommages à accorder[10].

8. En bref, à retenir

Le plus important à retenir ici est qu’en matière de voisinage et d’arbres, les voisins doivent communiquer ensemble avant de procéder à des coupes d’arbres, de branches ou de racines qui proviennent d’un arbre voisin.

À défaut, un voisin qui fait fi des règles applicables pourrait se voir condamné à des dommages matériels, et même des dommages-intérêts punitifs.

La voie judiciaire, notamment par voie d’injonction, est parfois le remède approprié afin d’obliger un voisin réfractaire à procéder.

Finalement, il est important de noter que des dispositions réglementaires municipales pourraient s’appliquer en ce qui concerne les arbres, le tout en plus des dispositions pertinentes du Code civil du Québec.  

AVIS : Les informations de cet article sont générales et ne constituent en aucun cas un avis ou conseil juridique ni ne reflètent nécessairement l’état du droit de façon exhaustive. Si vous avez des questions particulières concernant les sujets abordés, nous vous conseillons de nous contacter ou de consulter votre avocat.


[1] 2020 QCCS 892 : http://canlii.ca/t/j5ws0.

[2] Id., par. 66.

[3] Art. 984 C.c.Q.

[4] RLRQ c P-37.

[5] Art. 1 al. 1, Loi sur la protection des arbres, préc., note 4.

[6] Maurice c. Ville de Sherbrooke, 2019 QCCQ 2012, par. 58 : http://canlii.ca/t/hzn6p; Voir aussi Trudel c. Gingras, 1996 CanLII 6549 (QC CA) : http://canlii.ca/t/1njsn.

[7] 2019 QCCQ 401 : http://canlii.ca/t/hxqvk.

[8] Id., par. 14.

[9] 2019 QCCQ 401, par. 23.

[10] Id., par. 19.

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Auteur de cet article
M<sup>e</sup> Manuel St-Aubin
Me Manuel St-Aubin
Avocat chez St-Aubin avocats inc., associé principal.

St-Aubin avocats inc. est un cabinet spécialisé en litige civil et commercial, en immobilier et construction. Fort d’une équipe d’expérience en litige, St-Aubin avocats inc. cherche à donner l’heure juste à ses clients, tout en les menant vers les solutions les plus adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. L’approche pragmatique et efficace du cabinet nous permet de trouver des solutions alliant le droit aux affaires. Notre cabinet intervient principalement dans des litiges immobiliers, de construction et des litiges commerciaux (conflits entre actionnaires et conflits commerciaux).